jeudi, 15 mai 2014
La civilisation préromaine en Haute-Savoie
Il s'agit de donner un aperçu historique et ethnographique de la Haute-Savoie avant la romanisation, période souvent méconnue et pourtant essentielle à la compréhension de cette région. Notons aussi que l'évolution historique de cette contrée dépend pour beaucoup de sa géographie et de ses caractéristiques topographiques.
Avant les migrations celtes, le sud-est de la Gaule est occupé par une population homogène, les Ligures. D'origine ethnique et linguistique méditerranéenne comme les Ibères dans le Languedoc et en Catalogne et les Italiotes dans la plaine du Pô, les Ligures font partie d'une culture autochtone dérivée de la civilisation agricole et pastorale des temps néolithique, chalcolithique et de l'âge du bronze.
L'arrivée des Celtes, venus de l'est à partir du VIe siècle avant J.-C., ne correspond pas à une rupture brutale mais au contraire à une véritable entente entre ces deux cultures. D'après Strabon, les Celtes et les Ligures partagent le même mode de vie. En l'occurrence, ce sont les Celtes qui vivent comme les Ligures et non l'inverse, preuve de la permanence et de la force des traditions indigènes ( la grande masse de la population étant d'ailleurs constituée de Ligures). Après avoir cohabité, ces deux populations fusionnèrent pour constituer ce qu'il est convenu de nommer, à partir du IVe siècle avant J.-C., la civilisation celtoligure. L'influence des Celtes s'exprime principalement dans l'organisation militaire et le regroupement politique des tribus indigènes.
C'est la tribu celte des Allobroges, nation la plus puissante du sud-est de la Gaule qui s'installa dans l'actuelle Haute-Savoie, une partie de la Savoie et de l'Isère. Vienna est la capitale excentrée de leur territoire, débouché commercial naturel sur l'axe de la vallée du Rhône, mais on compte deux autres villes importantes, aux limites nord (Geneva) et sud (Cularo, Grenoble), correspondant elles aussi à des points de convergence de voies terrestres et fluviales.
TERRITOIRE DES ALLOBROGES
Restitution des limites du territoire des Allobroges superposée à la carte des régions naturelles (d'après M.Paillon)
Les Allobroges étaient surtout connus pour leurs qualités de guerriers, ils étaient aux yeux des romains un peuple rebelle par excellence. La guerre était pour eux une occupation et un métier traditionnels, à tel point que les autres tribus celtes les recrutaient comme mercenaires(gaesati). Ils firent donc partie de nombreuses expéditions militaires, notamment pour venir en aide à leurs cousins de la plaine du Pô, menaçant Rome à plusieurs reprises. Il est intéressant de noter que de tout temps, les régions montagneuses ( Kabylie, Suisse...) ont produit des mercenaires. La rudesse du pays (climat et relief) conjuguée au manque de terres arables facilite en effet cette forme d'exode et cette particularité était aussi vraie pour les Ligures des montagnes avant la venue des Celtes. En 274 avant J.-C., des mercenaires celtes, engagés par les Grecs, ont même fondé un royaume en Anatolie (Galates).
C'est en 154 avant J.-C. que commence l'invasion romaine. Les Massaliotes (Marseille) inquiétés par des tribus celto-ligures (Deciates et Oxubii) demandèrent à Rome de les secourir. Ce fut pour les Romains l'occasion d'étendre leur empire et de régler leurs comptes avec les Celtes qui les avaient si souvent inquiétés. Toutes les nations celtes du sud-est de la Gaule furent soumises une à une. En 121 avant J.-C., les Allobroges, plat de résistance, sont défaits lors de deux grandes batailles et perdent un nombre considérable de guerriers — Tite-Live parle de 120 000 hommes — et même si ce chiffre semble exagéré, il montre la violence des combats et la détermination des indigènes. En 61 avant J.-C., les Allobroges se révoltent une nouvelle fois sous la conduite de Catugnos mais sont de nouveau et définitivement soumis. Les Romains s'attacheront dès lors à transformer les Allobroges de guerriers en agriculteurs. Ils deviennent donc exportateurs de froment, de chanvre, de bois et de vin (vinum frigidum, vin de montagne, et vinum picatum,vin mélangé à de la poix).
La colonisation romaine ne modifiera pas le fond ethnique et culturel de la région d'autant plus que le petit nombre de colons romains qui s'installèrent étaient pour la plupart d'origine Italo-celte et donc cousins des celtoligures.
Il apparaît clairement qu'au-delà des siècles de civilisation romaine, le mode de vie celtoligure va perdurer au Moyen-Âge. Cette continuité est encore plus vive dans les régions de montagne, plus traditionalistes. On retrouve d'ailleurs la force de ce fond culturel commun de l'arc méditerranéen jusque dans les manifestations artistiques du haut Moyen-Âge. Il existe en effet une expression du "premier art roman" commune à la Suisse, la Lombardie, le Piémont, la Ligurie, la Provence, le Languedoc, la Catalogne et que l'on ne retrouve pas ailleurs.
François Ory-Lacroix, Les cahiers du musée n°9
Note de l'auteur: pour écrire ce texte, je me suis largement inspiré de l'ouvrage de Guy Barruol, Maître de recherche au CNRS, Les peuples préromains du sud-est de la Gaule (Éditions De Boccard).
23:14 Publié dans Histoire de la Savoie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : civilisation préromaine, allobroges, françois ory, guy barruol | Imprimer |
jeudi, 01 mai 2014
In memoriam. Jean Lacroix
Lundi dernier, 28 avril, les cloches de Fessy ont tiré la définie* pour notre ami Jean Lacroix. Il nous a quittés discrètement, réglant tous les détails de son départ avec l'élégance du voyageur qui rassure ses proches et son entourage avant de s'embarquer dans une longue aventure.
C'était un grand, un brillant esprit. Agrégé de mathématiques à 23 ans, il a été professeur aux États-Unis puis à l'université Paris VI de Jussieu où il enseignait en master 1 et 2. A la retraite, il était revenu vivre à Fessy, au pays natal. Il avait soixante-dix ans.
Á partir de 2010, quand Bernard est entré en maison de retraite, c'est son cousin Jean qui a gardé ses clés, lui apportait son courrier, s'occupait de ses papiers, l'emmenait régulièrement en promenade. Il avait le souci du rayonnement de l'œuvre de Bernard et participait à notre projet d'association. Nous devions nous retrouver à la fin du mois de juin prochain, à Fessy, pour trier et classer les inédits de Bernard en vue d'une publication de l'ensemble de son œuvre poétique.
Comme tous les grands esprits, Jean Lacroix était humble. Désormais, il est entré dans l'amour silencieux que chante Mozart dans son Requiem.
Élisabeth Bart-Mermin
* "Sonner le glas" se dit chez nous "tirer la définie" ( tira la definia en patois savoyard).
20:17 Publié dans In memoriam | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean lacroix mathématicien, requiem de mozart | Imprimer |