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vendredi, 17 octobre 2014

Les noix

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Pendant les longues veillées de novembre et décembre, on cassait les noix avant de les porter au moulin pour en faire de l'huile. De couleur brunâtre, l'huile de noix était utilisée pour la salade. On la mélangeait avec l'huile de colza pour en atténuer le goût très fort, jamais pour la friture puisqu'elle ne supportait pas la cuisson.

 

Le cassage de noix : l'aucale, était prétexte à de joyeuses soirées, émaillées de rires et de chansons. Chacun apportait son marteau et une pierre plate pour ne pas endommager le bois de la table. Les femmes pouvaient emporter les brisures dans leur tablier pour couvrir le feu en rentrant à la maison. C'était une tolérance, comme pour remercier celle qui était venue, ce qui montre à quel point le moindre combustible était précieux.

 

J'ai connu deux huiliers : Manillier à Perrignier et Chevallet à Langin-Bons. Leur matériel a été miraculeusement conservé. L'huilerie de Langin est en état de parfait fonctionnement et vaut la visite : un ensemble impressionnant de poulies, de rouages, de meules, supportés par d'énormes poutres de châtaignier.

Les noix débarrassées de leur coquille étaient écrasées finement dans la conche par une grosse meule de pierre, puis chauffées et pressées une ou deux fois de suite.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5

vendredi, 12 septembre 2014

Le cidre

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Je suis de ceux qui déplorent la disparition inéluctable des vieilles variétés d'arbres à cidre qui donnaient, outre leurs fruits savoureux, les plus belles fleurs du printemps et les plus riches couleurs de l'automne. Á cela deux raisons : les arbres arrivés au bout de leur longue vie, le cidre remplacé sur les tables et dans les tonneaux par les vins et les apéritifs. Disparus aussi, par le fait, les bois fruitiers appréciés par les amateurs de beaux meubles.

 

Dans nos vergers, le long de nos chemins, croissaient de nombreuses espèces de ces arbres dits sauvages. Les poiriers, souvent de grande taille, à la forme triangulaire, les basses branches étalées, se rétrécissant jusqu'à la cime pointue. Leurs fruits portaient des noms typiquement locaux puisqu'il ne s'agissait pas d'espèces officielles :

 

- Les poires maudes (aux fruits gros, lourds, sucrés et juteux)

- Les blessons (sucrés et vite blets d'où leur nom)

- Les vouargnes

- Les normands (au goût âcre et à la chair dure, pour la conservation et

  la limpidité du liquide)

- Les crottes

- Les rossalettes

- Les ducas

 

Les pommiers, de taille plus modeste, à la frondaison semblable à une

chevelure, à la végétation compacte et aux bas rameaux pendants :

 

- croésons de Boussy

- croésons rouges

- croésons de Barsiron

- croésons de Langin

- croésons blancs

- barrolées (vertes striées de rouge)

 

 

Pommes et poires étaient mélangées avec soin selon un dosage qui faisait, par exemple, que le breuvage était plus ou moins limpide, de courte ou de longue conservation... Si les enfants se délectaient du cidre doux sortant du pressoir, sans songer un instant aux conséquences pourtant prévisibles de leur gourmandise, on attendait qu'il "pique" pour le boire, c'est-à-dire au début de la fermentation. Après quoi il trouvait sa vraie nature : plus ou moins clair, plus ou moins acide, plus ou moins âcre, suivant le choix des espèces, leur qualité, l'état des tonneaux et le soin apporté à sa fabrication.

 

Une fois fait, on le transportait dans la cave avec une brinde ou brande, sorte de hotte à douves cerclées de bois et on le versait dans le tonneau à l'aide d'un grand entonnoir : le collieu.

 

 

    Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5

                     

 

 

mardi, 08 juillet 2014

Pour la moisson

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Dans le Bas-Chablais, les femmes s'habillaient de blanc pour la fabrication du pain, mais aussi pour la moisson où leur travail consistait à ramasser le blé derrière les faucheurs pour confectionner les gerbes. Respect devant le résultat d'une récolte durement acquise, respect du pain à venir, nourriture unique et sacrée.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°7

vendredi, 20 décembre 2013

Noël autrefois, en Chablais

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Ludovico Cigoli (1559-1613), Nativité (détail)






"Les Noëls de mon enfance : quelque chose de mélodieux, de silencieux, de limpide..."

Bernard Lacroix


Au village de Novel, une bien jolie coutume voulait qu'au retour de la Messe de Minuit on conduisît les hôtes de l'étable à l'abreuvoir collectif, pour qu'ils puissent y boire l'aidye floria (1). Cela nous venait sans doute de nos lointains ancêtres celtes qui avaient le culte de l'eau. Au même moment, dans d'autres villages, on donnait aux vaches une ration de regain, au cheval ou au mulet une bonne mesure d'avoine arrosée d'un verre de vin blanc. Dans les hautes vallées, la nuit de Noël, on remettait aux bêtes les cloches de l'été bien astiquées pour la circonstance. Entre nous, elles devaient bien se demander ce qui se passait dans la tête de leur propriétaire, pour quelle mystérieuse pâture on les apprêtait ainsi?


*


Le Père Noël était aussi pauvre que ses protégés, il n'avait même pas les moyens de s'offrir un mulet. Il allait à tâtons avec un vieil âne, suivi de près par le Père Fouettard, sa hotte pleine de ouistes (2) bien flexibles pour les enfants terribles. Les cadeaux : une pomme, une orange... plutôt une utile paire de chaussettes ou de galoches, dont les clous neufs brillaient près du fourneau.


*


Les filles trouvaient le plus souvent dans leurs sabots un petit nécessaire à couture. J'en parlais à la Louise à Barraud : elle me sortit d'une petite boîte le présent de Noël de ses dix ans, un dé à coudre et deux aiguilles. Comme je m'étonnais de leur état neuf :

" Je croyais que c'était le dé à coudre de la Vierge Marie, je ne m'en suis jamais servi et depuis, chaque soir de Noël, je les sors un petit moment!"


*


On était heureux avec ça. Les pommes, c'était l'été en hiver, les oranges venaient du pays de l'Enfant Jésus, et par quel miracle? Aujourd'hui, les enfants savent que le Père Noël est une légende périmée. Pourtant, l'autre jour à Annemasse, on pouvait en rencontrer un tous les vingt mètres. Faudrait savoir!


*


Les Noëls de mon enfance : quelque chose de mélodieux, de silencieux, de limpide... La Messe de Minuit, le Minuit Chrétiens, Les Anges dans nos campagnes et, au retour, l'hiver apaisé, les petites lumières dans la montagne... qui "péclotent" à jamais dans mon cœur.


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10.


(1) L'eau fleurie.

(2) Baguettes. Ces verges, faites de rejets de noisetier, étaient à la fois souples et droites comme des "i". Le mot lui-même cingle comme un fouet.

 

 

jeudi, 19 décembre 2013

Pour Noël, la recette des rissoles chablaisiennes

 

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Dans mon enfance, un Noël sans rissoles eût été impensable. Ma grand-mère les faisait à la pâte feuilletée qu'elle mettait une journée à confectionner. Elle la faisait en huit tours, ou huit pliages, avec au minimum vingt minutes de repos entre chaque tour, puis la pâte achevée, l'étalait au rouleau, découpait des petits rectangles qu'elle garnissait d'une farce à base de poires d'hiver dites "poires curé". Dans la recette des Cahiers du musée, les rissoles sont faites avec de la pâte brisée, c'est plus facile! Le plus difficile est de trouver aujourd'hui ces poires d'hiver, peu juteuses et qui se conservent longtemps.


EBM

 

*

 

Recette des rissoles à la Chablaisienne :

 

On choisira des poires restant fermes à la cuisson : "poires loup" ou "poires curé", deux vieilles variétés chablaisiennes, hélas de plus en plus rares. Les faire cuire à part.

Faire tremper des raisins secs dans de la gnole de poires. Ajouter un verre de vin rouge, de la cannelle, de la muscade, du sucre, de l'écorce d'orange confite. En faire une farce consistante puis mélanger avec les poires cuites.

On utilisera pour confectionner les chaussons de la pâte brisée et on les cuira à la poêle avec du saindoux.

 

Recette de la ValléeVerte communiquée par Madame Anne-Marie Sechaud pour Les Cahiers du musée n°6

vendredi, 01 novembre 2013

La Toussaint

 

 

 

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C..D.Friedrich, Brumes

 

 

Remise en une d'une note publiée le 1-11-2012.

 

 

 

Dans la tragédie de Sophocle, Antigone est condamnée à mourir emmurée vivante pour avoir jeté une poignée de terre sur la dépouille de son frère Polynice auquel le roi Créon a réservé un châtiment inhumain : la privation de sépulture. Ce geste et le rituel qu'accomplit Antigone signifient que Polynice, tout criminel qu'il fût selon la loi de la Cité − la loi des hommes −, reste un être humain au nom d'une "plus haute loi", qui n'est pas celle des dieux grecs, selon María Zambrano pour qui Antigone incarne "l'aurore de la conscience", mais "une loi au-dessus des dieux et des hommes, plus ancienne qu'eux" (1). La conscience de l'être humain est née avec les rites qui signifient qu'il ne peut pas traiter son semblable mort comme un déchet, elle est née avec le passage du "cadavre" à la "dépouille" (2). Par delà leurs innombrables formes, rien de plus universel que les rites funéraires et le culte rendu aux morts. Si le génocide du peuple juif au cours de la seconde guerre mondiale est un crime sans précédent, c'est parce qu'en brûlant les "cadavres" dans des fours crématoires sans sépulture, en les charriant avec des pelleteuses pour les jeter dans des fosses, en les utilisant industriellement comme des déchets recyclables, les nazis ont détruit ce sacré sans lequel il n'est point d'humanité. L'idéologie nazie n'est pas un retour en arrière, elle est éminemment moderne dans sa rupture radicale avec la tradition, son fantasme d' homme nouveau, sa volonté de détruire le sacré, d'annihiler toute transcendance.

 

*

 

Dans l'ancien monde rural, chaque région avait ses propres rites et coutumes en plus de la liturgie chrétienne. Bernard Lacroix les évoque dans ses Notes sur la vie d'autrefois en Chablais :

 

" Je vois encore ma tante Emelie fermer les volets à demi et s'agenouiller sur une chaise, pendant le passage d'un enterrement. La mort faisait partie intégrante de la vie communautaire : on veillait les morts, on rendait visite à la famille, on l'aidait à accomplir les travaux journaliers. Dans les temps plus lointains, dans certains villages une coutume voulait qu'on offrît le sel aux parents et amis venus de loin. Inutile de préciser que le sel était cher et rare. Une autre coutume voulait que l'on fasse porter le deuil du maître de maison aux abeilles, en nouant un crêpe au sommet des ruches. On enlevait également les sonnettes aux vaches et on les faisait jeûner d'un "morceau" le jour de la sépulture. Le deuil durait six ans pour les parents proches : quatre ans de grand deuil, deux ans de demi-deuil. [...] Autrefois, en Savoie, les couleurs du deuil étaient le blanc, le bleu, le brun, le violet..."

 

Outre que ces coutumes relèvent de cette poésie indispensable à l'âme dont parle Simone Weil,  elles témoignent d'une tout autre vision de la mort que nous avons perdue, magnifiquement étudiée par l'historien Philippe Ariès (3). Comme le dit Bernard Lacroix, la mort faisait partie de la vie. Philippe Ariès parle d'un "apprivoisement" de la mort, d'une mort "domestiquée" qu'il oppose à la mort "sauvage" d'aujourd'hui. Notre époque refuse de voir la mort, la rejette hors de l'espace vital, la ressent comme une rupture alors que l'ancien monde rural la percevait dans la continuité. Jadis, on associait au deuil les animaux ( vaches, abeilles), maintenant on n'est même plus informé de la mort de son voisin. Dans le deuil, une solidarité réelle, concrète, unissait la communauté villageoise : on veillait les morts, on rendait visite à la famille, on l'aidait à accomplir les travaux journaliers, on offrait une chose précieuse à ceux qui venaient de loin.

 

Il nous reste, malgré tout, la Toussaint, fête d'amour et de joie. Les chrysanthèmes flamboyants sur les tombes, les retrouvailles avec un parent ou un camarade d'enfance perdus de vue, dans les allées du cimetière. Nos morts nous font signe. Ils savent que si nous nous retrouvons aujourd'hui dans leur mémoire, c'est parce qu'ils ne nous ont jamais quittés, qu'une part de nous-même vient d'eux, que sans eux, sans leur amour, nous ne serions pas ce que nous sommes.

Comme beaucoup de chablaisiens exilés loin des cimetières où reposent les morts aimés, je n'irai pas déposer des fleurs sur leur tombe. Je leur offre mes mots sur ce blog consacré à l'œuvre de Bernard Lacroix, avec une pensée particulière à la mémoire de son frère, Gilbert Lacroix, qui fut lui aussi un artiste, un merveilleux musicien.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1) María Zambrano (1904-1990), La tombe d'Antigone in Sentiers ( Éditions Des Femmes, 1992) p. 261.

(2) Dépouille: de l'ancien français despouille, "vêtement laissé".

(3) Philippe Ariès, L'homme devant la mort , (Éditions du Seuil, 1977)

 

*

 

Et pour terminer, cet extrait de Jean Clair:

 

"L'effigie qu'un homme avait façonnée pour garder le souvenir d'un défunt nous fait soupçonner, par sa beauté même, qu'elle n'était pas destinée à un spectateur, pas même au défunt, mais qu'issue des forces obscures en l'homme, plus forte que la mort, elle était destinée à une créature supérieure, qu'on a fini par appeler "dieu". Façonner, graver, sculpter, de l'os, du bois, des pierres, c'est fabriquer des objets d'une grande beauté pour s'assurer, sinon leur protection, du moins la bienveillance des morts et nous assurer qu'ils ne reviennent pas nous hanter. [...]

Mais justement, les morts ne nous intéressent plus guère. Notre propre mort nous est devenue indifférente : la crémation, aujourd'hui préférée à l'inhumation, met un terme définitif au souvenir de celle ou de celui qui fut. On ne croit plus à la résurrection des corps, donc on ne croit plus d'abord à son propre corps. Il faut disparaître, laisser place, se dissoudre, se rendre à la poussière. Un cadavre n'a guère plus de propriété juridique, il n'en a même plus du tout s'il s'agit de ses fragments, un cœur, une main... Inhumé, le cadavre pesait toujours un peu, comme un remords. Incinéré, sa cendre se fait légère et volatile. C'est la véritable et absolue damnatio memoriae.Les nazis, pour faire place à la race "pure", s'en souviendront."

 

Jean Clair, Malaise dans les musées ( Éditions Flammarion, coll. Café Voltaire,2007) pp. 132-133.

 

 

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Portrait du Fayoum

 

mardi, 23 avril 2013

Saint François de Sales

 

saint françois de sales





Rappel: Nos villes anciennes



Je pense souvent à Saint François de Sales, ne serait-ce que pour essayer de comprendre comment cet homme, à qui tout était promis : noblesse, honneurs, fortune, talents, dons de toutes sortes... laissa tout ça pour ramener à la vraie foi les peigne-culs que nous étions et que nous sommes encore. Peu de temps avant sa mort, il confiait à ses proches: "Je n'ai jamais pu consacrer une journée entière à mes chers livres!" Regrets? ou plutôt constatation mêlée d'amertume?


*


La gloire, ce n'est pas les mondanités, le baratin, la renommée momentanément factice, illusoire et éphémère. La gloire, c'est un rayonnement, c'est ce que l'on dégage. La gloire, c'est sa capacité d'incandescence. La lumière de Dieu c'est aussi celle des hommes qu'il a réunis dans sa constellation. Il est des étoiles mortes qui brilleront à jamais.



Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10

lundi, 24 décembre 2012

Solstice d'hiver

 

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Autrefois, en Savoie, le soir de Noël, on remettait les cloches aux vaches.

Dans des temps pas si anciens que mes Anciens ont eux-mêmes connus, la tradition voulait que la nuit de Noël, on sorte les vaches à minuit, après la messe, pour leur faire boire "l'eau fleurie" au bassin.

Le terme "eau fleurie" témoigne de notre appartenance au monde celtique:

pour avoir moi-même partagé cinq années de ma vie avec nos frères d'Irlande,

je peux attester de l'importance qui a toujours été donnée à l'eau, et reconnaître

dans le terme utilisé, l'ancienne connaissance qui nous unit. Le terme de Puits Sacré ne vous dira peut-être

rien en langue gaelique, mais il suffit, par ce poème, de

garder en mémoire tout ce qui nous lie encore

aux Anciens.


Jean-Michel Lacroix


*

 

Les vaches,

 

Que d'aucuns croient stupides,

Témoignent ce soir-là

Du solstice de toutes les promesses:

 

Elles boivent "l'eau fleurie",

Elles paissent l'herbe de mémoire,

Elles ruminent les pollens engrangés.

 

Là-haut, pour une nuit,

La source n'est plus orpheline,

Les roches appellent les toisons errantes,

La cendre sous le chaudron imagine le feu nouveau.

Dans les sentiers, des bruits familiers s'inventent...

 

Les cloches tintent au plus profond des étables.

 

Dehors,

Il y a désormais une étoile entre Dieu et les hommes:

L'été vient de naître.

 

Bernard Dominique Lacroix