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mercredi, 24 décembre 2014

Les yeux des Tarines (Conte de Noël)

 

conte de noël, conte de haute-tarentaise

Domenico Ghirlandaio, Nativité

 

 

 

 

Rappel :

Noël ou le mystère de l'incarnation dans la poésie de Bernard Lacroix

 

*

 

"Qu'entend'on su ç'lè montagnes?

Bon Diou! Qu'est tô bin arrivô? "

Vieux Noël Savoyard

 

 

 

Quand vint le temps annoncé par les Prophètes, Dieu le Père envoya son Archange à la recherche d'un pays où bêtes et gens cohabitaient, car il est bien précisé dans les Saintes Écritures que le Seigneur naîtrait dans une étable, entre un âne et un bœuf.

 

L'Archange apprit par ouï-dire que dans la Haute-Tarentaise, en hiver pour ne pas mourir de froid, les montagnards n'hésitaient pas à faire chambre commune avec un bétail tenu soigneusement au propre, cela va de soi. C'est ainsi que fut choisi un village de chez nous parce qu'il remplissait toutes les conditions écrites dans la Bible.

 

Mais revenons à notre Ange, ou plutôt à notre Archange, tout retourné par sa haute mission. Car il fallait bien qu'il soit ému, le pauvre, pour débarquer aussi légèrement vêtu (en Ange, quoi!) dans notre rude climat. Il en fut quitte pour de bonnes engelures ( le terme vient de là), une formidable extinction de voix doublée d'une méconnaissance complète du patois local, ce qui lui interdit tout dialogue avec les bergers. Il retourna au Père, muet et transi. Mais les choses étaient si avancées qu'on ne pouvait songer à reculer l'évènement. La Sainte Famille traversait déjà Bourg-Saint-Maurice. Le brouillard profita d'un air de bise pour s'esquiver. La nuit vint, incomparablement claire et belle.

 

Alors l'étoile apparut. Sa présence rassura les illustres voyageurs, ils piquèrent droit dessus.

Nos bergers ne sont pas, comme ceux de Provence, des regardeurs d'étoiles. Le fait qu'ils portent le béret en avant-toit y est peut-être pour quelque chose : ils ne virent rien du phénomène, ils n'entendirent rien de ce qui suit...

 

Dans un village non loin de là vivait une vieille femme qui possédait un âne particulièrement têtu et intelligent, prénommé Baron. Philosophe, il aimait la compagnie, préférait la rue à l'écurie, quêtait un grain de sucre par ci, un quignon de pain par là. Quand il aperçut Joseph, la Vierge, la jolie ânesse toute fière de son auguste fardeau, il se mit à braire si fort, en emboîtant le pas à la petite troupe, que toutes les étables d'alentour sursautèrent.

 

C'est à ce moment précis que le miracle commença.

 

Á leur passage, les portes s'ouvrirent, les étables se vidèrent petit à petit de leurs occupants. Au moindre hameau traversé, de nouveaux arrivants se joignaient au cortège. Il devint rapidement le plus beau cheptel qu'on ne vit jamais en Savoie : des centaines et des centaines de chèvres, de mulets, de moutons, de vaches qui secouaient leurs "potets" de fer battu comme si elles le faisaient exprès. Les sapins en laissaient tomber leur neige d'étonnement, les torrents en perdaient le fil de leur rengaine.

 

Arrivés à l'endroit qui leur sembla propice, quelque part du côté de Beaufort ou d'Arèches, les historiens se chicanent sur le nom du lieu précis, nos pèlerins se rassemblèrent. Un vieux grenier abandonné laissait filtrer entre ses couennaux disjoints une lumière qu'eut enviée Louis XIV pour son Palais des Glaces.

 

C'était là!

 

L'âne Baron se tenait bien droit devant la porte grande ouverte malgré le froid, les oreilles curieusement baissées en "chien de chasse". Le bélier Joxe (1), le bouc Diamant, le taureau Marquis s'avancèrent, suivis des brebis trop émues pour risquer un œil, des Tarines trop curieuses pour ne pas en jeter un. Puis les bêtes satisfaites reprirent le chemin de la vallée.

 

Au matin de Noël nos montagnards, levés tôt pour la traite, ne purent retenir des exclamations de surprise. Jugez-en : les béliers portaient fièrement des cornes tarabiscotées comme en ont leurs confrères de Palestine. Le pelage des chèvres rivalisait en douceur et en couleur avec celui des chamois haut-perchés. Les "potets" de fer battu s'étaient transformés en de merveilleuses clarines, plus brillantes que de l'or ciselé. Quant aux Tarines, leurs yeux semblaient maintenant deux perles d'Orient, enchâssées dans un écrin sombre : les yeux qui virent le miracle, les plus beaux yeux du monde...

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5

 

 

(1) Joxe était le nom du bélier de Marie Lacroix, mère de Bernard,  institutrice et agricultrice, en référence à Louis Joxe, ministre de l'Éducation Nationale dans les années 60 ; un sale caractère de bélier qui, un jour, d'une ruade intempestive, cassa trois côtes à sa patronne. Bernard Lacroix raconte ici un conte traditionnel de Savoie. L'excellent conteur qu'il est brode sur le canevas narratif traditionnel en y ajoutant ses propres motifs.

 

 

 

 

 

vendredi, 19 décembre 2014

L'hiver

bonnefoy sous la neige 13 mars 2013 011.JPG

Photographie JN Bart

 

 

 

 

 

Il va neiger. Tout va disparaître soudain. Il faudra deviner le chemin, deviner les toits, deviner les pâtures où quelques bêtes hirsutes piétinent encore, deviner les bruits assourdis, les gestes défaits, deviner le jour qui vient ou qui s'en va, tendre l'oreille au silence.

Il neige. Je ressemble à l'oiseau qui ne reconnaît plus ses branches et qui cherche un abri pour y blottir son cœur au ralenti. Il me faut des occupations qui ne prennent pas l'esprit, qui ne m'obligent pas à réfléchir.

 

Les gens d'autrefois profitaient de ces moments perdus pour faire un tour de village, payer leurs dettes, s'asseoir un moment autour des poêles brûlants, une tasse de café à la main, deviser de toutes ces petites choses de la vie que les travaux d'été faisaient mettre un peu de côté. On voyait les enfants grandir, les vieux vieillir, les rides s'emparer peu à peu des visages... "Tiens, on est quatre! On ferait bien une petite belotte?" . Le temps s'étirait délicieusement tandis qu'au dehors, les arbres s'agitaient en vain.

Je me souviens que, tout enfant, avec ma cousine Suzanne, il nous arrivait d'accepter, non sans une petite appréhension, l'invitation de Mile à la Bielle qui nous servait dans des tasses douteuses un café non moins douteux. Pour nous étonner, il mettait en route son tourniquet : un vieux mécanisme d'horloge qu'il avait bricolé pour en faire une sorte de petit manège. Il le posait sur une chaise devant sa porte lors du passage de la procession de la Fête-Dieu, exhibant ainsi son seul trésor, sa manière à lui de rendre hommage.

Comment ces pauvres hères se débrouillaient-ils pour survivre? Tant qu'ils avaient les bras solides, on les embauchait pour les travaux des champs, mais plus tard, quand la vieillesse les rendait inutiles, on leur faisait couper du bois, battre la faux, balayer la cour, réparer les paniers... L'hiver, ils allaient d'une ferme à l'autre. Les femmes leur payaient la goutte, les retenaient à dîner par la force des choses, puisqu'ils étaient là, le derrière cloué à la chaise. Pour se "retourner", ils apportaient, en guise de présent, des pommes, des noix sauvées des roues des charrettes, des bouts de fil de fer... "Tiens, je vous ai trouvé une bricole, ça peut toujours servir!". Alors, un vieux malin sortait de sa poche une poignée de clous usagés qu'il avait préalablement soigneusement redressés avec un marteau. 

 

Pendant la période de Noël et du Nouvel An, on faisait une cure de rissoles, de riames (1) ou de mulets (2). Tout ça vous occupait l'estomac pour un bon moment et vous obligeait à boire un peu plus que de coutume. " J'en bet enco yon, pu pas allo à vau! " (3) Le bon prétexte!

La mauvaise saison s'écoulait ainsi doucement, de portes en portes, avec sa provision de gâteries et de nouvelles.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°4

 

(1) Couronnes des Rois.

(2) Pruneaux et raisins secs enrobés de pâte à pain et ensuite bouillis.

(3) "J'en bois encore un, ça ne peut pas descendre!"

 

 

 

lundi, 15 décembre 2014

Crépuscule sur le port

P1010791.JPG

Photographie  JN Bart

 

 

 

Les petites lueurs obstinées s'épuisent

 

    Il ne reste des bruits que des échos épars,

    Les gestes se reposent.

    Les portes closes sont autant de lèvres muettes,

    Le silence de la nuit distille les mots du jour

    Que la lune vient boire.

 

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés

mercredi, 10 décembre 2014

Musique de Savoie et des Alpes

Rappel:

 

Jean-Marc Jacquier et les "musiques vertes".

La musique

 

 


 

vendredi, 05 décembre 2014

La pauvre maison

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La pauvre maison, gouache de Bernard Lacroix

 

 

 

Des lambeaux de ciel éteints

Que des branches avides essayent de saisir

Dégringolent des falaises.

Les arbres n'auront jamais de fruits,

Quelques semblants de feuilles à peine.

 

Et pourtant,

Là dessous,

Une maison semble vivre

Un peu tordue, un peu bancale,

Comme les arbres plus haut décrits.

 

Ce versant n'a pas choisi d'être à l'ombre.

On dirait, vu d'ici,

Que la montagne

Serre son enfant débile

Dans ses bras.

 

 

Bernard Lacroix, Ciels, arbres et labours