Le regard (mardi, 28 mai 2013)
Photographie M.Chartier
Parcourir les anciens albums de photos me trouble profondément. Fermer vite les pages sur des yeux qui ne sont plus mais qui, pourtant, insistent, interpellent, quémandent, vous pénètrent jusqu'au fond de l'âme, comme si l'éternité était un peu de notre faute.
Se souvenir n'est pas suffisant. Moi qui gravite dans des activités que certains jugent passéistes, il y a longtemps que je l'ai compris. D'un regard à l'autre, il ne doit pas y avoir de cassure et c'est cela, au fond, qui nous gêne. Quand je te regarde, d'autres yeux te regardent. Quand un père ou une mère se retournent vers leurs enfants, d'autres yeux les voient dans une sorte de généalogie du regard.
Le regard est éternel: je suis au pied de cette montagne que mon grand-père ou mon père ont contemplée si souvent.
Devant l'objectif du photographe, on sait inconsciemment qu'il est figé pour toujours et que des vivants, beaucoup plus tard, vont le découvrir à leur tour, bien au delà de notre propre mort. Il est le même pour tout le monde à ce moment là, impassible et aigu.
Quand la mort nous prend, les yeux restent ouverts, ne voulant rien perdre d'ici-bas, en un ultime réflexe de défense. La mort pourrait-elle s'y tromper? Ce qu'elle ne sait peut-être pas, c'est que des yeux neufs vont prendre la relève: à jamais.
Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°4
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