L'eau,1 (mercredi, 27 janvier 2016)

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Rappel:

L'eau éternelle

 

Nos rivières

 

Nos rivières ne se prêtent pas aux rêveries romantiques. Primesautières, elles inspirent plutôt la méfiance. Le torrent est mal élevé par la force des choses. Peut-il faire autrement? Il a si peu de temps pour se calmer et puis il est bruyant. Son langage est bien loin des gazouillis racoleurs des eaux plates que nuls pentes ou rochers n'excitent. Mais quand le soleil peut se frayer un chemin jusqu'à lui, son haleine s'irise, transfigurant tout ce qui pousse alentour. La truite est son amie. Sportive, elle s'accommode fort bien des sautes d'humeur de son singulier logeur. Patiente quand il le faut, elle attend ses proies à l'ombre des pierres moussues pour les prendre d'un seul coup de sa bouche énorme.

 

 

 

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Le bachal

 

Quelle que soit la saison, quel que soit le temps, quel que soit le jour, l'étroit filet d'eau insiste. On pourrait dire fidèle comme la source rythmant le silence du hameau abandonné. Les hommes, eux, sont partis. L'essentiel peut devenir inutile. La source ne cherche pas à comprendre ce mystère ; elle est là, tout simplement, et parce qu'elle ne comprend pas, elle demeure.

 

Nos eaux ne sont pas calmes ; ce n'est pas de leur faute. Dans un pays heurté, elles n'ont pas le choix. Le torrent charrie rocs, troncs, galets, jusqu'au grand lac plus bas où d'autres eaux l'accueillent ; puis le Rhône, et la mer. Adieu glaciers hiératiques, neiges insistantes... Adieu bouquetins chamailleurs, chamois versatiles, chèvres sentimentales... Adieu lys martagons, sabots de Vénus, ancolies... Adieu pays où les cloches sonnent encore le soir et où les chalets sont dorés comme des pains bénits.

 

 

Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)

 

 

Photographies de Robert Taurines

 

 

 

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