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jeudi, 12 octobre 2017

Portraits en pied, tome II, de Jean-Claude Fert

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Nous avons déjà évoqué ici et les sculptures de Bernard Lacroix sous le regard de Jean-Claude Fert. C'est un grand bonheur de les retrouver dans le dernier ouvrage paru, Portraits en pied, tome II, dont voici la préface:

 

 

Il est probable que mon regard sur les sculptures de Bernard Lacroix ne soit pas celui de tout le monde et même que des esprits malintentionnés l'assimilent à du détournement d'œuvres. À cette éventualité, je réponds : détourner de quoi? Je ne détourne rien, je constate. Ils me sautent aux yeux, ces petits gars ; ils imposent leurs titres. La preuve? Essayez de les changer, juste pour voir... Alors? Vous voyez bien que vous n'y arrivez pas parce qu'on ne peut pas changer, comme ça, pour rigoler, le nom des choses et des gens. Albert Camus a dit : " Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" et ce n'était pas un imbécile, Camus!

Ce sont des portraits pris sur le vif. Assez souvent à l'insu de ceux qui ont posé. Un vrai travail de paparazzi. Qu'ils viennent seulement me dire qu'ils ne se reconnaissent pas! J'ai amassé suffisamment de preuves...

Ils peuvent me faire tous les procès du monde, je les attends de pied ferme.

 

Qu'est-ce qu'ils faisaient tous ensemble dans l'atelier de Bernard Lacroix? C'est le grand mystère. Comment n'ont-ils pas réussi à s'échapper? Ou plutôt, comment pouvaient-ils être là et sur France-Culture, là et à la télé, là et sur les pistes de ski, là et sur une île des Maldives? D'où leur vient cet incroyable et infatigable don d'ubiquité?

Et surtout, comment peuvent-ils avoir tous, eux si différents, le même géniteur?

Il fallait qu'il soit bigrement doué, ce père biologique pour engendrer une pareille faune.

 

Jean-Claude Fert

 

 

 

Quelques aperçus de cet ouvrage en vente à la galerie Fert:

 

 

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Série "Figures sympathiques du terroir corse" : Yvan Pietri dit Presse-Purée

 

 

 

 

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Série "Figures de la pensée contemporaine" : Michel Onfray

 

 

 

 

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Série " La rentrée des classes" : Maman d'hyper actif se présentant à la maîtresse, son fils solidement coincé entre ses jambes

 

 

 

 

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Série "Les drames de l'alcool": Alain Finkielkraut, nu comme un ver, chantant des chansons grivoises debout sur une table, à l'issue d'un banquet. ( portrait volontairement flouté)

 

 

 

 

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Série "Les voisins" : Couple de procéduriers particulièrement chiants

 

 

 

 

 

 

samedi, 28 mars 2015

Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix

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L'arbre blanc, huile sur carton (32×23) de Bernard Lacroix

 

 

 

 

Bernard Lacroix est donc mort lucide dans la tombée du soir.

 

Il est mort à l'aube du printemps, bien qu'il eût sans doute souhaité, lui, le chrétien, mourir un peu plus tard, pendant un de ces jours de la Passion, qui avait fait dire trente ans avant à Jacques Miguet alors agonisant, que souffrir et mourir à cette époque était un honneur...

 

J'ai connu Bernard au début des années soixante, dans son musée naissant. Il était encore le paysan-poète que, dans le fond, il n'a jamais cessé d'être. Il publiait déjà ses poèmes, enrichissait jour après jour son musée, conscient que, s'il ne le faisait pas, personne ne le ferait à sa place, ou alors le ferait trop tard. Il jouait du piano, dessinait merveilleusement et peignait, quand il le pouvait, tout en continuant à s'occuper de ses arbres et de cette terre dont il était bâti. Il se mettra assez rapidement à la sculpture, ou plutôt à la récupération et à la réutilisation de tous les objets délaissés de ce monde paysan dont l'usage était devenu obsolète, pour leur redonner une seconde vie, faisant là aussi, patiemment, œuvre de sauvegarde. Rien de ce monde agricole, alors réduit dans son village comme ailleurs, à une survie illusoire, ne devait disparaître... Tout devait être conservé ou métamorphosé. Merveilleuse et ironique revanche, par la grâce de cet homme, de ces outils séculaires condamnés ailleurs à l'abandon et au mépris. Un monde millénaire s'écroulait sous ses yeux? Qu'importe, il allait en transcender la dépouille! Ce devoir de mémoire qu'il s'infligea jusqu'à l'épuisement le verra donc immortaliser des milliers d'objets d'un quotidien condamné, constituant, avec une patience et une fièvre indispensables, une collection sans équivalent. Il procédait aussi en cela à légitimer et à conforter l'œuvre de cet autre homme exceptionnel, auquel il vouait admiration et respect :

Jacques Miguet, qui avait entrepris une action culturelle hors normes dans ce qui était encore un coin de la campagne française, d'abord au cœur de Douvaine puis dans ces "granges de l'esprit" qui continuent, grâce à une poignée de veilleurs, à éclairer des étés qui en ont bien besoin. Jacques Miguet, médecin à la culture universelle, pour qui Bernard écrira cet émouvant poème posthume, Le Berger, et dont il défendra avec vigueur les choix dans tous les domaines de l'esprit.

 

Très vite la renommée de Bernard dépassa son village où nous sommes aujourd'hui rassemblés. Cet homme de goût s'éprit alors de Nernier , petit joyau, où il eut l'opportunité d'acquérir l'ancienne fruitière qu'il restaura avec ferveur et respect, la transformant en ce qui allait devenir le Musée du lac où il accueillit pendant de nombreuses années des artistes confirmés ou en devenir. Nernier où les soirs d'été n'en finissaient plus, donnant au village des airs de Saint-Paul-de-Vence mais où le vin blanc frais, servi sous les tonnelles, pouvait s'avérer, à la longue, d'une efficace et redoutable traîtrise...

 

Bernard était musicien. Pas seulement l'organiste du couvent de La Visitation — que d'admiratrices à son corps défendant! — mais il était aussi un pianiste talentueux. Je me souviens des soirées d'été de la fin des années soixante où il avait installé son piano dans la salle en pierre de ce qui n'était pas encore la galerie dans laquelle il nous fit l'honneur d'exposer, et je me souviens que le public lui demandait de jouer les morceaux les plus divers et les plus invraisemblables, il connaissait tout. Il jouait tout.

 

Bernard était un conteur.Un conteur inégalable. Les histoires les plus anodines prenaient dans sa bouche des dimensions épiques et les rires qu'elles déclenchaient étaient inarrêtables. Sa voix, si particulière, et ses intonations, donnaient à ses récits une saveur rare. Les histoires de Bernard Lacroix... Il y a dans cette assemblée des gens qui se souviennent de ces histoires mémorables... Du mulet qui refusait de tirer le char quand il arrivait devant le panneau Cervens à l'inséminateur souffreteux dont la maigreur laissait la vieille fermière dubitative, le monde paysan était au cœur de cet humour tendre et déjanté... Des milliers de blagues que lui seul savait raconter...

 

Bernard avait mille choses à faire si bien que parfois il oubliait d'honorer de sa présence les repas auxquels il était invité. Quand on lui téléphonait avant de se mettre à table, on devinait au ton de sa voix qu'il avait oublié l'invitation mais il se reprenait de suite : "figure-toi qu'au moment où j'allais venir, ma mère s'est sentie mal, j'ai dû rester...". Il nous l'a servie quelques fois, celle-là... Une chose était pourtant vraie : l'amour qu'il portait à sa mère. Il y avait dans sa chambre, à Cervens, une photo de groupe jaunie où elle figurait dans la fraîcheur de la jeunesse et il se plaisait à dire : "regarde comme elle était belle..."

 

Bernard possédait tous les dons. Sauf celui de la finance. L'argent était quelque chose d'abstrait. Et puis ça changeait tout le temps ; alors, pour ne pas s'embrouiller, il convertissait les euros en anciens francs de sa jeunesse, ce qui donnait des situations cocasses comme ce jour pas si lointain où, à la stupeur générale, il déclara devant un auditoire ébahi qu'il lui restait deux jours pour payer le solde de son impôt sur le revenu qui s'élevait à ... "deux millions"! Je vous laisse le soin de la conversion...

 

Et puis vint le temps de la souffrance.

Oh, certes, la souffrance, Bernard Lacroix l'avait connue et apprivoisée depuis belle lurette ; la souffrance indicible ; la souffrance inexprimable ; la souffrance muette... Mais là encore, une vie d'exception menée tambour battant avait laissé derrière la porte des limbes la tristesse du souvenir enfoui. Il y a plusieurs vies dans la vie d'un homme et cette souffrance vécue dans l'enfance s'est dissoute, chassée par le talent et la dimension de cet homme hors du commun.

Non, la souffrance dont il nous faut parler, c'est celle du corps qui abandonne dans une chambre celui qui devra désormais se battre pour tenir un pinceau ou une plume. Oh, certes, il nous faut rendre hommage au dévouement et à l'élégance de la direction et du personnel de la maison de retraite de Cervens qui ont permis l'aménagement en atelier de la chambre voisine de celle de Bernard, l'autorisant ainsi à poursuivre, à son rythme, son travail de peintre et de poète, étant entendu qu'il lui était devenu impossible, physiquement, de souder le métal nécessaire à son travail de sculpteur. On avait lancé un défi à Bernard après son accident cardio vasculaire : peindre à son rythme et selon son désir et voir si le résultat pouvait faire l'objet d'une exposition. Bernard y parviendra, au-delà de toute espérance. En 2013, il y a moins de deux ans, on pouvait présenter son travail à Yvoire et l'année dernière il exposa des collages sur les murs que la direction de la maison de retraite avait mis à sa disposition.

Mais la souffrance était la plus forte d'autant plus qu'à la paralysie s'ajouta un mal dévastateur qui ne laisse que peu d'espoir à ceux qui en sont atteints. Bernard aura toutefois gagné son dernier combat : celui contre la déchéance. Il est mort dans la lucidité et, à ne pas douter en ce qui le concerne, dans l'espérance.

 

 

Jean-Claude Fert   

 

 

 

vendredi, 08 novembre 2013

Exposition de peintures et sculptures de Bernard Lacroix à la galerie Fert

 

 

 

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Vierge à l'enfant, sculpture de Bernard Lacroix, photographie Galerie Fert

 

 

 

 

Chers amis, il vous reste quelques jours pour aller voir l'exposition de peintures et sculptures de Bernard Lacroix à la galerie Fert (1), jusqu'au 11 novembre. Comme l'écrit Serge Coste dans son excellent article ( Le Faucigny du 19-09-2013), c'est une exposition exceptionnelle qui rassemble des peintures récentes et d'anciennes sculptures de l'artiste.

 

 

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Bernard Lacroix, Crépuscule d'automne, huile 22×27

 

 

 

Exposition exceptionnelle parce qu'elle nous présente l'œuvre d'une résurrection. Victime d'un accident cardiovasculaire en 2010, Bernard a perdu l'usage de son bras gauche et de ses jambes. Il ne peut plus sculpter ni jouer de l'orgue ou du piano, mais ce savoyard a la tête dure, une tête qui pense et rêve. Toujours malicieux et plein d'humour, il laisse le naufrage de l'âge aux hommes de pouvoir et aux célébrités, lui qui a vécu toute sa vie en homme libre loin de toute coterie, et créé dans l'ombre de ses montagnes, à la lumière du lac et du ciel, une œuvre artistique et poétique protéiforme dont il reste à sonder la profondeur sous son apparente simplicité.Il continue de peindre, entre les quatre murs du petit atelier aménagé pour lui dans sa maison de retraite. Ces conditions de vie et de travail ont changé sa peinture, nous dit Serge Coste: " Bernard Lacroix a rompu avec [...] ces successions de petits aplats qui se dévoilaient lorsqu'on prenait un peu de recul et nous happaient lorsqu'on s'approchait de trop près. Ces couleurs mauves, rouges et bleues qui se juxtaposaient jusqu'à se fondre, obligeant l'œil à en chercher les frontières, à imaginer le paysage avant qu'il ne devienne une évidence. Sans oublier cette structure si particulière, en croix. Comme son nom l'indique..." . Aujourd'hui, en fauteuil roulant, sans possibilité de recul dans un atelier de quelques petits mètres carrés, " la proximité avec la toile l'oblige à procéder par petites touches. Les couleurs se côtoient plus vite et gagnent en éclat, à défaut de profondeur. " Serge Coste s'interroge sur le contraste avec ses anciennes œuvres, et sur le paradoxe avec la condition physique actuelle de l'artiste : " Et si toute cette clarté, cette profusion de couleurs n'étaient qu'un cri de désespoir ?" La réponse est peut-être à chercher dans l' œuvre poétique de Bernard Lacroix, empreinte des mystères de l'Incarnation, de la Passion et de la Résurrection.

 

*

 

J'ai déjà évoqué les sculptures de Bernard Lacroix ici.

On retrouve dans cette exposition le tandem de Portraits en pied, la fantaisie poétique de Bernard associée à l'humour ravageur de Jean-Claude, qui n'épargnent aucun travers, dérive ou  absurdité de notre société, sans oublier nos amis suisses.Voyez un peu:

 

 

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Série: Concours international de sournoiserie. Le vainqueur dans les moins de 60 kgs.

 

 

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Série: Figures du grand banditisme. La Suisse aussi Pierre-Alain Bolomey dit pierrot le Vaudois.

 

 

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Série: Hommage à Auguste Rodin. Balzac cramoisi.

 

 

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Série: La destruction accélérée des milieux naturels. Couple de hiboux condamnés à se produire dans de minables spectacles de French Cancan.

 

 

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Série: La poésie n'est plus ce qu'elle était. Famille de gerfauts en surpoids peinant à décoller du charnier natal.

 

 

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Série: La vie associative. Le président départemental de l'association de défense des éjaculateurs précoces.

 

 

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Série: Le boum de l'enseignement confessionnel. Exhibitionniste attendant discrètement la sortie des filles devant une école catholique du canton de Fribourg.

 

 

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Série: Le siècle de la polyvalence professionnelle. Le cracheur de feu râteau faneur.

 

 

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Série: Les animaux disparus. Le gobeur de guêpes.

 

 

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Série: Les animaux utiles. Le scieur de camping-cars.

 

 

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Série: Les arnaques de l'été. Famille de pachydermes abandonnée sur une île des Maldives par une agence de voyage véreuse.

 

 

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Série: Les évêchés peinards. L'évêque de Parténia.

 

 

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Série: Les forces armées des pays neutres. Mouettes vaudoises dressées pour le combat rapproché.

 

 

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Série: Les grandes religions. La transmigration ou réincarnation des âmes, après la mort, chez les bouddhistes Roselyne Bachelot.

 

 

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Série: Les grands ordres nationaux. L'ordre national de l'imposture. Un récipiendaire heureux.

 

 

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Série: les grands sentiments. Jeune homme timide déclarant sa flamme tout en essayant de masquer un début d'émotion avec son bouquet de fleurs.

 

 

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Série: Les jeux olympiques chez les échassiers. Deux grues à l'arrivée du 100m plat (Photo finish)

 

 

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Série: Les métiers à fric. Le poseur d'implants dentaires.

 

 

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Série: Les métiers d'autrefois.Le montreur de hiboux.

 

 

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Série: Les traditions en Occident Mardi Gras.Rocco Siffredi déguisé en fantôme.

 

 

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Série: Luttons pour l'intégration et l'emploi des roms. Hibou roumain se faisant passer pour un manchot auprès des dames âgées, une aile habilement escamotée sous sa veste.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

(1) Exposition Bernard Lacroix.

Galerie Fert

Grand Rue

74140-Yvoire

Du mercredi au dimanche, de 14h à 19h.

Merci à la galerie de m'avoir transmis ces photographies.

 

   

 

 

 

 

 

 

lundi, 30 juillet 2012

Portraits en pied, sculptures dérobées chez Bernard Lacroix, de Jean-Claude Fert

Comme nombre de chablaisiens exilés, je n'ai pas pu voir la dernière exposition des sculptures de Bernard Lacroix à la galerie Fert. Je me suis consolée en revenant à un ouvrage publié dans les années 90, Portraits en pied¹, un recueil de photographies des sculptures de Bernard commentées par Jean-Claude Fert, patron de la susdite galerie. Croyez moi, il y a là largement de quoi se consoler! Bernard Lacroix et Jean-Claude Fert, quel tandem! Á eux deux, ils feraient pouffer de rire une impératrice d'Autriche baladant son spleen sur les bords du Léman...

Voyez plutôt. Ceci, par exemple:

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SÉRIE: Le mal de vivre.

Adolescente neurasthénique

Ou cela:

couple adepte du piercing.jpg

SÉRIE: La libération des mœurs est-elle irréversible?

Couple adepte du piercing.

Et aussi:

famille de chouettes dans l-attente d-un donneur.jpg

SÉRIE: Les progrès de la médecine

Famille de chouettes dans l'attente d'un donneur.

 

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SÉRIE: Les joies de la famille.

Fille unique.

 

Jeune grue clitoridienne.jpg

 

SÉRIE: Le vie intime des échassiers.

Jeune grue clitoridienne.

 

la gamine des voisisns.jpg

SÉRIE: Apprenons à vivre ensemble.

La gamine des voisins.

 

le delinquant sexuel.jpg

SÉRIE: Apprenons à repérer les déviants.

Le délinquant sexuel.

 

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SÉRIE: Léman sans frontière.

Mouette stagiaire à la brigade du lac de Clarens (Canton de Vaud)

 

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SÉRIE: Luttons ensemble contre la précarité.

Perroquet employé à mi-temps aux renseignements généraux.

 

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SÉRIE: Les enjeux du sport.

Petit groupe de resquilleurs.

 

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SÉRIE: Le panel des radios libres.

Une auditrice de Radio-Thollon.

 

Vous n'avez là, chers lecteurs, qu'un aperçu d'un ouvrage qui comporte soixante-quatorze photographies commentées où se croisent deux regards aussi malicieux l'un que l'autre: celui de Jean-Claude sur les sculptures de Bernard et celui de Bernard sur ces objets abandonnés auxquels il redonne vie, dans la lignée du Récup'Art d'Ambroise Monod ( le fils du grand naturaliste Théodore Monod, soit dit en passant). Á vrai dire, je me demande si Bernard Lacroix n'a pas inventé le Récup'Art avant Monod dont le manifeste date de 1969, lui qui a commencé de collectionner dès les années 50 les anciens outils agricoles et pièces détachées de toutes sortes. Peut-être même qu'enfant, il s'amusait déjà à façonner de telles créatures cocasses avec ce qui lui tombait sous la main.

On retrouve dans Portraits en pied la même complicité entre l'artiste et son interprète que dans le recueil Croquis Minute . L'un et l'autre posent le même regard moqueur sur les travers de notre société. Bernard Lacroix détourne les objets dont il connaît parfaitement l'identité et l'usage ( fer à cheval, étrier, poignée en fer forgé, soc de charrue...) , les assemble pour forger ces étonnantes créatures, caricatures parfois pleines de grâce. Ces animaux évoquent les hommes et comme dans les fables de La Fontaine on ne sait pas très bien si l'animal est le masque de l'homme ou le contraire. Á son tour, Jean-Claude Fert détourne les mots ( de préférence les grands mots des langues de bois) de sorte que la charmante niaiserie de ces créatures qui nous ressemblent se révèle d'un comique irrésistible. Vous avez une adolescente neurasthénique, la gamine des voisins vous agace, autour de vous on resquille, on dévie, on ne sait où donner de la tête avec le "Progrès"? Et alors? Riez de vous voir si drôles en ce miroir!

 

Ensuite, frères humains, regardez ailleurs. L'ouvrage se termine par quatre œuvres religieuses: deux Vierge à l'Enfant, une Nativité, une Pietà. C'est à partir d'elles, de ce point de vue là, qu'il faut vous mirer dans le fantasque bestiaire de Bernard Lacroix. Ce chablaisien serait-il anarchiste? Quel culot! Déguiser le sacré en bouts de ferraille!

 Et bien, non! Comme nous l'a enseigné saint François d'Assise, le Poverello, le Christ, Dieu fait homme, est descendu très bas, au plus bas de la condition humaine, pourquoi ne descendrait-Il pas dans ces humbles objets rescapés de l'ancien monde? N'était-Il pas présent dans le dur labeur des paysans qui utilisaient ces outils? Hommage à la mémoire de nos ancêtres, représentation émouvante du mystère de l'Incarnation, ces quatre œuvres ont leur place dans l'art sacré d'aujourd'hui.

Si elle se rattache au Récup'Art, l'œuvre sculptée de Bernard Lacroix s'en distingue par son style et son inspiration. Il ne récupère pas n'importe quel déchet mais des objets en fer forgé, annoblis par l'usage qu'on en faisait. De sa collection prestigieuse rassemblée au musée Arts et traditions de Fessy à ses sculptures d'une esthétique très contemporaine, la boucle est bouclée. Il s'adresse à nous avec les moyens d'expression de notre époque mais puise son inspiration dans sa foi chrétienne et ses racines: de là lui vient ce regard distancié, ironique et finalement très joyeux, sur le monde qui s'en va et sur celui qui vient.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

 

 

¹  Jean-Claude Fert, Portraits en pied,Sculptures dérobées chez Bernard Lacroix ( Éditions du rempart, non datée). Cet ouvrage est toujours en vente à la galerie Fert ( 10€) que je remercie de m'avoir transmis ces images.