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vendredi, 18 octobre 2013

La continuité des formes et leur symbolisme dans les objets et outils traditionnels, 5

 

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La marque à beurre dont Bernard Lacroix analyse le décor dans le texte ci-dessous, dernier extrait de sa conférence

 

 

 

 

La marque à beurre

 

 

Á l'occasion d'un congrès des groupes folkloriques français tenu à Thonon, il y a quelques années, on m'avait demandé de décrire un objet caractéristique de ma collection. J'avais choisi sans hésiter une marque à beurre ou tape à beurre provenant d'Essert-Romand, dont je vais essayer de décrypter les signes qui constituent son surprenant décor :

 

De bas en haut, pêle-mêle :

La croix de Saint-André : signe d'une obédience compagnonnique. Un triangle surmonté d'une croix : marque des Compagnons constructeurs des clochers. Deux rouelles, motif décoratif fréquent sur les objets ou meubles savoyards : vieille représentation du soleil. Un oiseau merveilleusement stylisé. Au-dessus, le rectangle barré en son milieu : signe ésotérique. De nouveau, sur la droite de l'objet : la marque des Compagnons constructeurs des clochers. La lettre M dans une clôture semi-circulaire : la mort conjurée. Deux demi-cercles enserrant chacun une croix : peut-être la "demi-science"  ( le quart de science, la demi-science, la science complète, c'est-à-dire le cercle refermé, sont l'image des étapes obligées de l'apprentissage du Compagnon, concrétisé par l'anneau qu'il portera à l'oreille : le joint).

 

On se rend compte, après cette brève analyse, qu'un bien modeste outil domestique destiné à façonner et à décorer le beurre, s'il ne représente pas une grande valeur marchande, puisque de nos jours il faut toujours parler d'argent, est d'une richesse documentaire inestimable. Probablement le travail d'un Compagnon Charpentier au gré d'un chantier à Essert-Romand ou ses environs, destiné peut-être à remercier son logeur ou pour faire honneur à une jeune fille, pourquoi pas, le récit imagé d'une aventure, d'un parcours, d'un passage, d'un savoir, d'un souvenir... que l'on découvre avec émotion et surprise. Miraculeusement intact, sauvé de l'indifférence et du mercantilisme, il réussit, à l'aube du troisième millénaire, à retenir notre regard, à aiguiser notre curiosité et notre réflexion.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°8