mardi, 16 janvier 2018
Quenouilles et fuseaux
Le rouet. Photographie de Robert Taurines
" Une pelote de laine est un long fil d'histoires et de chansons. Confident des plaintes menues, le rouet sait tout des femmes".
Bernard Lacroix, Mémoire des jours
Dans la longue liste des travaux domestiques de jadis, le filage avait une grande importance. Si l'on confiait au tisserand le soin de tisser la toile, après qu'on eut récolté et apprêté le chanvre ou le lin, filer et tricoter se faisait à la maison.
"Si tu ne veux pas teindre la laine, disait une vieille chanson, élève des moutons de couleur! " On peut voir encore des moutons de la vieille race du pays, hauts sur pattes, rustiques, promener leurs silhouettes délavées sur les pentes de la Dent d'Oche ou des Aravis. Il faut les tondre deux fois l'an. Leur laine aux fibres longues convient au filage. Ils sont de couleur blanche, beige, noire ou brune, ce qui permet des fantaisies dans la confection des tricots, des chaussettes ou des couvertures. Au Grand-Bornand, leur présence dans les caves d'affinage du reblochon permet d'y maintenir une température douce et égale.
Quand un jeune homme trouvait une jeune fille à son goût, il lui offrait une quenouille faite de sa main. Cela lui évitait des approches intimidantes, des palabres, laissant à ses parents le soin de régler des détails ou l'intérêt n'était pas toujours absent. Rien n'obligeait la choisie à accepter le présent, mais un grand pas était fait et puis savoir que quelqu'un s'intéresse à vous n'est pas détestable. Si l'amoureux manquait de talent pour le faire, il faisait appel à plus habile que lui, la beauté de l'objet ayant son importance.
La quenouille symbolisait l'attachement, puisque la laine s'y enroule comme le lierre sur la branche, le geste qui accompagne l'attente, la patience de la bergère, la chasse à l'ennui dans la solitude du foyer...
Certains artistes incrustaient dans le bois un petit morceau de miroir, les vilains mauvais esprits qui ne manqueraient pas de s'y contempler s'enfuiraient, effrayés par leur propre laideur. L'épouse la conservait sur un pied lui-même ouvragé. Elle lui rappelait à jamais ce si court instant de bonheur que sont les fiançailles et, peut-être, celle qu'aurait pu lui offrir un autre prétendant qui s'est contenté ailleurs et vers lequel vont encore bien souvent ses pensées secrètes.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)
23:10 Publié dans Mémoire de la Savoie, Traditions du Chablais | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer |
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