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vendredi, 17 août 2012

En relisant Cristina Campo

Bernard Lacroix, Cristina Campo, Les Impardonnables

La Dent d'Oche vue de Saint-Paul-en-Chablais. Photographie JN Bart

 

 

Je viens de relire l'ouverture du magnifique essai de Cristina Campo, La flûte et le tapis, que voici:

 

" Á quoi se réduit désormais l'examen de la condition de l'homme, si ce n'est à l'énumération, stoïque ou terrifiée, de ses pertes? Du silence à l'oxygène, du temps à l'équilibre mental, de l'eau à la pudeur, de la culture au règne des cieux. En vérité, il n'est pas grand chose qui se puisse opposer aux inventaires de l'horreur. Le tableau semble tout entier celui d'une civilisation de la perte, à moins d'oser encore l'appeler civilisation de la survie, car même dans cet âge d'après le déluge, même dans ce règne d'indigence démesurée, on ne saurait exclure un miracle : la persistance d'un insulaire de l'esprit, capable de dresser la carte des continents engloutis.

Mais la perte suprême, germe et circonférence de toutes les autres, est celle dont on ne prononce pas le nom. Il en va toujours ainsi. D'ailleurs, comment serait-il possible que des créatures, une fois mutilées de l'organe même du mystère − de l'oreille de l'âme, disait Pasternak − réalisent avoir perdu leur propre destin?

La méditation des Anciens roulait autour de cette idée irrécusable : Fatum ou verdict de Sibylle, daimôn d'Homère ou astre de César, Sirius brassant les eaux des abysses marins ou fixe Étoile polaire − ou cet Esprit qui gouverne les planètes comme les planètes gouvernent les humeurs des vivants et dont Léonard fut le témoin ; ou ce que les Chrétiens appelèrent toujours par son nom : vocation." (1)

 

Jusqu'à présent, je connaissais un "insulaire de l'esprit", un ami cher, critique littéraire et poète. Aujourd'hui, j'ai pensé que Bernard Lacroix en est un aussi, que toute son œuvre dresse la carte d'un continent englouti, que c'était là sa vocation et qu'il a su y répondre.

 

Tu ne pourrais pas être née à une meilleure époque que celle où on a tout perdu.(2)

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

(1) Cristina Campo, La flûte et le tapis in Les Impardonnables, ( Éditions Gallimard, coll. L'Arpenteur, 2002) pp. 146-147.

(2) Simone Weil, L'harmonie sociale in La pesanteur et la grâce ( Éditions Plon, coll.Agora, 2007) p. 270.

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