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Rechercher : Noël

Noël

Le temps qui passe abîme

Fleurs et âmes

Et Dieu sait combien,

Le corps aussi.

Je me suis accroché à la vie

Mais la branche perfide a cassé.

 

Et pourtant

Je sais que ma jeunesse est là

Tout près

Mais elle me tourne le dos

Comme les bergers et les mages.

 

Et pourtant

C'est un sourire d'enfant

Qui me fait face

Et qui m'apaise.

 

Je suis

En ce soir malmené de Décembre:

L'horizon blessé

Sanglant

Exsangue

Et puis serein.

 

Bernard-Dominique Lacroix

 

 

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samedi, 21 janvier 2012 | Lien permanent

Noël

Dans le temps

Suspendu un instant tel un flocon de neige

 

Il y a

Des visages, des sourires, des mots, des chants...

 

Il y a

Des sommets ourlés d'étoiles

Des chemins bleus

Des maisons en coiffe du Dimanche

Des lointains transparents comme des regards tout neufs...

 

Il y a

Des gestes élancés autour des branches calmes

Des mélodies portées par des souffles complices...

 

Il y a

Dans le silence retrouvé de mon âme

Le souffle ténu d'un enfant qui s'endort,

Quelque chose de doux et de chaud

Comme une petite main sur mon coeur.

 

Bernard Lacroix, Redoux

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mercredi, 25 janvier 2012 | Lien permanent

Noël

IMG_2237.JPG

Photographie Juan Asensio




Une seule fois

Une seule

Dans l'histoire du monde

La nuit,

Délaissant pour un instant

La peur et la mort,

La guerre et le crime,

Le vice et la misère...


Une seule fois

Une seule

Dans l'histoire du monde

La nuit,

Mère abusive de l'ombre,

A enfanté de la lumière!


Bernard Lacroix



Poème envoyé par Bernard Lacroix à la famille Mermin lors du décès de Henri Mermin, Noël 1994.

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jeudi, 20 décembre 2012 | Lien permanent

Le Noël des animaux

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Marc Chagall, Nativité





En ce temps-là

L'enfant Dieu

L'enfant Roi nouveau né

A voulu pour sa gloire :

 

Un âne commun

Peut-être un rat dans un coin

Des agneaux fragiles

Des chèvres primesautières

Des poules affairées...

 

Un instant posés

Reposés

Devant le miracle achevé

 

Depuis le temps

Que leur sang coule

Pour des cultes abominables :

 

Des vaches

Tendant presque tendrement leur cou

A des lames implacables

Des poulets égorgés à coups de dents

Des chiens, des chats, des lapins, des singes...

Torturés, dépecés savamment

Au nom de la science !

 

Jésus, en naissant dans une étable

A voulu d'abord libérer les animaux

De la férocité des hommes

Et des dieux cruels.

 

Et pourtant

Lui-même n'y échappera pas :

On voit dans le lointain

Devant l'horizon en feu

Une forme prémonitoire :

Un arbre mutilé

Qui ressemble à une croix

 

Bernard Lacroix, Redoux

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jeudi, 28 novembre 2013 | Lien permanent

Noël savoyard

Noël chablaisien


"Jésus-Christ est né à Vougnan"

dit ma grand-mère,

"En l'an mille, mille huit cent,

...Avant la guerre".


Comme le lit n'était pas bon;

la pauvre mère

Mit le petit dans un benon

De paille claire.


Tout le pays vint à grand pas

Dans la cuisine

D'abord le vieux curé Brêlaz,

Joseph à Bline,


Mile à Guiton, Paul à Nonet

Puis la Daudine

Fanfoué du Nan, Dian Batioret,

Louis à la Quine


Bellot, Jorlet, Coland, Râté

La p'tite Fanchette

Collet, Palin, Liaudi, Minmé

Et la Draulette.


Barnôt, Zouze, Léon Foini

La Basoquette

Pierre à Pinon, Fonse à Quiqui

Jean à Clavette,


Guste à Julien, Fred à Lolon

La Mélanie

Trelôt, Mollet, Gêne à Genon

Et j'en oublie.


On vit même de bon matin

Chez la Marie

François de Sales, Saint Guérin

En compagnie.


"Jésus n'était donc pas Gaulois

Juif ou Berbère

Mais Savoyard comme il se doit !"

Dit ma grand-mère.


Bernard-Dominique Lacroix

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jeudi, 22 décembre 2011 | Lien permanent

Pour Noël, la recette des rissoles chablaisiennes

 

rissoles.jpg





Dans mon enfance, un Noël sans rissoles eût été impensable. Ma grand-mère les faisait à la pâte feuilletée qu'elle mettait une journée à confectionner. Elle la faisait en huit tours, ou huit pliages, avec au minimum vingt minutes de repos entre chaque tour, puis la pâte achevée, l'étalait au rouleau, découpait des petits rectangles qu'elle garnissait d'une farce à base de poires d'hiver dites "poires curé". Dans la recette des Cahiers du musée, les rissoles sont faites avec de la pâte brisée, c'est plus facile! Le plus difficile est de trouver aujourd'hui ces poires d'hiver, peu juteuses et qui se conservent longtemps.


EBM

 

*

 

Recette des rissoles à la Chablaisienne :

 

On choisira des poires restant fermes à la cuisson : "poires loup" ou "poires curé", deux vieilles variétés chablaisiennes, hélas de plus en plus rares. Les faire cuire à part.

Faire tremper des raisins secs dans de la gnole de poires. Ajouter un verre de vin rouge, de la cannelle, de la muscade, du sucre, de l'écorce d'orange confite. En faire une farce consistante puis mélanger avec les poires cuites.

On utilisera pour confectionner les chaussons de la pâte brisée et on les cuira à la poêle avec du saindoux.

 

Recette de la ValléeVerte communiquée par Madame Anne-Marie Sechaud pour Les Cahiers du musée n°6

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jeudi, 19 décembre 2013 | Lien permanent

Noël autrefois, en Chablais

Ludovico Cigoli, nativité.jpg

Ludovico Cigoli (1559-1613), Nativité (détail)






"Les Noëls de mon enfance : quelque chose de mélodieux, de silencieux, de limpide..."

Bernard Lacroix


Au village de Novel, une bien jolie coutume voulait qu'au retour de la Messe de Minuit on conduisît les hôtes de l'étable à l'abreuvoir collectif, pour qu'ils puissent y boire l'aidye floria (1). Cela nous venait sans doute de nos lointains ancêtres celtes qui avaient le culte de l'eau. Au même moment, dans d'autres villages, on donnait aux vaches une ration de regain, au cheval ou au mulet une bonne mesure d'avoine arrosée d'un verre de vin blanc. Dans les hautes vallées, la nuit de Noël, on remettait aux bêtes les cloches de l'été bien astiquées pour la circonstance. Entre nous, elles devaient bien se demander ce qui se passait dans la tête de leur propriétaire, pour quelle mystérieuse pâture on les apprêtait ainsi?


*


Le Père Noël était aussi pauvre que ses protégés, il n'avait même pas les moyens de s'offrir un mulet. Il allait à tâtons avec un vieil âne, suivi de près par le Père Fouettard, sa hotte pleine de ouistes (2) bien flexibles pour les enfants terribles. Les cadeaux : une pomme, une orange... plutôt une utile paire de chaussettes ou de galoches, dont les clous neufs brillaient près du fourneau.


*


Les filles trouvaient le plus souvent dans leurs sabots un petit nécessaire à couture. J'en parlais à la Louise à Barraud : elle me sortit d'une petite boîte le présent de Noël de ses dix ans, un dé à coudre et deux aiguilles. Comme je m'étonnais de leur état neuf :

" Je croyais que c'était le dé à coudre de la Vierge Marie, je ne m'en suis jamais servi et depuis, chaque soir de Noël, je les sors un petit moment!"


*


On était heureux avec ça. Les pommes, c'était l'été en hiver, les oranges venaient du pays de l'Enfant Jésus, et par quel miracle? Aujourd'hui, les enfants savent que le Père Noël est une légende périmée. Pourtant, l'autre jour à Annemasse, on pouvait en rencontrer un tous les vingt mètres. Faudrait savoir!


*


Les Noëls de mon enfance : quelque chose de mélodieux, de silencieux, de limpide... La Messe de Minuit, le Minuit Chrétiens, Les Anges dans nos campagnes et, au retour, l'hiver apaisé, les petites lumières dans la montagne... qui "péclotent" à jamais dans mon cœur.


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10.


(1) L'eau fleurie.

(2) Baguettes. Ces verges, faites de rejets de noisetier, étaient à la fois souples et droites comme des "i". Le mot lui-même cingle comme un fouet.

 

 

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vendredi, 20 décembre 2013 | Lien permanent

Les yeux des Tarines (Conte de Noël)

 

conte de noël, conte de haute-tarentaise

Domenico Ghirlandaio, Nativité

 

 

 

 

Rappel :

Noël ou le mystère de l'incarnation dans la poésie de Bernard Lacroix

 

*

 

"Qu'entend'on su ç'lè montagnes?

Bon Diou! Qu'est tô bin arrivô? "

Vieux Noël Savoyard

 

 

 

Quand vint le temps annoncé par les Prophètes, Dieu le Père envoya son Archange à la recherche d'un pays où bêtes et gens cohabitaient, car il est bien précisé dans les Saintes Écritures que le Seigneur naîtrait dans une étable, entre un âne et un bœuf.

 

L'Archange apprit par ouï-dire que dans la Haute-Tarentaise, en hiver pour ne pas mourir de froid, les montagnards n'hésitaient pas à faire chambre commune avec un bétail tenu soigneusement au propre, cela va de soi. C'est ainsi que fut choisi un village de chez nous parce qu'il remplissait toutes les conditions écrites dans la Bible.

 

Mais revenons à notre Ange, ou plutôt à notre Archange, tout retourné par sa haute mission. Car il fallait bien qu'il soit ému, le pauvre, pour débarquer aussi légèrement vêtu (en Ange, quoi!) dans notre rude climat. Il en fut quitte pour de bonnes engelures ( le terme vient de là), une formidable extinction de voix doublée d'une méconnaissance complète du patois local, ce qui lui interdit tout dialogue avec les bergers. Il retourna au Père, muet et transi. Mais les choses étaient si avancées qu'on ne pouvait songer à reculer l'évènement. La Sainte Famille traversait déjà Bourg-Saint-Maurice. Le brouillard profita d'un air de bise pour s'esquiver. La nuit vint, incomparablement claire et belle.

 

Alors l'étoile apparut. Sa présence rassura les illustres voyageurs, ils piquèrent droit dessus.

Nos bergers ne sont pas, comme ceux de Provence, des regardeurs d'étoiles. Le fait qu'ils portent le béret en avant-toit y est peut-être pour quelque chose : ils ne virent rien du phénomène, ils n'entendirent rien de ce qui suit...

 

Dans un village non loin de là vivait une vieille femme qui possédait un âne particulièrement têtu et intelligent, prénommé Baron. Philosophe, il aimait la compagnie, préférait la rue à l'écurie, quêtait un grain de sucre par ci, un quignon de pain par là. Quand il aperçut Joseph, la Vierge, la jolie ânesse toute fière de son auguste fardeau, il se mit à braire si fort, en emboîtant le pas à la petite troupe, que toutes les étables d'alentour sursautèrent.

 

C'est à ce moment précis que le miracle commença.

 

Á leur passage, les portes s'ouvrirent, les étables se vidèrent petit à petit de leurs occupants. Au moindre hameau traversé, de nouveaux arrivants se joignaient au cortège. Il devint rapidement le plus beau cheptel qu'on ne vit jamais en Savoie : des centaines et des centaines de chèvres, de mulets, de moutons, de vaches qui secouaient leurs "potets" de fer battu comme si elles le faisaient exprès. Les sapins en laissaient tomber leur neige d'étonnement, les torrents en perdaient le fil de leur rengaine.

 

Arrivés à l'endroit qui leur sembla propice, quelque part du côté de Beaufort ou d'Arèches, les historiens se chicanent sur le nom du lieu précis, nos pèlerins se rassemblèrent. Un vieux grenier abandonné laissait filtrer entre ses couennaux disjoints une lumière qu'eut enviée Louis XIV pour son Palais des Glaces.

 

C'était là!

 

L'âne Baron se tenait bien droit devant la porte grande ouverte malgré le froid, les oreilles curieusement baissées en "chien de chasse". Le bélier Joxe (1), le bouc Diamant, le taureau Marquis s'avancèrent, suivis des brebis trop émues pour risquer un œil, des Tarines trop curieuses pour ne pas en jeter un. Puis les bêtes satisfaites reprirent le chemin de la vallée.

 

Au matin de Noël nos montagnards, levés tôt pour la traite, ne purent retenir des exclamations de surprise. Jugez-en : les béliers portaient fièrement des cornes tarabiscotées comme en ont leurs confrères de Palestine. Le pelage des chèvres rivalisait en douceur et en couleur avec celui des chamois haut-perchés. Les "potets" de fer battu s'étaient transformés en de merveilleuses clarines, plus brillantes que de l'or ciselé. Quant aux Tarines, leurs yeux semblaient maintenant deux perles d'Orient, enchâssées dans un écrin sombre : les yeux qui virent le miracle, les plus beaux yeux du monde...

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5

 

 

(1) Joxe était le nom du bélier de Marie Lacroix, mère de Bernard,  institutrice et agricultrice, en référence à Louis Joxe, ministre de l'Éducation Nationale dans les années 60 ; un sale caractère de bélier qui, un jour, d'une ruade intempestive, cassa trois côtes à sa patronne. Bernard Lacroix raconte ici un conte traditionnel de Savoie. L'excellent conteur qu'il est brode sur le canevas narratif traditionnel en y ajoutant ses propres motifs.

 

 

 

 

 

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mercredi, 24 décembre 2014 | Lien permanent

L'Ange de Noël

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Charles Le Brun, Nativité (XVIIe siècle)

 

 

 

 

 

Rappel:

 

Noël ou le mystère de l'Incarnation dans la poésie de Bernard Lacroix

Minuit à Bethléem

 

 

 

Relevant ses draps de grège

Sur sa tête de hibou :

" Ah comme il fait bon chez nous!"

Disait Jean par grande neige.

 

Soudain, depuis la courette

Une douce voix pleura :

"Permettez que je m'arrête

Pour goûter à ce feu là."

 

"N'aime pas les gueux qui traînent!"

Cria Jean à grosse voix,

"Que les quatre vents t'emmènent,

Et te perdent dans les bois."

 

Pas un berger, pas un pâtre,

À l'ange transi de froid,

Ne laissa un coin de l'âtre

Pour s'y réchauffer les doigts.

 

Au chaud dans leurs draps de toile :

Tous les bergers ce soir là!

Dans les cieux la belle étoile

Ne brilla que pour les chats.

 

Depuis, on dit à la ronde :

"Sans les Jean et autres fous,

Jésus le sauveur du monde

Aurait pu naître chez nous!"

 

 

Bernard Lacroix, Au vent mûrieux

 

 

Joyeux Noël à tous!

 

 

 

 

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samedi, 24 décembre 2016 | Lien permanent

Noël ou le mystère de l'Incarnation dans la poésie de Bernard Lacroix

 

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Georges de La Tour, Le Nouveau-Né

 

 

 

 

 

Joyeux Noël à tous!

 

***

 

Rappel. Sur l'œuvre poétique de Bernard Lacroix:

 

Armand Robin, Bernard Lacroix, poètes anarchistes de la grâce

Ombre et Lumière

 

Poèmes sur le thème de Noël publiés ici:

 

Noël Savoyard

Noël

Le Noël des animaux

Noël

Bel Enfant

Bel Enfant,2

Noël

Solstice d'hiver

Puer natus est

 

 

*

 

" Les choses sont ainsi faites :

C'est en pleurant

Que l'homme découvre le monde."

 

Bernard Lacroix, Puer natus est.

 

 

Dans sa simplicité, ou plutôt son humilité, profondément ancrée dans une ancienne sagesse populaire, la poésie de Bernard Lacroix  demeure une parole énigmatique qui préserve le secret des mystères chrétiens, et nous fait sentir que toute notre science ne saurait venir à bout de ce que Roberto Calasso nomme "les choses ultimes" de la condition humaine : l'irréversibilité du temps, la faim, la mort, la désidérabilité (1). Concentrée, elliptique, cette poésie revient toujours aux mêmes grands thèmes universels afférents à ces "choses ultimes", les saisons, la nature dans toute sa dimension cosmique, la naissance, la mort, l'abandon, pour ne citer qu'eux. Chez ce poète profondément catholique, Noël occupe une place à part. Á notre connaissance, c'est le seul évènement du cycle liturgique chrétien évoqué dans ses poèmes, comme si le mystère de l'Incarnation constituait pour cet homme du Verbe qui est aussi homme de la matière et de la chair, peintre et sculpteur, le cœur de la Révélation : la Passion et la Résurrection sont déjà là, dans la naissance du Fils de l'Homme.

Puisque Dieu s'est fait homme, que le Verbe s'est fait chair, le poète Lui demande, comme nous l'avons vu, de descendre dans ses propres mots. Dans Noël chablaisien, ce sont ceux de l'enfance, patronymes, sobriquets en patois savoyard, légende racontée par la grand-mère :

"Jésus-Christ est né à Vougnan

dit ma grand-mère

En l'an mille, mille huit cent,

...Avant la guerre."

 Le lecteur trop pressé ou trop cartésien ne verra, dans la litanie des noms et les savoureux anachronismes, qu'un reste de superstition populaire teinté de chauvinisme, alors qu'en jouant sur les sonorités de la langue des humbles le poète dépose son offrande musicale aux pieds du Bel Enfant, actualisant le geste des bergers et des mages. Ce poème témoigne de l'intimité populaire avec le mystère de l'Incarnation telle qu'elle a pu s'exprimer dans la tradition de la Pastorale, toujours vivante en Provence. La naissance de l'Enfant Jésus a eu lieu une seule fois pour l'éternité, elle a donc lieu ici et maintenant, dans ce village, communauté spirituelle hors du temps, où tous viennent Lui rendre hommage, gens du peuple et leurs chers saints savoyards, François de Sales et Guérin. Dans ce contexte, l'auteur rend aussi un hommage plein d'humour et de tendresse à la foi naïve de sa grand-mère. Ce qu'elle a retenu du mystère, c'est que Jésus, s'il s'est fait homme, n'est pas un personnage révolu de l'antiquité, Gaulois, Juif ou Berbère, mais qu' Il s'est fait Savoyard, un homme vivant où qu'il soit dans le monde, fût-ce dans un modeste village du Chablais.

Le Christ, Verbe incarné, prend sur Lui la condition humaine dans sa totalité, Il prend sur Lui "les choses ultimes", sources premières du péché et du malheur, non pour le Salut de l'humanité mais pour le Salut de chaque être humain, chaque être humain étant unique. Si Noël annonce la Résurrection, scandale pour les grecs et folie pour les païens selon l'apôtre Paul, il annonce en même temps la Passion, le sacrifice du Fils pour racheter les hommes, ce qu'ont su représenter, autrement dit incarner, les grands peintres imprégnés de ces mystères. Ainsi Fra Angelico représente l'Enfant nu, couché à même le sol de l'étable, symbole de la condition humaine dans toute sa misère, sa vulnérabilité. Dans Le Nouveau-Né de Georges de La Tour, "la lumière de la chandelle est masquée derrière la main levée. Elle hésite entre bénir ou protéger la flamme et se concentre sur l'énigme d'un minuscule homme ligoté de bandelettes qui sera un jour mort. [...] On ne sait si c'est un enfant ou Jésus. Ou plutôt : tout enfant est Jésus. Toute femme qui se penche sur son enfant nouveau-né est Marie qui veille sur un fils qui va mourir.[...] Le titre ancien était Les Veilleuses ou L'enfant mort. On ne sait si c'est un petit mort ou Dieu. [...] La mère, les yeux baissés, ne regarde pas l'enfant mais contemple quelque chose qui est plus loin que le corps qu'elle tient. Si c'est Marie, elle contemple au loin la Passion" écrit Pascal Quignard.(2) On retrouve une telle vision dans deux poèmes intitulés Bel Enfant et dans Le Noël des animaux de Bernard Lacroix. Á l'horizon de l'étable, se dresse la Croix car malgré la ferveur  des bergers adorant l'Enfant représentés par Georges de La Tour, malgré la ferveur des rois mages suivant l'étoile, il faudra cette Croix pour les sauver du péché originel, du mal, du malheur, de la mort:

Bel enfant, il faut bien que tu saches :

C'est une croix qu'ils cachent,

Une, puis deux, des tas...

Tant que la ronde est ronde

Toutes les croix du monde

Les voilà!

Dans le second Bel Enfant qui tient de la confession, le poète, dont le patronyme, Lacroix, ne saurait mentir, se reconnaît comme pécheur. Si nous actualisons l'adoration des bergers et des mages à chacune de nos prières, nous crucifions le Christ à chacun de nos péchés :

Je te clouerai sur le bois que je te prépare en douce

Jusqu'à ce que le sang jaillisse de tes mains

adorables.

Le Noël des animaux quant à lui, en évoquant le sacrifice et la Passion, rejoint la mystique franciscaine. Comme François d'Assise, Bernard Lacroix considère les animaux comme ses frères,eux aussi créatures de Dieu quoique d'une autre espèce, innocente du péché originel. Des autels antiques aux laboratoires scientifiques actuels, ils ont toujours été sacrifiés, c'est pourquoi:

Jésus, en naissant dans une étable

A voulu d'abord libérer les animaux

De la férocité des hommes

Et des dieux cruels.

D'un Noël à l'autre, le point de vue change. Dans Le Noël des animaux, le poète est le prophète qui entrevoit, à l'horizon de l'étable, le drame de la Croix:

On voit dans le lointain

Devant l'horizon en feu

Une forme prémonitoire

Une arbre mutilé

Qui ressemble à une croix.

Et dans un autre Noël, il s'identifie à ce même horizon, dans une image saisissante:

Je suis

En ce soir malmené de décembre :

L'horizon blessé

Sanglant

Exsangue

Et puis serein.

Horizon, mutilation, blessure, feu, sang : comme toujours, Bernard Lacroix retient les mots et ceux qu'il nous donne, dans leur incommensurable pouvoir d'évocation, préservent le mystère de la Passion lié à celui de l'Incarnation, mystères inépuisables de l'Alliance entre Dieu et les hommes.  L'homme sans Dieu ne viendra jamais à bout des choses ultimes, l'homme sans Dieu est condamné à l'errance dans la désespérance ou pire, selon les mots de Heidegger, à "la détresse de l'absence de détresse", à la fuite dans un perpétuel et vain divertissement, puisque cet homme sans Dieu est impuissant face à l'irréversibilité du temps comme le dit ce Noël :

Le temps qui passe abîme

Fleurs et âmes

Et Dieu sait combien

Le corps aussi.

Je me suis accroché à la vie

Mais la branche perfide a cassé.

 

Et pourtant

Je sais que ma jeunesse est là

Tout près

Mais elle me tourne le dos

Comme les bergers et les mages.

 

Mais les mystères de l'Incarnation et de la Passion contiennent celui de la Résurrection. L'évènement de la naissance est enveloppé par la mort, la nuit des choses ultimes, les ténèbres, ce que nous rappelle le splendide incipit de l'Évangile de Jean : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. [...] Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue". La naissance de l'Enfant est incarnation du Verbe au sein des ténèbres, c'est la nuit des choses ultimes qui engendre l'Espérance ce que la poète a saisi dans la fulgurance de ce Noël :

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mardi, 24 décembre 2013 | Lien permanent

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