Le tin derri (arrière-saison) (lundi, 27 août 2012)

C'est le temps de paix qui suit la récolte. On peut s'asseoir sur le vieux banc sans appréhension pour le lendemain, laisser son esprit aller où il veut, contempler la montagne sans avoir à y deviner les prémices de l'orage, se donner au vent qui tout à coup s'est fait sage, comme s'il voulait s'excuser d'avoir tant fait de peur et de mal.

 

" Tu viens te coucher? " dira la femme.

Attends un peu! "

 

A-t-elle compris, que dans le soir qui tombe, un corps endolori s'abandonne? Il faut ne rien dire, ne rien penser, ne rien répondre... Le chaume ne regrette pas ses épis, l'arbre ne se souviendra bientôt plus de ses feuilles... L'oiseau lui-même s'est tu : il sait, lui, que le moment est court entre l'été et l'hiver, qu'il faut savourer ce moment béni où l'on peut être personne pour une fois, fermer les yeux sans dormir, écouter sans entendre, être fou avec lucidité, ivre sans boire, heureux sans joie, amoureux sans amour.

 

Bernard Lacroix, Les Cahiers du Musée  ( n°3)

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