Les poules (jeudi, 23 mai 2013)

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Croquis de Bernard Lacroix, extrait du recueil  Croquis minute

 




Comme la plupart de mes semblables, j'aime les poules pour ce qu'elles font : un œuf! D'abord une constatation : les poules deviennent rares. Il m'a fallu ruser pour en trouver, finalement dans un poulailler quasiment clandestin et, où le coq est banni, il y a des parisiens ou des genevois dans le voisinage.

Autrefois, ma grand-mère sortait ses poules tous les jours vers les quatre heures. Il fallait les surveiller pour qu'elles n'aillent pas se faire écraser sur la route. Malgré cela, il y en avait toujours une ou deux qui lui faussaient compagnie. On les retrouvait invariablement dans le poulailler des voisins, histoire de changer de coq ou tout simplement pour voir ce qui se passait ailleurs, peut-être! "Jeanne, venez voir, je crois bien qu'il y a une de vos poules avec les nôtres". Ma grand-mère revenait quelques minutes après avec la fugueuse sous le bras sans chercher à la punir. Car comment punir une poule?

Les volailles avaient droit à quelque attention : on leur faisait cuire des pommes de terre soupoudrées de son. On veillait à ce qu'elles aient toujours de la bonne eau à boire. L'hiver, on les "rentrait" dans une sorte de cagibi, le plus souvent situé sous l'escalier qui menait au premier étage. On ouvrait ou on en refermait le "trapolet", petit orifice qui leur permettait de sortir ou de rentrer à leur guise.

On les dit bêtes. Pourtant leur tout petit œil vous scrute intensément. Elles vous reconnaissent, elles vous suivent tranquillement, à votre pas, elles rentrent dans la maison, picorent sous la table, elles trouvent toujours quelque chose à manger, n'importe où, même dans l'église quand la porte est restée ouverte. Elles grattent le sol, s'énervent, s'agitent dans leur bain de poussière. Mort aux vers de terre, aux limaces et aussi aux vipères, qu'elles estourbissent à coups de bec rageurs.

Le poulet, comme son nom l'indique, est le gendarme de la basse-cour, le père, le gardien omniprésent. Attentif à tout ce qui se passe, il en oublie sa propre faim, dodeline de la tête, secoue ses ailes rageusement, crie, s'énerve, bouscule s'il faut. Le soir, il s'endort rassuré quand toutes ses protégées sont sagement alignées sur le "jo"*. S'il se trouve bizarrement sans voix dès que le jour baisse, ce sera pour mieux s'égosiller dès que le soleil s'annoncera le matin venu.

"Poules"! Pourquoi tout à coup ce nom plein d'équivoque? Pourquoi désigne-t-il une femme de mauvaise vie alors que les poules, les vraies, sont des mères ô combien prévenantes et fidèles? Et puis, cette façon bêtifiante qu'ont les hommes de jouer au coq : "Viens ma poule, viens ma poulette, viens poupoule...!".

Avec une chèvre et deux poules on fait vivre une maison, disait-on dans le temps. C'était vrai! C'est pourquoi j'ai voulu, à ma manière, leur rendre hommage. C'est fait pour les poules.

Á bientôt les chèvres!


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°6


* le jo: le perchoir.



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