Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 04 octobre 2014

La musique


 

 

 

 

 

 

Autrefois, la musique tenait une grande place dans la vie villageoise.

 

Hommes, femmes, enfants, tout le monde chantait à la moindre occasion. Les chorales paroissiales, les fanfares, les cliques, étaient florissantes. Ainsi, la chorale de Cervens, dirigée de main de maître par le curé Vuarnet, également fin lettré et gastronome, était renommée dans tout le Chablais et au-delà.

 

"De la musique avant toute chose !", "La musique adoucit les moeurs"....

 

A ces adages fort connus, on me permettra d'en ajouter quelques autres tout aussi évocateurs.

 

La musique ravive la mémoire : quand la radio ou la télévision puisent dans l'ancien répertoire, cela nous rappelle des évènements du passé, heureux ou nostalgiques. Chaque époque de la vie a ses refrains : la naissance, le baptême, le service militaire, le mariage...Dans nos campagnes, le souvenir des disparus est souvent lié à des rengaines qu'ils avaient l'habitude d'interpréter à l'occasion des veillées villageoises ou des tournées de caves.

 

La musique engendre la fidélité : j'ai toujours eu beaucoup d'admiration et de respect pour les vieux chantres, les vieux musiciens des Fanfares ou des Harmonies, les vieilles casquettes comme on les appelle, qui, pendant leur existence ont consacré beaucoup de temps pris sur leur travail ou sur leurs loisirs, en ville comme à la campagne, aux répétitions et bien sûr aux prestations. Beaucoup également pour leurs animateurs la plupart du temps bénévoles.

 

La musique est oeuvre de paix : elle rassemble fraternellement, hors de toutes contingences idéologiques ou politiques.

 

La musique est sujet de culture : elle s'apprend, elle enrichit l'esprit et les connaissances, elle favorise les rencontres.

 

Dans ma modeste vie, surtout pendant ma jeunesse, aujourd'hui encore à l'occasion, la musique tient une place primordiale. "Compagnon Passant de la Musique", je me suis efforcé de laisser derrière moi une sorte de parcours de la beauté, faisant ainsi le bien à ma manière. Je souhaite que se perpétue cette conception du talent artistique qui veut qu'il soit restitué, dispensé.

"J'aurais voulu être un artiste !", c'est le titre d'une chanson à succès de ces dernières années. En effet, certains hommes sur le retour ressentent au profond d'eux-mêmes cette espèce de regret. N'est pas artiste qui veut, le don pour les Arts est discriminatoire. Un poète a dit qu'il était le label de Dieu. En cette fin de siècle pour le moins morose, il nous faut plus que jamais des artistes, ils sont les artisans du bonheur.

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5

vendredi, 15 août 2014

Un pèlerinage aux Voirons au XVIIe siècle

numérisation0001.jpg

Un pèlerinage aux Voirons, gravure du XVIIe siècle commentée par Bernard Lacroix ci-dessous.

 

 

 

 

Une illustration naïve et savoureuse d'un pèlerinage autrefois. Á celui des Allinges, par exemple, il y avait toujours une buvette très appréciée et très fréquentée par les hommes, bien sûr, qui y passaient plus de temps que pour les dévotions, laissant aux femmes le soin de prier pour les autres et pour eux.

 

Autour du prieuré, le cortège des pèlerins précédé par les pénitents, les sonneurs de cloches, les bannières et le clergé. Un mini-marché avec des femmes proposant des légumes de leur jardin.Une table très animée où l'on festoie joyeusement. Un mulet courbé sous la charge des lourds tonneaux de cidre et de vin. Deux ermites seuls bien à l'abri de la clôture. Tout en haut la Vierge semble protéger le lac et ses rives. Un Léman bien agité d'où émergent des têtes et des bras de naufragés levés vers ce que l'on appellerait de nos jours une vedette de sauvetage qui se porte à leur secours. L'orthographe approximative du nom des villes limitrophes.

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°8

 

 

 

lundi, 11 août 2014

Le moulin des Esserts et le Foron

 

moulin des esserts, foron, baie d'excenevex

Le moulin des Esserts, 2

(Photographie Hubert Le Goff)

 

 

 

 

 

Reste-t-il "des choses blotties dans les recoins du temps, à jamais" ,  comme l'écrit Bernard Lacroix? D'une génération à l'autre, certaines de ces choses semblent irrémédiablement perdues, telle la limpidité du Foron, ruisseau de la forêt de Planbois, qui alimentait le moulin des Esserts.

 

 

 

Lorsque j'étais petit, les gens du coin le nommaient "moulin d'Essert", ce qui m'avait laissé penser que c'était le moulin des cerfs, et j'allais souvent "planquer" pour y surprendre ces grands animaux. Cela m'a valu d'y découvrir des loutres, avec lesquelles j'étais en compétition pour attraper les vaillantes truites farios, nées dans ce torrent. Merveilleux souvenir que ces loutres, non seulement pas effarouchées de ma présence, mais plutôt curieuses, au contraire, jouant volontiers à cache-cache et m'observant de derrière un arbre ou un rocher.

C'est un trésor sans nom, ce que la Nature peut offrir à un enfant.

J'ai vu aussi des biches, ainsi que beaucoup d'autres créatures, dans ce qu'on appelait alors "les bois d'en bas", par opposition aux "bois d'en haut" de la chaîne des Voirons.

 

 

Aujourd'hui...

 

 

Pauvre moulin des Esserts, et surtout, pauvre Foron, dans lequel dix-sept communes ont déchargé leurs immondices pendant des années, sans parler des tonnes de plomb du ball-trap sédentaire situé à une portée de fusil.

Tout ça finit, de nos jours encore, dans la baie d'Excenevex, dont l'eau n'est pas renouvelée par le Rhône, ce qui en fait la seule plage de sable du Léman. De grâce, ne baignez pas vos bambins dans ce bouillon...

 

 

Jean-Michel Lacroix

mercredi, 30 juillet 2014

Les bœufs et les locomotives

locomotive vapeur.jpg

 

 

 

 

Rondet*, Juillet, Marquis, Baron... c'était le nom des grands bœufs de par ici. Enfant, deux choses me faisaient courir pour les voir : les bœufs et les locomotives à vapeur. La même puissance obstinée, la même haleine épaisse, les mêmes traces rectilignes après leur passage, la même poésie nostalgique d'un spectacle à la fois terrible, unique et désuet, sur lequel se refermait le grand rideau du silence.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2

 

 

* D'après le légendaire savoyard, Rondet était le nom du bœuf témoin de la naissance du Christ.

jeudi, 17 juillet 2014

Y van v'ni!

 

poilus savoyards,guerre 14-18

Photographie Histoire Passy Mont-Blanc

 

 

 

 

Ses jambes ne pouvant plus le porter, le vieux Dian se faisait conduire à son fauteuil près de sa fenêtre où il pouvait apercevoir, au bout de la cour, le départ du chemin qui menait à la vallée.

 

" Tu ne peux pas changer de fenêtre, lui proposait sa fille, tu regardes toujours la même chose!

– Non, je veux rester là, i van v'ni*!"

Cela dura quatre ou cinq ans.

 

Un dimanche après-midi d'hiver, alors que la neige tombait drue, sa fille remarqua que le vieillard faisait toutes sortes d'efforts, remuait la tête dans tous les sens, comme si les flocons l'empêchaient de mieux voir. Elle le vit soudain se dresser sur ses jambes, se retourner de son côté en criant: " Ça y est, ils sont là, les voilà!". Puis il s'affaissa lourdement. Quand elle s'approcha, elle comprit qu'il venait de mourir.

 

C'est seulement longtemps après, m'expliquait-elle, que je crois comprendre ; pendant sa jeunesse, les garçons des hameaux voisins venaient le chercher le dimanche après-midi pour courir les filles, boire et s'amuser dans les cafés du village. La guerre 14-18 les faucha tous, sauf mon père. C'est donc bien eux qu'il attendit si longtemps et même si l'on peut mettre son comportement sur le compte de son grand âge, il a du voir quelque chose à l'entrée du sentier, on ne meurt pas comme ça!

 

On peut imaginer qu'ils étaient tous là pour l'ultime rendez-vous, agitant les bras avec de grands sourires. Plus de soixante-dix ans plus tard, la petite troupe d'amis se retrouvait au complet.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°3

 

 

* Y van v'ni : Ils vont venir!

 

 

 

 

jeudi, 03 juillet 2014

Eglantine

eglantines.jpg

 

 

 

 

Une jeune institutrice à ses débuts, originaire de la ville, fait un remplacement dans une école de la vallée de Lullin. Elle veut faire connaissance avec ses élèves et leur demande leur prénom :

 

– Quel est le tien? demande-t-elle à une petite fille.

– Maïon!

– Mais qu'est-ce que ça veut dire?

– Marie en patois.

– Bon, mais dès à présent tu t'appelleras Marie, comme toutes les Marie!

– Et toi mon petit?

– Fanfoué!

– Qu'est-ce que ça veut dire?

– François en patois.

– Bon, mais dès à présent tu t'appelleras François, comme tous les François!

 

C'est alors qu'intervient un petit déluré depuis un bureau du fond de la classe.

 

– Et vous, mademoiselle, quel est votre prénom?

– Églantine!

– Bon et bien dès à présent on vous appellera "grattacul"!*

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°7.

 

 

* grattacul : églantine sauvage en patois.

lundi, 21 avril 2014

Les plantes communes à nos talus, champs et jardins

P1010341.JPG

Photographie de J-N Bart

 

 

 

 

 

Cet inventaire odorant et savoureux mêle des termes de notre patois savoyard (qui appartient au francoprovençal ou arpitan) à des sabaudismes, mots ou tournures fréquemment employés par les savoyards encore aujourd'hui. Bernard Lacroix qui a réalisé plusieurs collectes linguistiques de ce type,  ne parle pas lui-même le patois lequel a commencé de disparaître à la fin du XIXe siècle. Nous reviendrons dans d'autres articles sur notre langue régionale que Marc Bron, président des enseignants de savoyard ou Joël Baud-Grasset, conseiller général de la Haute-Savoie, défendent avec passion.

EBM

 

*

 

Marcoret : mercuriale

Riolle : liseron

Cinquième ( cinq lobes à la feuille) : potentille

Sagne-nô (agit sur le sang) : achillée mille feuilles

Chapelet ( qui a des bulbilles sur les racines) : chiendent

Grammont : grand chiendent

Frénale ( aux racines entrelacées) : podagraire

Ouigne-pé (qui tire les cheveux): bardane

Sévenot : ravenelle ou moutarde

Pia-peu : renoncule pied-de-poule

Peuble (épinard sauvage): chenopode ou anserine

Lapai : rumex

Quawe de rnô : amaranthe queue de renard

La quawe : prêle

Taconnet *: tussilage

Ràna-bu (ses épines découragent le bœuf qui voudrait la manger) : bugrane

Carquevalle ( elle fait un bruit de grelot quand on la fauche) : rinante-onomatopée

Patte d'ours : berce

Pelagra : sainfoin

Minette : luzerne lupuline

Triolet: trèfle

Le triolta : touffe de trèfle blanc

Fenasse : haute graminée

Bâche ou lichen (pour empailler les chaises) : carex

R'baye me vi (qui résiste à la faux) : finette

                                          dans le grand herbier du temps!

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée nº6

 

*

 

* Dans le patois de Saxel, le taconnet ( tussilage en français) se dit takunè.

Proverbe :

Sé k a de la tèra a takunè

an a tozhœ trè ;

sé k a de la tèra a pyapœ

n an jamé prœ

Celui qui a de la terre à tussilage

en a toujours trop ;

celui qui a de la terre à pied de poule

n'en a jamais assez.

 

Le patois de Saxel,J.Dupraz ( Éditions Les Belles-Lettres, 1969)

 

 

 

 

 

 

 

 

vendredi, 18 avril 2014

La cave

Tonneau.jpg

Tonneau à "chèvre". Photographie concise.free.fr

 

 

 

 

 

Dans la cave, on trouvait des fûts de toutes sortes et de toutes contenances, séparés de l'humidité du sol par des madriers de châtaigniers, bien alignés, les plus petits sur les plus grands : les bosses (de 600 à 3500 l et plus), les bossatons (de moindre contenance), les muids (1200 l environ), les demi-muids ( 600 l environ), les maconnaises (220 l).

 

Bichonné, dans un coin à part, trônait le tonneau à "chèvre" ou de "forcé", aux douves épaisses et aux cercles renforcés, puisqu'il était destiné à contenir un cidre maintenu en constante fermentation. Un peu plus loin les bonbonnes de goutte soigneusement empaillées.

 

Dans les caves chablaisiennes, à demi-enterrées et au sol de terre battue, il régnait en permanence une température de 7 à 9 º, ce qui en faisait le lieu idéal pour la conservation des légumes d'hiver, des conserves de toutes espèces, mais surtout des betteraves qu'on empilait avec soin le long des murs.

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée nº6

mercredi, 26 mars 2014

Les sobriquets

 

guêpe.jpg

La ouêpa (guêpe) ou ... femme dangereuse!

 

 

 

 

Notre patois, lorsqu'il s'agit de désigner des personnes méchantes ou aux mœurs douteuses, leur donne le plus souvent des noms d'animaux domestiques, oiseaux, insectes... Les femmes sont les plus "gâtées", naturellement.

 

Poura vashe (pauvre vache) : femme de mauvaise vie.

Tievra (chèvre) : femme légère.

Tievra motte (chèvre sans cornes) : femme naïve.

Bérou (bélier) : homme naïf.

Botiou (bouc) : homme qui a la tête dure, simplet.

Belta (belette) : femme intrigante.

Sarpin (serpent) : femme qui a mauvaise langue.

Lmase (limace) : femme qui néglige son ménage.

Aragne (araignée) : femme négligée dans sa personne.

Pouet (cochon) : homme vulgaire dans son langage.

Fremi rushe (fourmi rouge): femme méchante.

Cocu (coucou) : sans commentaire.

Ouêpa (guêpe) : femme dangereuse.

Eterle ( chèvre qui ne prend pas le bouc) : femme stérile.

Mule : la même chose.

Seume (intraduisible) : femme qui a tous les défauts sus-mentionnés, tous les autres et pire que ça.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°4

 

jeudi, 16 janvier 2014

Le tapolet

tapolet.jpg

 

 

 

Récemment, j'ai vu à la télévision un court reportage filmé dans un petit musée de Haute-Savoie où on apercevait brièvement des cartables d'école en bois, sur lesquels étaient cloués deux morceaux de courroie en guise de bretelles. On les appelait tapolets car le couvercle battait la cadence lorsqu'on courait pour arriver à l'heure après avoir perdu du temps aux mûres ou à la rivière. En hiver, ils servaient volontiers de luge.

 

Bernard me racontait que ceux du hameau des Ruppes ( du latin rupes, le rocher) , n'ayant pas le temps de rentrer à midi, y mettaient leur manger et leur mérande ( goûter de 4 heures). Le manger était posé sur le fourneau de la salle de classe. On pouvait voir, dans la gamelle de fer blanc, un merle victime du lance-pierres, tournant gentiment dans un bouillon improbable, épaissi d'un morceau de pain rond. Le pain rond (la miche) pour le différencier du pain long et de la couronne.

 

Jean-Michel Lacroix