Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 20 mai 2017

Le cordonnier

numérisation0004.jpg

Photographie de Robert Taurines

 

 

 

 

Rappel :

Les gestes de la matière

 

 

Le métier de cordonnier n'est plus ce qu'il était. Les chaussures, à peine portées, vont à la poubelle. De nos jours, le cordonnier dépanne plus qu'il ne fabrique ou répare. Je vois encore le bouif de mon village rajuster ses lunettes pour remettre des pièces les unes sur les autres. Il hésitait longtemps avant de faire un prix qu'il annonçait finalement en soupirant, à regret, presque honteux de faire payer un tel  rapetassage. Pendant la guerre, faute de cuir, on reporta à nouveau les galoches. À défaut de broquettes, devenues rares elles aussi, il coupait dans de vieux pneus des bandes de caoutchouc qu'il clouait sur le bois pour en éviter une trop rapide usure. Blessé de la guerre 14/18, il se déplaçait à l'aide de béquilles dans sa boutique étroite et sombre, le nez dans les boîtes qu'il approchait de la fenêtre pour en mieux voir le contenu. Les chaussures réparées attendaient, bien alignées sur un rayon, le nom du propriétaire griffonné sur un bout de journal. 

Il lui arrivait aussi de réparer les harnais des chevaux et d'y faire le même assemblage disparate de bouts de cuir de couleurs et de qualités différentes, cousus les uns à la suite des autres. Au plus fort de la guerre, il fallut se débrouiller pour fournir le cuir nécessaire aux réparations. Alors, on se mit à la recherche de tout ce qui pouvait encore servir. Un voisin me montra un jour une grande Bible dans la couverture de laquelle on avait découpé, bien proprement, une magnifique semelle.

 

*

 

Les femmes et les enfants allaient chez le cordonnier. J'ai le souvenir d'un homme discret qui écoutait sans quitter son ouvrage des yeux. " Vous repasserez demain!" disait-il par dessus ses lunettes. Contrairement au forgeron, on lui devait de l'argent, qu'il ne réclamait d'ailleurs jamais. Il lui arrivait souvent de travailler pour rien, tant il est vrai qu'un soulier ne peut cacher sa misère.

 

 

Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)

 

 

numérisation0003.jpg

Photographie de Robert Taurines

 

 

 

 

Les commentaires sont fermés.