mercredi, 27 janvier 2016
L'eau,1
Rappel:
Nos rivières
Nos rivières ne se prêtent pas aux rêveries romantiques. Primesautières, elles inspirent plutôt la méfiance. Le torrent est mal élevé par la force des choses. Peut-il faire autrement? Il a si peu de temps pour se calmer et puis il est bruyant. Son langage est bien loin des gazouillis racoleurs des eaux plates que nuls pentes ou rochers n'excitent. Mais quand le soleil peut se frayer un chemin jusqu'à lui, son haleine s'irise, transfigurant tout ce qui pousse alentour. La truite est son amie. Sportive, elle s'accommode fort bien des sautes d'humeur de son singulier logeur. Patiente quand il le faut, elle attend ses proies à l'ombre des pierres moussues pour les prendre d'un seul coup de sa bouche énorme.
Le bachal
Quelle que soit la saison, quel que soit le temps, quel que soit le jour, l'étroit filet d'eau insiste. On pourrait dire fidèle comme la source rythmant le silence du hameau abandonné. Les hommes, eux, sont partis. L'essentiel peut devenir inutile. La source ne cherche pas à comprendre ce mystère ; elle est là, tout simplement, et parce qu'elle ne comprend pas, elle demeure.
Nos eaux ne sont pas calmes ; ce n'est pas de leur faute. Dans un pays heurté, elles n'ont pas le choix. Le torrent charrie rocs, troncs, galets, jusqu'au grand lac plus bas où d'autres eaux l'accueillent ; puis le Rhône, et la mer. Adieu glaciers hiératiques, neiges insistantes... Adieu bouquetins chamailleurs, chamois versatiles, chèvres sentimentales... Adieu lys martagons, sabots de Vénus, ancolies... Adieu pays où les cloches sonnent encore le soir et où les chalets sont dorés comme des pains bénits.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)
Photographies de Robert Taurines
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vendredi, 18 décembre 2015
Le cochon, 2
Rappel :
Dans le cochon, tout est bon! On gardera le nombril pour graisser les scies, les soies se feront pinceaux, la vessie deviendra blague à tabac...
Pourtant ma mémoire d'enfance n'arrive pas à oublier les cris épouvantables, le sang giclant par intermittence que des mains de femmes, allez savoir pourquoi, agitaient dans un grand seau.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours, ( Éd. Bias, 1990)
Photographies de Robert Taurines
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samedi, 12 décembre 2015
Le cochon
Croquis de Bernard Lacroix, extrait de Croquis minute
En Savoie, c'est presque un sacrifice rituel que celui du cochon. La bonne période est de novembre à février, autour des Fêtes. On a retenu pour le grand jour une bête qui pèse entre cent et cent-cinquante kilos et le charcutier, bien sûr, un paysan qui fait ça pour mettre un peu de beurres dans les épinards.
La veille, on a acheté les épices et les ingrédients nécessaires à la fabrication de la charcuterie et à la conservation de la viande : poivre en grains, sel, salpêtre, oignons, ail, laurier, thym, cumin, marjolaine, noix muscade, cannelle...
De bonne heure, on a mis l'eau à chauffer dans la grande chaudière de fonte. Elle servira à ébouillanter le porc dans le "vassé" pour mieux le raser, pour nettoyer les abats sanguinolents, les boyaux qui serviront à la confection des boudins, des saucisses. Les voisins viendront aider à maîtriser le pauvre animal qui, après avoir été assommé à l'aide d'une hache ou d'un merlin, sera saigné bien vivant, mais sûrement pas sans peine. Le sang est recueilli dans un seau et brassé vigoureusement pour éviter qu'il se coagule. Avec le sang on fera les boudins, préparation délicate, un tant soit peu coûteuse car le boudin savoyard se fait avec du beurre et de la crème.
Une fois soigneusement pelé, le cochon est retiré du "vassé" et étendu à plat sur une échelle. On retire les abats, on nettoie proprement l'intérieur de l'animal puis on le laisse tranquillement égoutter, l'échelle redressée cette fois-ci contre le mur de la ferme.
Saucisses, boudins, atriaux ( pâtés d'abats) sont assaisonnés au goût du charcutier, ce qui fait dire parfois, quand ils sont trop épicés, que ce dernier a un tant soit peu "caressé la chopine". Á la fin de la journée, il ne sait plus très bien où il en est. J'en ai connus qui étaient saouls avant de commencer leur journée, ce qui donnait lieu à des péripéties qui alimentaient la chronique hivernale : combien de gorets se sont sauvés à moitié saignés, combien d'autres se sont réveillés au contact de l'eau chaude. On disait d'un charcutier peu adroit que son cochon criait encore quand il hachait la viande à saucisse.
La coutume était de porter aux voisins et au curé, un petit rôti, quelques boudins et atriaux. Les voisins ne manquaient pas d'en faire autant à leur tour, ce qui fait qu'en hiver, on avait toujours une petite réserve de charcuterie fraîche dans un coin. Le dimanche qui suivait, on invitait les amis et la famille pour un grand banquet : le dîner du cochon. Á vrai dire, après les politesses et le repas de fête, il ne restait plus grand chose de la cochonnaille. Heureux temps où les gens aimaient partager, passer de bons moments ensemble !
Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°3
17:20 Publié dans Mémoire de la Savoie, Traditions du Chablais | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer |
samedi, 05 décembre 2015
L'hiver
Le givre.
Les choses deviennent enfin ce qu'elles sont. Sur ce subtil camaïeu, l'hiver pose le pur argent de son givre. C'est la touche du maître, le coup de pinceau final qui fait le chef-d'œuvre. L'hiver a du génie, qui l'eût cru?
La neige vient par petites touches, un peu de blanc par-ci, un peu de blanc par-là. On dirait qu'elle fait des manières : elle part, revient, tournicote... au gré des vents hésitants de novembre. La nature résignée s'abandonne. Il y a encore des feuilles tenaces, des petits cris furtifs ; des bruits intimidés s'éloignent, des ombres complices s'affairent... L'hiver, en vieux célibataire, veut vivre seul. Tout le monde l'a compris.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours ( Éd. Bias, 1990)
Photographies de Robert Taurines
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samedi, 10 octobre 2015
Jacques Miguet (1921-1985), 3
Jacques Truphémus, La belle servante, 1980
Huile sur toile, 130x130 cm
Rappel :
Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix
*
Au nom de l'amitié
Entretien avec le peintre Jacques Truphémus
Les peintres qui l'ont connu gardent l'image d'un homme très attaché à son village et à sa région, le Chablais, comme une tradition vivante à défendre, un patrimoine à sauvegarder : en témoignent l'intérêt qu'il a eu pour créer un musée des outils anciens et son goût des fouilles entreprises au château de Langin. Je l'ai vu plus souvent sur le terrain, avec une brouette, la pioche à la main ou la truelle pour maçonner, alliant un savoir à une pratique : "un savoir d'intellectruelle" disait-il avec humour. C'est l'exemple même d'une culture personnelle, forgée au contact réel des œuvres rencontrées au hasard d'un cheminement naturel. Profondément attaché à sa région, mais sans sectarisme, il était d'une grande curiosité d'esprit et portait intérêt à toute forme d'art particulière, à toute forme d'expression populaire : la Toscane, l'art étrusque, les petits maîtres comme Filippo Lippi, Lorenzetti — nous parlions souvent de ces peintres qu'il aimait beaucoup — , les icônes byzantines, les bijoux anciens...C'était chez lui un éclectisme de bon aloi, sans dispersion, n'obéissant surtout qu'à des coups de cœur.
Un homme de passion, généreux et d'un rare optimisme, avec cette étonnante capacité d'émerveillement et d'admiration qu'il savait faire partager, mais surtout d'une grande confiance en l'homme; à une époque difficile où il existe toujours une tentation de doute ou de repli, les artistes ont senti le prix d'une confiance accordée, une confiance totale — qui ne s'est jamais démentie — dans les choix que chacun d'entre nous s'était fixés. Il a su reconnaître avant l'heure des artistes qui n'étaient pas alors "consacrés" et qui le furent ultérieurement.
Ce n'était pas un homme de chapelle, il revendiquait cette grande indépendance d'esprit qui l'a toujours rendu méfiant vis-à-vis des choix officiels, sans en nier parfois la valeur.
Homme de continuité dans la passion, toute sa vie il manifesta un intérêt constant pour les cultures différentes. Fidèle à ses goûts, avec ce désir de relier le présent au passé, il avait proposé aux peintres et aux sculpteurs de participer à la restauration de vitraux ou à la création de sculptures pour les églises de la région.
Á Douvaine, des familles de peintres se regroupaient au cours d'expositions, et souvent d'horizons divers : ainsi les Granges de Servette accueillaient, sans régionalisme aucun, les artistes de Haute-Savoie, de Suisse, de Paris, d'Autriche, d'Italie. Participait régulièrement l'école lyonnaise dont la peinture, se rattachant à une tradition, avait su, dans un relatif isolement de la province s'affirmer face à Paris, avec le sentiment d'une petite méfiance à l'égard des modes et des assimilations quelque peu faciles.
C'était essentiellement un esprit de fête qui présidait à ces expositions. Ce qui nous séduisait, nous, peintres de la ville, c'était de constater que des manifestations de cette importance pouvaient être organisées avec la participation des gens du pays. Je garde le souvenir de cette exposition où tous les commerçants de Douvaine avaient en vitrine une toile en rapport avec leur activité, un bouquet de fleurs chez le fleuriste, une viande chez le boucher, un pain de Schmid chez le boulanger. Pour beaucoup d'entre nous, lors de nos premières expositions, nous vendions plus de peintures à Douvaine qu'à Lyon; sans persuasion arbitraire, le rayonnement qu'exerçait Jacques Miguet suscitait de multiples intérêts et cela comptait beaucoup pour nous à l'époque.
C'est un véritable capital de confiance que nous ont apporté ses amis, car tous en même temps finissaient par partager cette même valeur humaine qu'il dispensait ; et les premiers amateurs que l'on rencontrait aux Granges, loin de tout esprit spéculatif, nous ont accompagnés toute la vie, conscients de participer ainsi à notre travail.
Jacques Truphémus, Catalogue de l'exposition Les peintres, ses amis... Hommage à Jacques Miguet (1988)
17:19 Publié dans L'œuvre artistique de Bernard Lacroix, Mémoire de la Savoie, Mémoire du Chablais | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques miguet, granges de servette, jacques truphémus | Imprimer |
lundi, 21 septembre 2015
Le chalet
Photographies de Robert Taurines
Le chalet n'est pas bâti de bois de bas en haut. La partie en madriers est le plus souvent posée sur un soubassement de pierres pour la bonne raison que le rez-de-chaussée étant le plus souvent réservé au bétail, l'humidité salée de l'étable lui serait nuisible. Le haut sert à l'habitation et à la mise à l'abri des récoltes, la proximité du foin est un isolant parfait.
Les galeries permettent, dans certains cas, de desservir les pièces depuis l'extérieur, d'y conserver le maïs ou le bois de chauffage qui peuvent attendre ainsi leur utilisation à l'air et au sec, d'y déambuler les jours de pluie ou de neige sans se mouiller et pourquoi pas, de s'y accouder pour contempler le paysage. Les femmes y installaient leur rouet, les vieux leur fauteuil, les enfants leurs jouets...
Les palines festonnées des barrières sont d'une grande variété de décor. J'ai pu y recenser plus de trente motifs différents et ce uniquement dans les alentours de Montriond près de Morzine. Elles viennent égayer l'austérité brune des façades avec une pointe de fantaisie du meilleur goût, un peu comme la dentelle agrémente un mouchoir ou une nappe. Dans son atelier d'hiver, l'homme de la maison devait mettre dans leur confection toute son habileté et son sens artistique.
J'aime regarder, quand le soleil descend, les chalets disposés comme des pions sur l'échiquier des pâturages, les rangées de minuscules fenêtres bien alignées, les vastes toits en pente douce, les larges auvents abritant les abords, les cheminées-fumoirs tapissées de "tavaillons", les jardinets pleins jusqu'aux bords de fleurs familières... Un ensemble à la fois ordonné et disparate, réglé par la tradition et l'expérience, où la rigueur n'exclut jamais la beauté et la poésie.
Quand la neige viendra compliquer, ô combien, leurs moindres efforts, seule une petite fumée bleue témoignera de la présence de leurs occupants. Ils sont bien là, malgré le froid intense et les bourrasques, prisonniers de l'hiver, patiemment résignés. Il y a un temps pour tout!
Comment expliquer la désuétude dans laquelle est tombée notre habitat ancien? Le mépris avec lequel on traite, en ville comme à la campagne, tout ce qui est beau, authentique? Pourtant, quelle harmonie dans la disposition des ouvertures d'une ferme chablaisienne, dans la solide élégance du toit. Quel sens des proportions dans une porte voûtée de grange, où il n'y a pas une pierre en plus, pas une pierre en moins. Les vieux bâtisseurs procédaient par dictons, proverbes, par règles verbales séculaires transmises de père en fils, ce qui évitait les erreurs de calcul et les rajouts malvenus. Il existait une réelle complicité entre le bûcheron et le charpentier, le carrier et le maçon, le scieur et le menuisier... On travaillait en confiance, tout simplement, dans la rigueur et l'honnêteté.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours ( Éd. Bias, 1990)
16:56 Publié dans Mémoire de la Savoie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chalets du chablais, habitat savoyard | Imprimer |
vendredi, 21 août 2015
Jacques Miguet (1921-1985), 2
Bernard Lacroix, Première neige, huile sur toile, 33x41 cm
Œuvre figurant à l'exposition Les peintres, ses amis en hommage à Jacques Miguet, Annecy, 1988
Rappel : Jacques Miguet (1921-1985), 1
Les Granges de Servette ou l'itinéraire d'une découverte
C'est en 1984 que le docteur Jacques Miguet entreprend officiellement son grand pèlerinage, son grand cheminement dans le monde de l'Art, à l'occasion de deux expositions organisées par le Syndicat d'Initiative de Douvaine, l'une consacrée au peintre L.Lehman, l'autre à la gravure où l'on relève les noms de Léger, Manessier, Marquet, Villon...
Les manifestations suivantes furent autant d'évènements qui favorisèrent la rencontre de Jacques Miguet avec des œuvres d'artistes renommés : Balthus, Giacometti, Klee, Miro et Dufy furent en 1956 les "Poètes du visible".
1958 vit la naissance du Comité d'Art et Culture de Douvaine, et la première manifestation aux Granges de Servette, Peintures et sculptures religieuses anciennes en Chablais : à cette occasion, le docteur Paul Ramain présenta l'extraordinaire bâtisse :
" Cette étonnante vieille grange monumentale du XVIIe siècle, temple d'art, isolée dans la nature vivante et pastorale, tout en offrant une vue reposante sur d'immenses horizons paisibles et silencieux, ainsi que sur un prestigieux décor de hautes montagnes dentelées, renferme non seulement une collection sélectionnée d'une cinquantaine de vieilles statues en bois sculpté, vraie "litanie des Saints" vénérés jadis dans nos campagnes et montagnes, œuvres authentiques et sincères d'artistes artisans savoyards du XIIe au XVIIIe siècle, mais encore toute une remarquable collection d'œuvres de jeunes peintres et sculpteurs contemporains".
En 1959, les Granges de Servette se révélèrent un lieu éclectique ouvert aux peintres : Truphémus, Fusaro, Philibert-Charrin, Cottavoz, Decarli, Sogno, Boullier, J-J. Morvan et également à diverses manifestations telle L'Art Nègre avec la participation des Griots, Compagnie africaine d'Art Dramatique, Terre Espagnole, un montage de J-J.Morvan avec Catherine Sauvage et Roger Blin.
En 1960, pour les fêtes du centenaire du rattachement de la Savoie à la France, la mairie de Douvaine présenta Peinture pour tous avec Adilon, Baboulène, Cottavoz, Fusaro, Decarli, Sogno... Vint ensuite le Festival Théâtral des Nuits de Servette proposant tout autant le grand répertoire classique que contemporain, avec le concours de Roger Blin, Marcel Maréchal, les Comédiens du Cothurne de Lyon et le Théâtre des Faux-Nez de Lausanne. La musique ne fit pas défaut : des concerts de luth et guitare furent également donnés.
En 1962, on exposa une collection d'outils (du XVIe siècle à nos jours) qui, au fil des acquisitions, devint collection permanente. L'inauguration fit l'objet de cérémonies humoristiques inoubliables : fanfares, discours de Félix Benoît, recteur de l'Institut des Sciences Clavologiques, remise de décorations, l'Ordre du Clou aux docteurs Miguet et Ramain et au peintre Decarli. René Deroudille présenta la réalisation de Philibert-Charrin L'Élagueur au cœur gai, haute ferraille de deux tonnes et de onze mètres de haut qui accueille depuis lors les visiteurs aux Granges.
De 1962 à 1987, se succédèrent au cours d'expositions toutes formes d'expression, de l'art populaire à l'art contemporain : peinture, sculpture, photographie, bois sculpté, masques, tableaux textiles, céramiques et collages, toutes manifestations où s'inscrivirent par leur fréquentation régulière les "artistes maison" et qui révélèrent tant de sensibilités nouvelles.
1954-1985, trente et un ans de découvertes, de rencontres exceptionnelles, d'émotions, de joies partagées, trente et un ans d'un véritable mécénat mené tambour-battant avec ce sourire, cette présence rayonnante, cette modestie silencieuse, cette disponibilité, cet enthousiasme, ce contact unique... Le docteur Jacques Miguet, pionnier de la Culture nous a quittés. Reste son œuvre, non seulement aux Granges de Servette, la réalisation de la salla polyvalente de Douvaine, mais aussi le dynamisme qu'il a su donner à l'ADDIM de Haute-Savoie dont il fut le président-fondateur et au sein de la commission culturelle du Conseil Général et du Conseil Régional qu'il présida avec combien de compétence et de réussite. Militant de la défense du Patrimoine, il donna l'exemple truelle en main. Son passage à la mairie de Douvaine, son cher petit bourg, lui donna plus de soucis que de satisfactions. Paradoxalement, ce Conseiller Général, élu et réélu avec des scores favorables jamais atteints, ne fut pas toujours bien compris et aidé dans sa propre municipalité. Cachant sa déception et sa peine derrière un humour ô combien charitable, sa consolation devait être de savoir ses amis innombrables et fidèles. Ils ne sont pas prêts de l'oublier.
Bernard Lacroix, Catalogue de l'exposition "Les peintres, ses amis- Hommage à Jacques Miguet, (Annecy, 1988) pp.13-14
mercredi, 12 août 2015
Jacques Miguet (1921-1985), 1
Photographie: Catalogue de l'exposition Les peintres, ses amis. Hommage à Jacques Miguet
(Annecy, 1988)
Rappel:
Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix
Le site des Granges de Servette
*
Jacques Miguet s'en est allé il y a tout juste trente ans. En 1988, une exposition mémorable de ses amis peintres (dont Bernard Lacroix), au Conservatoire d'Art et d'Histoire d'Annecy, lui rendait hommage. Ces grands noms de l'art exprimaient ainsi leur gratitude à cet homme qui avait entretenu avec eux un dialogue lumineux et fécond. Son exemple devrait nous inspirer aujourd'hui.
E.B-M
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Jacques Miguet était un homme hors du commun.
Ayant délibérément choisi d'être un médecin de campagne alors que ses brillantes études le destinaient à occuper une place prépondérante dans les services hospitaliers universitaires, il préféra demeurer dans son pays pour mieux se consacrer, au travers d'une vie professionnelle intense et d'un dévouement sans limite, à servir l'art et la culture.
D'un intelligence remarquable, servi par une prodigieuse mémoire, toujours avide de connaissances nouvelles et de découvertes, il s'érigeait en défenseur inconditionnel de toute forme d'expression artistique, attentif à privilégier la peinture, la sculpture et la création musicale. Soucieux de la réhabilitation et de la valorisation du patrimoine historique de la Haute-Savoie, Jacques Miguet, par son enthousiasme communicatif, sut convaincre l'Assemblée Départementale de se donner une politique culturelle, de dégager les moyens de sa mise en œuvre et d'assigner au Conservatoire d'Art et d'Histoire la vocation d'être le haut lieu culturel du département.
Passionné de musique, il fonda l'ADDIM dont il assura la présidence et constitua l'orchestre départemental. Passionné de peinture, c'est à lui que nous devons d'avoir acquis la superbe collection Chastel.
Pendant deux mois, peintres et sculpteurs viendront, par l'exposition de leurs œuvres, rendre un légitime et émouvant hommage à celui qui fut, sa vie durant, un grand ami des artistes, de la Savoie et des hommes.
Bernard Pellarin, Catalogue de l'exposition "Les peintres, ses amis" , 1988
Président du Conseil Général de la Haute-Savoie.
lundi, 20 juillet 2015
La moisson
Photographies de Robert Taurines
Rappel : Pour la moisson
La batteuse.
Que de bruit, de sueur, de poussière... pour en arriver à la blanche farine! Instants chaleureux où l'on s'aide sans manières, où l'on n'a pas besoin de dire aux voisins : "Demain, j'ai la batteuse!". On allait chez Pierre, chez Paul jusqu'à en oublier son propre travail. Le blé n'attend pas ; après, "on se voit venir!"
*
Quand la gerbe sera couchée sur le chaume, la terre pourra enfin voir ce qu'elle a conçu. Moissonneur, laisse lui encore un moment son enfant blond dans les bras. Il en est des blés comme des hommes : le temps leur courbe l'échine. Déjà le moissonneur affûte sa faux, la mort aiguise la sienne. Puis d'autres blés, d'autres hommes viendront, issus du même chaume. De remous en remous, de peines en peines, de périls en périls... le vent "mûrieux" de la vie souffle sur nous inexorablement.
Bernard Lacroix, Mémoires des jours ( Éditions Bias, 1990) pp. 35-37
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vendredi, 19 juin 2015
La fenaison
Le moment des fenaisons venu, pour avoir la possibilité de garder en hiver quelques bêtes de plus, les paysans des hautes vallées partent faire les foins dans des coins impossibles, jusqu'à 1700 mètres d'altitude. Le faucheur est dans l'obligation de travailler en biais et non pas face à la pente parce qu'il partirait en glissade. Une fois sec, le foin est enserré dans des filets pesant environ 80 kg et porté à dos d'homme dans des granges intermédiaires d'attente. On profitera de la neige pour l'acheminer à l'aide de luges vers le village.
Il arrive que la pente soit si forte, le trajet si long, que le paysan doive creuser à la pioche une petite plate-forme pour y déposer sa lourde charge et prendre quelques instants de repos.
Il est évident que l'on abandonne petit à petit ces méthodes de culture héritées d'un autre âge, mais une poignée de montagnards, des irréductibles de l'effort, la pratiquent encore de nos jours. Sous le soleil cruel qui leur rôtit le visage, la poussière qui leur colle au cou et aux reins, des hommes perpétuent les gestes rudes de leurs aïeux, devant des haies de touristes qui n'en croient pas leurs yeux. On n'ose pas sourire, le spectacle est impressionnant. Ce qui, pour moi, est drôle, c'est d'imaginer que certaines des épouses présentes ne puissent pas s'empêcher de faire la comparaison entre des mâles, dont on n'a plus beaucoup d'exemple, et leurs maris dont les attaches pâlichonnes émergent des bermudas et des tee-shirts à fleurs. Nul ne le saura vraiment tant il est vrai que les femmes cachent beaucoup de leurs pensées secrètes, mais tout de même, quelques-unes ne doivent pas manquer de constater qu'il n'y a pas que les traditions qui se perdent.
Bernard Lacroix, Mémoire des jours ( Éditions Bias, 1990) p. 34
Photographies de Robert Taurines
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