vendredi, 19 juin 2015
La fenaison
Le moment des fenaisons venu, pour avoir la possibilité de garder en hiver quelques bêtes de plus, les paysans des hautes vallées partent faire les foins dans des coins impossibles, jusqu'à 1700 mètres d'altitude. Le faucheur est dans l'obligation de travailler en biais et non pas face à la pente parce qu'il partirait en glissade. Une fois sec, le foin est enserré dans des filets pesant environ 80 kg et porté à dos d'homme dans des granges intermédiaires d'attente. On profitera de la neige pour l'acheminer à l'aide de luges vers le village.
Il arrive que la pente soit si forte, le trajet si long, que le paysan doive creuser à la pioche une petite plate-forme pour y déposer sa lourde charge et prendre quelques instants de repos.
Il est évident que l'on abandonne petit à petit ces méthodes de culture héritées d'un autre âge, mais une poignée de montagnards, des irréductibles de l'effort, la pratiquent encore de nos jours. Sous le soleil cruel qui leur rôtit le visage, la poussière qui leur colle au cou et aux reins, des hommes perpétuent les gestes rudes de leurs aïeux, devant des haies de touristes qui n'en croient pas leurs yeux. On n'ose pas sourire, le spectacle est impressionnant. Ce qui, pour moi, est drôle, c'est d'imaginer que certaines des épouses présentes ne puissent pas s'empêcher de faire la comparaison entre des mâles, dont on n'a plus beaucoup d'exemple, et leurs maris dont les attaches pâlichonnes émergent des bermudas et des tee-shirts à fleurs. Nul ne le saura vraiment tant il est vrai que les femmes cachent beaucoup de leurs pensées secrètes, mais tout de même, quelques-unes ne doivent pas manquer de constater qu'il n'y a pas que les traditions qui se perdent.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours ( Éditions Bias, 1990) p. 34
Photographies de Robert Taurines
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