Le Baroque Savoyard,4 (vendredi, 21 mars 2014)
Église de La Sainte Trinité, Les-Contamines-Montjoie (Haute-Savoie)
Le Baroque rural
Avec cette 4e note s'achève notre série consacrée au Baroque Savoyard.
Rappel:
Le Baroque Savoyard, poème de Bernard Lacroix.
Le Baroque Savoyard,3. L'église des jésuites de Chambéry.
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Le baroque savoyard rural ( églises, chapelles, oratoires) se trouve essentiellement en Savoie et dans les vallées du Mont-Blanc au sud-est de la Haute-Savoie. Pourquoi la vague baroque qui parcourt les villages de montagne aux XVIIe et XVIIIe siècles a-t-elle épargné l'Avant-Pays savoyard et les massifs préalpins, dont le Chablais? Bruno Berthier, historien du droit et des institutions, répond à cette question dans deux chapitres érudits et passionnants de Savoie Baroque (1).
L'exceptionnelle efflorescence du baroque dans les hautes vallées savoyardes résulte de multiples facteurs que l'historien rassemble sous deux axes. D'une part, l'axe géopolitique : le duché de Savoie a soutenu la Réforme catholique du concile de Trente pour affermir sa puissance et pour ce faire, il a favorisé l'expansion de l'art baroque, médiateur de la spiritualité tridentine. D'autre part, l'axe local : le système agro-pastoral prospère propre à ces hautes vallées avait instauré depuis le XIIe siècle une forme d'institutions communales en mesure de financer et de participer à la construction des édifices baroques.
Les États de Savoie ont failli disparaître à la Renaissance, au cours des guerres d'Italie. En 1538, François 1er annexe le duché de Savoie par le traité d'Aigues-Mortes. Le duc Emmanuel-Philibert, dit Tête de fer, le récupèrera en 1559, par le traité de Cateau-Cambrésis. Dès lors, il se tourne vers l'Italie pour asseoir ses possessions : Turin devient la capitale du duché au détriment de Chambéry. Il modernise la fiscalité, établit un État centralisateur fondé sur une monarchie de droit divin. Dans cette perspective, il combat la doctrine protestante, Genève la calviniste alliée aux Républiques helvétiques luthériennes de Berne et Fribourg, en rébellion contre la maison de Savoie. L'art baroque est donc encouragé, à la fois instrument et signe d'un catholicisme victorieux, support de la monarchie.
Toutefois, cette stratégie de la maison de Savoie ne suffit pas à expliquer pourquoi l'art baroque ne s'est épanoui que dans les hautes vallées. Celles-ci devaient leur prospérité à leurs institutions communales. Le patrimoine foncier appartenait à la communauté des villageois, les "communiers", qui ont su le faire fructifier grâce à un système agro-pastoral parfaitement adapté à la région et à son climat. Durant les longs hivers, beaucoup d'entre eux émigraient et devenus colporteurs, ramoneurs, cochers, rapportaient ensuite leurs gains à la communauté. Ainsi, souligne Bruno Berthier, l'épanouissement de l'art baroque est lié à cet "âge d'or" (XVIIe-XVIIIe) des communautés villageoises, mais il doit beaucoup aussi à leur foi : " La décoration des églises, financée, sans souci immédiat de contrepartie, à l'aide des mêmes revenus du système agro-pastoral alpin que ceux affectés aux institutions communautaires et par conséquent intéressées, [...] plaide clairement en faveur d'un geste gratuit de louange du principe divin que la vitalité communale traduit par le jaillissement des réalisations baroques." (2)
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L'essor de l'art baroque en Savoie et Haute-Savoie commence dans la seconde moitié du XVIIe siècle, plusieurs décennies après le concile de Trente. A la demande des évêques, les églises rurales doivent se conformer aux directives tridentines. Souvent situées à l'écart, sur les hauteurs pour être vues de loin, simples dans leur aspect extérieur, elles ne se distinguent des maisons villageoises que par leur clocher à bulbe et leur façade principale, à l'ouest.
Église Saint-Nicolas-de-Véroce à saint Gervais (Haute-Savoie)
Église Notre-Dame de l'Assomption à Cordon (Haute-Savoie)
Cette façade principale porte une valeur symbolique nouvelle. Comme nous l'avons vu avec l'église des jésuites de Chambéry, elle marque le seuil, le passage du profane au sacré. Elle est recouverte d'un enduit lisse blanchi à la chaux. Les façades des églises de la Sainte Trinité aux Contamines-Montjoie et Saint-Nicolas-de-Véroce à Saint Gervais présentent une architecture identique : deux colonnes, un fronton brisé, une niche centrale abritant leur saint, au-dessus une serlienne (fenêtre à trois baies ou "triplet"), un oculus. La façade de l'église de Cordon ne comporte pas de colonnes, elle est rythmée par trois niches abritant des saints surmontées d'une baie et d'un oculus. La charpente intérieure du toit de ces trois églises est décorée.Ces églises baroques rurales n'ont qu'une seule nef sans transept, le chœur comporte un chevet plat pour accueillir le retable de l'autel majeur.
Leur décor intérieur contraste avec leur simplicité extérieure.
Comme nous l'avons vu dans l'église des jésuites de Chambéry, un nouveau mobilier, conforme à l'orientation du concile de Trente, est mis en place: confessionnal, chaire, et surtout le retable au-dessus de l'autel majeur, écrin du tabernacle, point d'aboutissement de la perspective de la nef comme de la progression des fidèles vers le mystère de la Rédemption.
Église de Hauteville-Gondon (Savoie) . Le retable du Rosaire, l'une des œuvres les plus baroques par le mouvement incessant des personnages. (Photographie Savoie Baroque)
Récemment restauré, le décor intérieur de Saint-Nicolas-de-Véroce, à Saint-Gervais, l'une des plus belles églises baroques du pays du Mont-Blanc, enchante par son éclat et sa beauté. Si le retable majeur avec ses trois niveaux, ses statues de saint Roch et saint Etienne, l'autel et son tableau dédié à saint François de Sales, ses autels latéraux ornés de colonnes torsadées relèvent du plus beau baroque, sa voûte de style néoclassique, exécutée par les frères Avondo, où domine le fameux "bleu de Saint-Nicolas", date du XIXe siècle.
Voûte et chœur de l'église Saint-Nicolas -de- Véroce à Saint-Gervais (Haute-Savoie)
Selon Dominique Peyre, l'une des originalités de la Savoie est de conserver, à l'entrée du chœur de ses églises, au niveau de l'arc triomphal, une poutre de gloire figurant le calvaire : le Christ entre la Vierge et saint Jean, des anges recueillant le sang du rédempteur.
Église de Villard-sur-Doron (Savoie) Détail de la poutre de gloire: des anges recueillent le sang du Christ dans des calices. (Photographie Savoie Baroque)
Par sa profusion, sa sensualité, le décor baroque des églises rurales savoyardes nous émerveille, comme le dit Bernard Lacroix dans son poème. Dans la fraicheur et le sourire d'innombrables saints et bienheureux, les fesses dodues des anges joufflus, les lèvres et les joues cramoisies des vierges, c'est une religion de la joie qui s'exprime.
Église Saint-Nicolas de Combloux (Haute-Savoie). Ange.
Comme l'écrit l'historien Bernard Grosperrin, " l'art baroque savoyard est né et a prospéré dans ce contexte de Réforme catholique qui l'a profondément marqué. Il traduit l'intensité de la foi renouvelée de ceux qui le financèrent et des paysans qui participaient volontairement aux travaux, heureux de créer au milieu de leur village aux maisons humbles et souvent sordides ce bijou somptueux à la gloire de leur Dieu". (3)
Élisabeth Bart-Mermin
Notes:
(1) Bruno Berthier, Les États de Savoie au temps d'Emmanuel-Philibert : des États baroques? et Le chantier paroissial à l'âge d'or des communautés villageoises in Savoie Baroque, op. cit., pp. 77-112.
(2) Ibid.,p.112.
(3)Ibid., p.76.
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