Nos morts (jeudi, 11 avril 2013)

 

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Photographie Juan Asensio

 

 

 

 

Rappel: La Toussaint

 

Ils sont tous là, bien alignés dans le petit cimetière, bons et mauvais voisins, côte à côte, réunis par celle qui met tout le monde d'accord, dans ce deuxième village enserré de murs, hérissé de croix malmenées par le temps et de stèles effacées par l'oubli. Je ne suis pas un habitué des cimetières, j'y vais rarement, un peu honteux de mon infidélité envers des gens qui m'ont si souvent accueilli devant une tasse de café ou un petit verre de liqueur. Je ne visite pas les morts non plus, contrairement à la coutume paysanne, comme si je voulais conserver dans ma mémoire des yeux ouverts et des bouches frémissantes de mots. Mes morts sont vivants: les traits de leurs visages à peine émoussés par mes souvenirs vieillissants. Leurs verres tintent au café Dret, leurs pas résonnent aux quatre coins du village, leurs volets vont s'ouvrir, ils resteront un moment sur le pas de la porte.

– Bonjour Cyrille! On ne sait pas quel temps il va faire aujourd'hui?

– C'est le temps "pounais", çà sent la neige.

– Eh bien, viens vers les 8 heures, on fera une longeole après...

Le simple dialogue d'une vie toute simple, qui me revient à tous moments. Une ombre fugitive, un souffle, un murmure, un bruit... il faut peu de chose pour être vivant, il faut peu de chose, hélas, pour que le souffle devienne râle, le bruit, celui d'un cercueil que l'on cloue.

Je me refuse quant à moi, à l'admettre, quitte à ressembler à Fanfoué de la Coche: un "tougne" qui palabre avec son trident et qui tend le poing vers les haies, comme si les oiseaux lui refusaient quelque chose.

 

Quand quelqu'un mourait au village, on allait toujours chercher mon parrain, Albert Lacroix, pour l'habiller et le mettre dans son cercueil. Ça ne lui plaisait pas plus que ça, mais on ne confiait pas ses morts à n'importe qui. On faisait appel à lui tout simplement parce qu'il était le meilleur d'entre nous.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n° 10.

 

 

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