dimanche, 02 avril 2017
Le signe de la Croix dans la peinture de Bernard Lacroix
Chemins ardents ( 1970)
Huile sur bois de Bernard Lacroix
Dans la peinture de Bernard Lacroix, "c'est avant tout la composition qui prédomine, la ligne, la croix (sic!) et l'aplat de couleurs pures. Cézanne, Mondrian, Manessier, de Staël, sont quelques noms qui effleurent la surface de la toile" écrit Alain Livache¹. Si ces quatre grands noms on influencé Bernard Lacroix, on est tenté de rapprocher son œuvre, en premier lieu, de celle de Nicolas de Staël : tous deux dépassent l'antinomie entre abstraction et figuration. Comme le précise Alain Livache, " la couleur n'est pas illustrative, elle assume un rôle expressif à part entière. Cet aller-retour incessant entre abstraction et figuration situe bien l'enjeu d'un travail pictural dépassant l'anecdotique : lorsqu'un paysage est représenté, celui-ci n'est pas identifiable géographiquement, il est avant tout un paysage type du Chablais et peu s'en faut pour qu'il devienne une composition sans autre sujet que l'agencement des horizontales et des verticales". Ainsi, dans l'agencement des horizontales et des verticales, on remarque la récurrence de la croix, à la fois forme qui structure la surface peinte, signe et signature.
La forme de la croix.
À travers la forme de la croix structurant l'espace, on perçoit, d'un tableau à l'autre, le va-et-vient entre l'abstraction et la figuration. Dans le tableau intitulé Chemins ardents, (1970, illustration ci-dessus), la croix apparaît dans un premier temps comme une forme géométrique abstraite aux couleurs vives, se détachant sur un fond sombre qui la met en relief. C'est elle qui capte le regard,offrant la vision d'un croisement, qu'on reconnaît dans un second temps comme un carrefour vu du ciel, tel que l'indique le titre.
Matin dans le Chablais, Huile sur toile de Bernard Lacroix
En revanche, dans Matin dans le Chablais, le regard est d'abord capté par les éclats blancs et jaunes et par les aplats de couleurs vives à l'intérieur des deux lignes horizontales inférieures. Une grande croix − épaisse ligne verticale rouge doublée d'ocres jaunes au sommet croisant une ligne horizontale d'aplats réguliers qui décline une gamme de bleus et violets− organise l'espace. Dans cette composition abstraite, rythmée, sans perspective, l'œil peut toutefois discerner trois plans : un plan horizontal inférieur riche en couleurs, puis une croix, et enfin un arrière-plan de rectangles où dominent les bleus et violets. Dès lors, le regard passe mentalement à la figuration. Au premier plan horizontal, deux cubes pourraient figurer des chalets bruns au toit couvert de neige, et l'ensemble des aplats, un village, la croix évoquant deux chemins qui délimitent les rectangles figurant les champs.
Fonte des neiges, Huile sur carton toilé de Bernard Lacroix (1999)
On retrouve la même technique picturale dans le tableau Fonte des neiges qui dépasse magnifiquement l'antinomie entre abstraction et figuration. La croix structure l'espace en quatre parties d'aplats rectangulaires. C'est sa forme qui harmonise les contraires ( couleurs froides et chaudes, verticalité et horizontalité), équilibrant l'ensemble dans une belle unité. Si les formes géométriques relèvent de l'abstraction, la figuration d'un village, sur la ligne horizontale, est perceptible au premier regard. La riche palette des couleurs, contrastant avec le blanc, suggère l'éveil du printemps, le jaillissement de la vie au moment de la fonte des neiges.
Le signe de la Croix
Le mot français "croix" vient du latin crux qui signifie "gibet", "potence". La croix n'est pas qu'une forme géométrique abstraite mais une forme signifiante, un signe. Symbole universel, elle n'a pas la même signification dans la culture occidentale que dans d'autres cultures traditionnelles où elle est aussi présente.
Dans la peinture de Bernard Lacroix, le visible renvoie à l'invisible et le profane au sacré. L'arbre blanc, par exemple, est un tableau figuratif qui représente un arbre dénudé : arbre hivernal, arbre mort?
L'arbre blanc, huile sur carton de Bernard Lacroix
La forme de l'arbre, un tronc et deux branches horizontales, est bien évidemment celle d'une croix. Mais la forme et le mouvement des branches, le moignon de branche à l'intersection du tronc et de la branche droite, donnent l'impression d'un corps supplicié, celui d'un homme la tête penchée en avant ( le moignon) dont les bras sont écartelés, ce qui rappelle un poème de Noël de Bernard Lacroix où l'on voit, dans le lointain, " un arbre mutilé/ qui ressemble à une croix".
L'arbre et le corps supplicié ne font qu'un. La coulée de rouge sur le tronc évoque le sang, les aplats de différentes couleurs sur les branches ont figure de blessures. L'ensemble se détache sur un fond où domine le rouge sang flamboyant, couleur de la Passion. Le profane renvoie au sacré : nous sommes en présence d'une Crucifixion.
On retrouve le même rouge et le blanc dans la Croix des Chemins ardents.Au centre de cette croix, un carré jaune, lumineux, pareil à un fanal. La charge symbolique du titre dévoile la signification profonde de la Croix: ces chemins ardents sont ceux de la vie où l'homme doit choisir le sien, sur les pas du Christ.
Enfin, Matin dans le Chablais et Fonte des neiges renvoient à la Résurrection : résurrection du jour, avec toutes les nuances de violets et bleus nocturnes glissant vers le blanc de l'aube, le rouge de l'aurore, l'or du matin ; jaillissement de la vie dans la Croix de la fonte des neiges où chantent les couleurs.
Dans chacun de ces tableaux, l'artiste fait le signe de la Croix.
La Croix, une signature
"C'est avant tout la composition qui prédomine, la ligne, la croix (sic!)" : ce malicieux (sic!) d'Alain Livache joue, à juste titre, sur le nom de l'artiste Lacroix. La forme de la croix est, en effet, une marque stylistique de la peinture de Bernard, une particularité qui rend immédiatement identifiable un tableau,en un mot : une signature.L'artiste place ainsi son nom sous le signe du Christ. Comme pour Alfred Manessier, peindre et prier sont une seule et même chose. L'œuvre d'art devient offrande, louange de la beauté du monde, de la Création divine à laquelle elle participe et qu'elle continue. La peinture de Bernard Lacroix nous invite à la contemplation, au silence. Comme toute œuvre d'art authentique, elle transcende l'actualité, les modes et les vanités de son époque, de toutes les époques.
Élisabeth Bart-Mermin
Notes:
¹Alain Livache, Une peinture avec ou sans sujet in Bernard Lacroix, Catalogue de l'exposition d'Art et d'Histoire d'Annecy, 2001, p. 11.
20:45 Publié dans L'œuvre artistique de Bernard Lacroix | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cézanne, mondrian, manessier, nicolas de staël, alain livache | Imprimer |