Une peinture avec ou sans sujet (vendredi, 04 septembre 2015)

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Bernard Lacroix, Matin dans le Chablais, huile sur toile (19,5x24,5)

 

 

 

 

Là, nul archaïsme, nulle narration expressionniste ou naïve. Lacroix y développe un travail maîtrisé et sans concession, dont la facture, qu'elle soit figurative ou abstraite, énonce une vision plus structurée et distanciée du monde. Le but n'est pas spécifiquement de séduire mais de capter l'œil par une forte sollicitation rétinienne. C'est avant tout la composition qui prédomine, la ligne, la croix (sic!) et l'aplat de couleurs pures. Cézanne, Mondrian, Manessier, de Staël (1), sont quelques noms qui effleurent alors la surface de sa toile. Le geste pictural, net et sec, fait écho à la rugosité des sculptures. La couleur n'est pas illustrative, elle assume un rôle expressif à part entière. Cet aller-retour incessant entre abstraction et figuration situe bien l'enjeu d'un travail pictural dépassant l'anecdotique : lorsqu'un paysage est représenté, celui-ci n'est pas identifiable géographiquement, il est avant tout un paysage type du Chablais et peu s'en faut qu'il devienne une composition sans autre sujet que l'agencement des horizontales et des verticales.

 

Des œuvres charnières ponctuent également le travail de peinture : il s'agit en particulier de très beaux collages sur papier où la technique de recyclage se développe par l'agencement de papiers déchirés, de morceaux d'emballage et de peinture vaporisée. La réflexion autour de la notion de rebut , engagée avec les sculptures, s'oriente avec ces collages vers une approche plus critique de notre société de consommation et de gaspillage. En extirpant avant leur destruction telle couleur de tel emballage, telle trame de tel filet à pomme de terre par exemple, Lacroix épouse à sa façon le souci de toute une génération d'artistes travaillant sur le déchet (2). L'esthétisation plutôt allègre qu'il en propose n'en exclut pas pour autant la portée critique.

D'autres collages que l'on pourrait qualifier de bas-reliefs ( photographie ci-dessous) créent quant à eux le chaînon manquant entre la pâte plate des huiles sur toile et les sculptures. Il y a une salutaire exubérance dans ces bas reliefs, où l'on repère en arrière plan la composition picturale des huiles et en premier plan l'utilisation tels quels de fragments d'objets. On peut en outre ranger ceux-ci dans deux catégories : d'une part les objets industriels liés à la consommation ( morceau de couvercle de boite de conserve, capsule de bouteille, plastique), et d'autre part les débris d'objets liés à l'ornementation, en particulier des fragments de cadres de tableaux traditionnels en plâtre dorés et ouvragés. 

Á travers ces deux catégories d'objets, on retrouve la dualité que l'artiste entend développer dans l'ensemble de son travail : une oscillation entre un art plutôt savant et un art de recyclage plutôt fruste.

 

 

Alain Livache, Catalogue de l'exposition Bernard Lacroix au Conservatoire d'Art et d'Histoire d'Annecy, 2001.

 

Notes :

(1) Nicolas de Staël fait partie après guerre de ce que l'on nomma l'École de Paris en réaction à l'École de New-York. Des artistes différents tel que Manessier, Bazaine, Hartung, Vierra da Silva pratiquent tous ou presque une peinture abstraite, ancrée dans une expérience sensible et un savoir faire qui ne rompt pas avec les techniques classiques ni avec les formats traditionnels du tableau.

(2) On citera bien sûr les nouveaux réalistes (César, Arman, Spoerri...) mais aussi plus récemment Tony Craag ou Carole Monterrain.

 

 

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Bernard Lacroix, Collage abstrait au filet jaune, Matériaux mixtes sur bois, 44,5x32

Photographies : Catalogue de l'exposition

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