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samedi, 09 février 2013

Attente

bernard lacroix, poésie

Photographie JN Bart




La montagne ressemble à la mer:


Les mêmes vents indécis,

Les mêmes brumes opaques,

Les mêmes bruits apeurés,

Les mêmes sanglots fugitifs...


Je te dis adieu et bonjour à la fois,

J'attends ton retour

Avec une prière dont je ne trouve pas les mots.


Je ne dors pas.

Je t'en veux de me faire souffrir.

Je mets la lampe près de la fenêtre,

Il y a de la lumière entre nous

Et du noir autour.


Bernard Lacroix, Reflets oubliés



mercredi, 16 janvier 2013

La Barque

numérisation0006.jpg

La Barque, gouache de Bernard Lacroix




Sans la barque

Au petit matin,

On ne saurait pas

La limite entre le ciel et l'eau :

Le même gris bleuté

La même lumière verticale

Le même silence translucide,

Qui ne tolère qu'un cri d'oiseau,

Maître chez lui,

Ou la plainte menue

D'une vague solitaire.


Bernard Lacroix, Ciels, arbres et labours

dimanche, 06 janvier 2013

Epiphanie. Puer natus est.

 

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Fra Angelico, L'Adoration des Mages



En ce jour de l'Épiphanie, ce poème de Bernard Lacroix que j'avais omis dans son ensemble de Noëls ( où désormais il a retrouvé place). EBM.


Puer natus est


Dans la paix tiède de l'étable

Bêtes et gens se sont tus.

Le silence écoute le silence.

L'obscurité tend l'oreille à la nuit.


Le temps s'est installé

Bien au chaud

Pour quelques heures sans histoires.

Le sommeil exorcise

L'attente inquiète du jour.


Les pleurs d'un nouveau-né

Viennent

Tout à coup,

Importuner la nocturne routine.

Les choses sont ainsi faites :

C'est en pleurant

Que l'homme découvre le monde.

Le rire viendra plus tard,

Plus tard aussi,

Le regard enfin rassuré et confiant.


On posera l'enfant

Sur un petit tas de paille fraîche

Et le silence

Á ce moment là,

Saura ce qu'il veut dire.


J'ai pleuré ma vie

Moi aussi

En son temps

Et ne suis vraiment né

Que devant le sourire de ma mère!


Bernard Lacroix, Cahiers du musée n°9.



lundi, 24 décembre 2012

Solstice d'hiver

 

solstice d'hiver.jpg




Autrefois, en Savoie, le soir de Noël, on remettait les cloches aux vaches.

Dans des temps pas si anciens que mes Anciens ont eux-mêmes connus, la tradition voulait que la nuit de Noël, on sorte les vaches à minuit, après la messe, pour leur faire boire "l'eau fleurie" au bassin.

Le terme "eau fleurie" témoigne de notre appartenance au monde celtique:

pour avoir moi-même partagé cinq années de ma vie avec nos frères d'Irlande,

je peux attester de l'importance qui a toujours été donnée à l'eau, et reconnaître

dans le terme utilisé, l'ancienne connaissance qui nous unit. Le terme de Puits Sacré ne vous dira peut-être

rien en langue gaelique, mais il suffit, par ce poème, de

garder en mémoire tout ce qui nous lie encore

aux Anciens.


Jean-Michel Lacroix


*

 

Les vaches,

 

Que d'aucuns croient stupides,

Témoignent ce soir-là

Du solstice de toutes les promesses:

 

Elles boivent "l'eau fleurie",

Elles paissent l'herbe de mémoire,

Elles ruminent les pollens engrangés.

 

Là-haut, pour une nuit,

La source n'est plus orpheline,

Les roches appellent les toisons errantes,

La cendre sous le chaudron imagine le feu nouveau.

Dans les sentiers, des bruits familiers s'inventent...

 

Les cloches tintent au plus profond des étables.

 

Dehors,

Il y a désormais une étoile entre Dieu et les hommes:

L'été vient de naître.

 

Bernard Dominique Lacroix



 


dimanche, 21 octobre 2012

Pas d'Adieu

 

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G.D.Friedrich, Femme au soleil levant



For last year's words belong to last year's language

and next year's words await another voice.


On replie les blanches robes d'été,

et toi, tu descends sur le méridien,

doux Octobre, et sur les nids.


Le dernier chant tremble sur les terrasses

où l'ombre était soleil et ombre le soleil,

parmi les angoisses apaisées.


Tandis que tiède s'attarde la rose

déjà l'amère baie distille la saveur

des souriants adieux.


Cristina Campo, Le Tigre Absence, (Éditions Arfuyen, 1996) p. 5

mardi, 16 octobre 2012

Octobre à Nernier


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Ne me cherche pas sur le rivage

               Passé l'été, les galets n'ont plus rien à dire.


Je suis là,

Derrière le rideau cuivré de la brume,

Là où s'attardent les reflets oubliés,

Là où les cygnes,

Brebis du lac,

Paissent le regain bleu des risées.


Je suis ce souffle

Qui vient mourir sur ta bouche,

Je suis ce cri

Que les mouettes balancent

Á la barbe du ciel!


Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

samedi, 29 septembre 2012

Ombre et Lumière

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Photographie de Juan Asensio

 

 

"Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d'une lumière d'éternité.

Seule la religion peut être la source de cette poésie.

Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple.

La privation de cette poésie explique toutes les formes de démoralisation.

L'esclavage, c'est le travail sans lumière d'éternité, sans poésie, sans religion.

Que la lumière éternelle donne, non pas une raison de vivre et de travailler, mais une plénitude qui dispense de chercher cette raison.

Á défaut de cela, les seuls stimulants sont la contrainte et le gain. La contrainte, ce qui implique l'oppression du peuple. Le gain, ce qui implique la corruption du peuple."

 

 

Simone Weil, Mystique du travail in La pesanteur et la grâce, ( Éditions Plon, coll. Agora, 2007),pp. 274-275.

 

*

 

Á l'heure où les propagandes de tous bords tentent de nous obséder avec La Crise ( j'adore quand les medias nous expliquent que nous, français, sommes "démoralisés" par La Crise, cette grosse sorcière très laide encapuchonnée de sombres calculs, censée transformer en cauchemars les rêves de tout bon citoyen), propagandes complaisamment relayées, sur Internet, par une multitude d'individus plus ou moins connus qui dissertent à n'en plus finir sur des opinions faussement divergentes, il reste peut-être quelques Impardonnables, quelques insulaires de l'esprit, lisant, imperturbables, dans une rame de métro, les toilettes de leur entreprise, un couloir de leur lycée, un recoin de leur université, Job, Jérémie, Baudelaire ou quelque poète aussi discret que Bernard Lacroix. Ces poètes et leurs lecteurs témoignent de la "lumière d'éternité" dont parle Simone Weil, sans laquelle quiconque, le milliardaire ou le clochard, le cadre ou l'ouvrier, le campagnard ou le banlieusard, reste un esclave. Quelle sueur a dû ruisseler sur le front ridé de Bernard Arnault pour qu'il amasse un tel néant, puisque personne n'est capable d'évaluer réellement sa fortune! " Le maître est esclave de l'esclave en ce sens que l'esclave fabrique le maître" (1)

Je crains que ce pauvre Bernard Arnault, paraît-il esthète et grand collectionneur, n'ait jamais lu une seule de ces lignes fulgurantes qui lui révèleraient son néant en échange de cette plénitude dont le peuple de France est, lui aussi, privé. Il pourrait lire la poésie de Bernard Lacroix, par exemple, souvent aphoristique, qui retient les mots de sorte qu'ils ouvrent cet espace où l'on peut respirer comme au sommet de nos montagnes, espace de silence où les roseaux que nous sommes plient, attentifs, à l'écoute. Certains de ses poèmes se rapprochent de ceux de René Char, lui aussi enraciné dans son pays natal, à propos desquels Jean Beaufret a pu écrire: 

" L'aphorisme se retient de trop parler et, sans philosopher, donne d'autant plus à penser. Il délimite d'un trait l'espace respirable. Il est une reprise de souffle. Qui n'a pas le souffle coupé ne peut rien en apprendre" (2).

Penser sans philosopher, c'est écouter la parole, laisser le langage vibrer en soi, c'est résonner au lieu de raisonner. Le poème bref, aphoristique, coupe le souffle ; comme la flèche de l'archer, il vibre, pourvu que soit tendue la corde du cœur. Alors, on reprend souffle dans un autre espace, libre.

Discrets, secrets, retenant les mots, les poèmes de Bernard Lacroix paraîtront anodins à tout esprit qui ne sait pas faire silence, se dépouiller de sa science. Poésie matinale du paysan qui se lève à l'aurore et contemple le lever du jour derrière la crête des montagnes ou se recueille, au crépuscule. Poésie de l'étonnement premier, de l'émerveillement devant les choses. Poésie qu'on pénètre autrement que par la raison, dont chacun peut ressentir la justesse même s'il n'en comprend pas le sens. Poésie de l'humilité. Le poème requiert seulement la disponibilité du lecteur, une disponibilité identique à celle du poète. Dans une telle disponibilité, se manifeste l'envers des apparences et, de là, la possibilité d'un discours symbolique.

Ainsi, le poème L' Ombre renouvelle le symbolisme de la dualité ombre et lumière. L'une n'est pas sans l'autre, ici-bas. Il y a quelque chose de la mystique weilienne dans cette vision des contraires : le poème n'oppose pas l'ombre à la lumière mais les unit comme les deux versants d'une apparence.La dualité ne symbolise pas la vie et la mort car l'ombre n'existe que dans la plénitude terrestre. L'ombre n'est pas identifiée à la ténèbre, au chaos, à l'absence de sens, c'est une apparence que le poète célèbre parce qu'elle participe à la beauté, à l'unité du monde. La mort n'est ni le royaume de l'ombre ni celui de la lumière, mais le passage de l'une à la plénitude de l'autre, lumière d'éternité, puisque "Morts, nous devenons lumière dans la lumière".

Cette lumière d'éternité brille de toute son intensité dans cet autre poème, fulgurant. Laissons les mots de Bernard Lacroix vibrer en nous, âmes errantes pareilles aux papillons de nuit, écoutons sa prière, familère et peut-être malicieuse: " Seigneur, ne me brûle pas!".

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1): Simone Weil, Mystique du travail, op. cit., p.272.

(2): Jean Beaufret, L'entretien sous le marronnier in Œuvres complètes de René Char ( Éditions Gallimard, coll. La Pléiade, 1988) p. 1141, méditation sur la rencontre entre René Char et le philosophe Martin Heidegger, en 1955.

 

 

dimanche, 16 septembre 2012

La Lumière

bernard lacroix, poésie, georges de la tour

Georges de La Tour, Madeleine à la veilleuse (détail)

 

 

Je voudrais mourir d'éblouissement

 

Comme ces papillons

Collés à la fenêtre au petit matin,

Tués par cette autre vie qu'ils ont tant cherchée.

 

Si tu me trouvais un beau jour

Foudroyé par ta lumière,

Seigneur,

Ne me brûle pas!

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

 

 

jeudi, 06 septembre 2012

L'Ombre

bernard lacroix, poésie, ombre et lumière, mort

Photographie JN Bart

 

Il n'y a pas d'ombre sans lumière,

 

Il n'y a pas de lumière sans ombre.

Celle de l'arbre disparaît avec lui.

Alors qui peut prétendre que la mort est son royaume?

 

Morts, nous devenons lumière dans la lumière

Et la lumière, elle, n'en a pas.

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

samedi, 01 septembre 2012

Contes des saisons

 

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Marc Chagall, L'échelle de Jacob (détail)

 

 

Certains textes de Bernard Lacroix publiés dans Les Cahiers du musée sont plus que de simples récits anecdotiques. Petits poèmes en prose ciselés dans une langue limpide et musicale, Le tin derri et La châlée métamorphosent le souvenir en une sorte de conte métaphysique d'une secrète profondeur. Conte d'un soir d'été, conte d'un jour d'hiver.

 

Le "tin derri", littéralement l'arrière temps, l'arrière saison, devient un instant d'éternité, cet instant hors du temps compté où l'on peut "fermer les yeux sans dormir, écouter sans entendre, être fou avec lucidité, ivre sans boire, heureux sans joie, amoureux sans amour", expérience de l'illimité, de la sortie de soi que les poètes et les mystiques nomment l'extase. Cet instant où l'on "peut être personne", ne plus être quelqu'un mais seulement et pleinement "être", c'est la grâce que reçoit "un corps endolori qui s'abandonne", tel celui du paysan à la fin de l'été. La grâce d'un soir nu dans le silence.

 

Dans La châlée, le conteur semble prendre un malin plaisir à brouiller des pistes déjà très embrouillées par le rude hiver savoyard. Ça commence par un récit réaliste où surgit un grand diable qui a "les esprits", comme on disait, à qui on ouvre tout naturellement sa porte et même son lit. Ça se dédouble ensuite comme les châlées, ces chemins que notre homme ouvre dans la neige. Fou pour les grandes personnes, magicien pour les enfants, il dégage pour les premières une ligne claire et nette, de l'école à la mairie, de la mairie à l'église, de l'église au cimetière, résumant à coups de pelle dans la neige le trajet de leur vie terrestre, et pour lui-même, une châlée qui ne va nulle part, "du moins ici bas". Ainsi, celui à qui les grands-parents ont ouvert la porte de leur foyer, ouvre aux enfants les portes d'un au-delà qu'ils scrutent, dans la merveilleuse attente de l'échelle de Jacob. Cet homme au nom bizarre, François Zozon, était-il fou ou au contraire sage? Il pourrait être un sorcier ou le joueur de flûte du conte de Grimm, lui qui habite une "maison au bout du village, borgne, basse, noire à vous faire pleurer". N'est-il pas, plutôt, un de ces fous sacrés qui dans les temps très anciens révélaient la parole des dieux? Personnage d'un conte vécu par Bernard Lacroix, le cantonnier fossoyeur, probablement illettré, en savait plus sur le mystère de la vie et de la mort que bien des "grosses têtes" excitées d'aujourd'hui. Sa châlée était un signe. Tandis que les grandes personnes empruntaient le chemin quotidien de la nécessité, François Zozon entraînait les enfants sur le chemin de la liberté, vers l'immensité d'un champ de neige, symbole de "cette autre chose de nous même qui continue". En effet, cette chose continue. Parions que François Zozon savait, qu'une fois sa carcasse enfouie dans la profondeur d'une tombe qu'un autre aurait creusée pour lui, un de ces enfants émerveillés, devenu poète grâce à lui, tracerait un jour sa châlée sur une page blanche. Parions que cette page, tout illettré qu'il fût, il l'avait lue d'avance!

 

Élisabeth Bart-Mermin