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mercredi, 13 avril 2016

La contrebande

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Ancienne borne frontalière à Monniaz

 

 

 

 

 

En patois savoyard, le mot contrebande se dit kõtrebãda.

Voici un récit en patois (phonétique) qui rappelle l'importance de cette activité en Chablais, avant le rattachement de la Savoie à la France en 1860.

 

Kã õ nètè sorde, le taba pwé süto la so z ètyã ro è shér partye. luz om alovã tó n ã kri sü swis, lè pè Munya. i modovã a tõbo de né, a pi déshó, mã õ n alove prœ ã sé tã, i trakwovã lu bwè, i lyœ falè dawe z œre de tã pèr arvo lé. Õ yozhe a munya, i mzhivã na golo, i se fachã na shérde de so, de mtõ, s ü be de taba plèya dyã dé kornè ã papi rozhe, pwé tlé lu amo to de né, awé lœ toka ; mé adã, i falè brove se vèlyi lu gablu! wè, lu gablu lyœ prènyivã apré, i se pustovã yó pè lu bwè ; pwé kã i povyã luz akroshi, i lyœ prènyivã lœ shérde, dé yozhe ky avè, i chegivã jüsk dyã lé mèzõ.

Tó nütru devãnti sã prœ zü alo dese kri de la marchãdi ã kõtrebãda. kã õ n a zü ito frãsé, ã swosãta, y è myo alo ; le taba, la so, pwé asben le sokre, le kofé z ètyã mwe shér, i ne kutovã mimamã po atã k a l entèryœr, a kóza de la zóna. lu vyo d ora kreyã ben dé yozhe apré lœ ke no l ã duto, la zóna.

 

 

Traduction en français :

 

Quand on était sardes, le tabac et surtout le sel étaient rares et chers par ici. Les hommes allaient tous (n)'en chercher sur Suisse, par Monniaz. Ils partaient à tombée de nuit, à pieds nus, comme on allait assez en ce temps là. Ils traversaient les bois, il leur fallait deux heures de temps pour arriver là-bas. Une fois à Monniaz, ils mangeaient une bouchée, ils se faisaient une charge de sel, de tabac en corde ou bien de tabac plié dans des cornets en papier rouge. Puis les voilà en haut tout de nuit, avec leur sac sur le dos ; mais alors il fallait joliment se veiller les gabelous! Oui, les gabelous leur prenaient après, ils se postaient en haut par les bois ; et quand ils pouvaient les accrocher, ils leur prenaient leur charge. Des fois qu'il y avait, ils suivaient jusque dans les maisons.

Tous nos devanciers sont assez eu allés ainsi chercher de la marchandise en contrebande. Quand on a eu été français, en soixante, c'est mieux allé; le tabac, le sel, et aussi le sucre, le café étaient moins chers ; ils ne coûtaient mêmement pas autant qu'à l'intérieur, à cause de la zone. Les vieux d'à présent crient bien des fois après ceux qui nous l'ont enlevée, la zone.

 

 

Dictionnaire Le Patois de Saxel ( Éditions Les Belles-Lettres, 1969)

 

mercredi, 11 novembre 2015

Le petit Louis

 

guerre 14-18,poilus savoyards

Image  Les amis du Val de Thônes

 

 

 

En ce jour du 11 novembre qui commémore l'armistice de la Grande Guerre, remise en une de ce texte de Bernard Lacroix, publié une première fois  le 1er août 2014.

 

 

 

 

 

Il y a cent ans aujourd'hui, le 1er août 1914, à 4 heures de l'après-midi, tous les clochers de France ont sonné le tocsin pour annoncer la mobilisation générale. C'était l'entrée dans la première guerre mondiale. Après Y van v'ni, ce récit de Bernard Lacroix nous rappelle ce qu'ont vécu des êtres de chair et de sang, dont les plus savantes études historiques ne sauraient rendre compte.

 

 

*

 

Ils étaient trois garçons du bout du village, Pierre, Jacques et Louis. Les deux premiers grands, beaux et forts, le dernier tout petit, tout chétif, tout rabougri... Mais la guerre qui n'est pas regardante les appela tous les trois. Inutile de vous faire deviner ce qu'il advint : un soir de l'hiver 1918, le petit Louis frappa à la porte du pauvre logis :

 

– Qui est là? cria la mère depuis son lit.

– C'est ton fils Louis qui revient de la guerre!

– Tout seul?

– Oui!

 

La pauvre femme, dans sa simplicité, comprit tout de suite que les deux autres ne reviendraient jamais. Elle mit un pot de cidre avec un quignon de pain sur la table et retourna se coucher. Quand il racontait l'histoire, le petit Louis croyait bon d'ajouter avec un drôle de sourire, comme s'il voulait l'excuser :

 

– Elle est restée couchée huit jours!

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10

samedi, 10 octobre 2015

Jacques Miguet (1921-1985), 3

 

jacques miguet, granges de servette, jacques truphémus

Jacques Truphémus, La belle servante, 1980

Huile sur toile, 130x130 cm

 

 

 

 

 

Rappel :

Le Berger

Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix

Jacques Miguet, 1

Jacques Miguet, 2

 

 

*

 

Au nom de l'amitié

Entretien avec le peintre Jacques Truphémus

 

 

Les peintres qui l'ont connu gardent l'image d'un homme très attaché à son village et à sa région, le Chablais, comme une tradition vivante à défendre, un patrimoine à sauvegarder : en témoignent l'intérêt qu'il a eu pour créer un musée des outils anciens et son goût des fouilles entreprises au château de Langin. Je l'ai vu plus souvent sur le terrain, avec une brouette, la pioche à la main ou la truelle pour maçonner, alliant un savoir à une pratique : "un savoir d'intellectruelle" disait-il avec humour. C'est l'exemple même d'une culture personnelle, forgée au contact réel des œuvres rencontrées au hasard d'un cheminement naturel. Profondément attaché à sa région, mais sans sectarisme, il était d'une grande curiosité d'esprit  et portait intérêt à toute forme d'art particulière, à toute forme d'expression populaire : la Toscane, l'art étrusque, les petits maîtres comme Filippo Lippi, Lorenzetti — nous parlions souvent de ces peintres qu'il aimait beaucoup — , les icônes byzantines, les bijoux anciens...C'était chez lui un éclectisme de bon aloi, sans dispersion, n'obéissant surtout qu'à des coups de cœur.

Un homme de passion, généreux et d'un rare optimisme, avec cette étonnante capacité d'émerveillement et d'admiration qu'il savait faire partager, mais surtout d'une grande confiance en l'homme; à une époque difficile où il existe toujours une tentation de doute ou de repli, les artistes ont senti le prix d'une confiance accordée, une confiance totale — qui ne s'est jamais démentie — dans les choix que chacun d'entre nous s'était fixés. Il a su reconnaître avant l'heure des artistes qui n'étaient pas alors "consacrés" et qui le furent ultérieurement.

Ce n'était pas un homme de chapelle, il revendiquait cette grande indépendance d'esprit qui l'a toujours rendu méfiant vis-à-vis des choix officiels, sans en nier parfois la valeur.

Homme de continuité dans la passion, toute sa vie il manifesta un intérêt constant pour les cultures différentes. Fidèle à ses goûts, avec ce désir de relier le présent au passé, il avait proposé aux peintres et aux sculpteurs de participer à la restauration de vitraux ou à la création de sculptures pour les églises de la région.

Á Douvaine, des familles de peintres se regroupaient au cours d'expositions, et souvent d'horizons divers : ainsi les Granges de Servette accueillaient, sans régionalisme aucun, les artistes de Haute-Savoie, de Suisse, de Paris, d'Autriche, d'Italie. Participait régulièrement l'école lyonnaise dont la peinture, se rattachant à une tradition, avait su, dans un relatif isolement de la province s'affirmer face à Paris, avec le sentiment d'une petite méfiance à l'égard des modes et des assimilations quelque peu faciles.

C'était essentiellement un esprit de fête qui présidait à ces expositions. Ce qui nous séduisait, nous, peintres de la ville, c'était de constater que des manifestations de cette importance pouvaient être organisées avec la participation des gens du pays. Je garde le souvenir de cette exposition où tous les commerçants de Douvaine avaient en vitrine une toile en rapport avec leur activité, un bouquet de fleurs chez le fleuriste, une viande chez le boucher, un pain de Schmid chez le boulanger. Pour beaucoup d'entre nous, lors de nos premières expositions, nous vendions plus de peintures à Douvaine qu'à Lyon; sans persuasion arbitraire, le rayonnement qu'exerçait Jacques Miguet suscitait de multiples intérêts et cela comptait beaucoup pour nous à l'époque.

C'est un véritable capital de confiance que nous ont apporté ses amis, car tous en même temps finissaient par partager cette même valeur humaine qu'il dispensait ; et les premiers amateurs que l'on rencontrait aux Granges, loin de tout esprit spéculatif, nous ont accompagnés toute la vie, conscients de participer ainsi à notre travail.

 

Jacques Truphémus, Catalogue de l'exposition Les peintres, ses amis... Hommage à Jacques Miguet (1988)

 

 

 

 

vendredi, 21 août 2015

Jacques Miguet (1921-1985), 2

 

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Bernard Lacroix, Première neige, huile sur toile, 33x41 cm

Œuvre figurant à l'exposition Les peintres, ses amis en hommage à Jacques Miguet, Annecy, 1988

 

 

 

 

Rappel : Jacques Miguet (1921-1985), 1

 

 

 

 

 

 

 

Les Granges de Servette ou l'itinéraire d'une découverte

 

 

C'est en 1984 que le docteur Jacques Miguet entreprend officiellement son grand pèlerinage, son grand cheminement dans le monde de l'Art, à l'occasion de deux expositions organisées par le Syndicat d'Initiative de Douvaine, l'une consacrée au peintre L.Lehman, l'autre à la gravure où l'on relève les noms de Léger, Manessier, Marquet, Villon...

Les manifestations suivantes furent autant d'évènements qui favorisèrent la rencontre de Jacques Miguet avec des œuvres d'artistes renommés : Balthus, Giacometti, Klee, Miro et Dufy furent en 1956 les "Poètes du visible".

1958 vit la naissance du Comité d'Art et Culture de Douvaine, et la première manifestation aux Granges de Servette, Peintures et sculptures religieuses anciennes en Chablais : à cette occasion, le docteur Paul Ramain présenta l'extraordinaire bâtisse :

" Cette étonnante vieille grange monumentale du XVIIe siècle, temple d'art, isolée dans la nature vivante et pastorale, tout en offrant une vue reposante sur d'immenses horizons paisibles et silencieux, ainsi que sur un prestigieux décor de hautes montagnes dentelées, renferme non seulement une collection sélectionnée d'une cinquantaine de vieilles statues en bois sculpté, vraie "litanie des Saints" vénérés jadis dans nos campagnes et montagnes, œuvres authentiques et sincères d'artistes artisans savoyards du XIIe au XVIIIe siècle, mais encore toute une remarquable collection d'œuvres de jeunes peintres et sculpteurs contemporains".

En 1959, les Granges de Servette se révélèrent un lieu éclectique ouvert aux peintres : Truphémus, Fusaro, Philibert-Charrin, Cottavoz, Decarli, Sogno, Boullier, J-J. Morvan et également à diverses manifestations telle L'Art Nègre avec la participation des Griots, Compagnie africaine d'Art Dramatique, Terre Espagnole, un montage de J-J.Morvan avec Catherine Sauvage et Roger Blin.

En 1960, pour les fêtes du centenaire du rattachement de la Savoie à la France, la mairie de Douvaine présenta Peinture pour tous avec Adilon, Baboulène, Cottavoz, Fusaro, Decarli, Sogno... Vint ensuite le Festival Théâtral des Nuits de Servette proposant tout autant le grand répertoire classique que contemporain, avec le concours de Roger Blin, Marcel Maréchal, les Comédiens du Cothurne de Lyon et le Théâtre des Faux-Nez de Lausanne. La musique ne fit pas défaut : des concerts de luth et guitare furent également donnés.

En 1962, on exposa une collection d'outils (du XVIe siècle à nos jours) qui, au fil des acquisitions, devint collection permanente. L'inauguration fit l'objet de cérémonies humoristiques inoubliables : fanfares, discours de Félix Benoît, recteur de l'Institut des Sciences Clavologiques, remise de décorations, l'Ordre du Clou aux docteurs Miguet et Ramain et au peintre Decarli. René Deroudille présenta la réalisation de Philibert-Charrin L'Élagueur au cœur gai, haute ferraille de deux tonnes et de onze mètres de haut qui accueille depuis lors les visiteurs aux Granges.

  De 1962 à 1987, se succédèrent au cours d'expositions toutes formes d'expression, de l'art populaire à l'art contemporain : peinture, sculpture, photographie, bois sculpté, masques, tableaux textiles, céramiques et collages, toutes manifestations où s'inscrivirent par leur fréquentation régulière les "artistes maison" et qui révélèrent tant de sensibilités nouvelles.

1954-1985, trente et un ans de découvertes, de rencontres exceptionnelles, d'émotions, de joies partagées, trente et un ans d'un véritable mécénat mené tambour-battant avec ce sourire, cette présence rayonnante, cette modestie silencieuse, cette disponibilité, cet enthousiasme, ce contact unique... Le docteur Jacques Miguet, pionnier de la Culture nous a quittés. Reste son œuvre, non seulement aux Granges de Servette, la réalisation de la salla polyvalente de Douvaine, mais aussi le dynamisme qu'il a su donner à l'ADDIM de Haute-Savoie dont il fut le président-fondateur et au sein de la commission culturelle du Conseil Général et du Conseil Régional qu'il présida avec combien de compétence et de réussite. Militant de la défense du Patrimoine, il donna l'exemple truelle en main. Son passage à la mairie de Douvaine, son cher petit bourg, lui donna plus de soucis que de satisfactions. Paradoxalement, ce Conseiller Général, élu et réélu avec des scores favorables jamais atteints, ne fut pas toujours bien compris et aidé dans sa propre municipalité. Cachant sa déception et sa peine derrière un humour ô combien charitable, sa consolation devait être de savoir ses amis innombrables et fidèles. Ils ne sont pas prêts de l'oublier.

 

Bernard Lacroix, Catalogue de l'exposition "Les peintres, ses amis- Hommage à Jacques Miguet, (Annecy, 1988) pp.13-14

mercredi, 12 août 2015

Jacques Miguet (1921-1985), 1

jacques miguet,granges de servette

Photographie: Catalogue de l'exposition Les peintres, ses amis. Hommage à Jacques Miguet

(Annecy, 1988)

 

 

 

Rappel:

Le Berger

Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix

Le site des Granges de Servette

 

 

*

 

Jacques Miguet s'en est allé il y a tout juste trente ans. En 1988, une exposition mémorable de ses amis peintres (dont Bernard Lacroix), au Conservatoire d'Art et d'Histoire d'Annecy, lui rendait hommage. Ces grands noms de l'art exprimaient ainsi leur gratitude à cet homme qui avait entretenu avec eux un dialogue lumineux et fécond. Son exemple devrait nous inspirer aujourd'hui.

E.B-M

 

*

 

 

Jacques Miguet était un homme hors du commun.

Ayant délibérément choisi d'être un médecin de campagne alors que ses brillantes études le destinaient à occuper une place prépondérante dans les services hospitaliers universitaires, il préféra demeurer dans son pays pour mieux se consacrer, au travers d'une vie professionnelle intense et d'un dévouement sans limite, à servir l'art et la culture.

D'un intelligence remarquable, servi par une prodigieuse mémoire, toujours avide de connaissances nouvelles et de découvertes, il s'érigeait en défenseur inconditionnel de toute forme d'expression artistique, attentif à privilégier la peinture, la sculpture et la création musicale. Soucieux de la réhabilitation et de la valorisation du patrimoine historique de la Haute-Savoie, Jacques Miguet, par son enthousiasme communicatif, sut convaincre l'Assemblée Départementale de se donner une politique culturelle, de dégager les moyens de sa mise en œuvre et d'assigner au Conservatoire d'Art et d'Histoire la vocation d'être le haut lieu culturel du département.

Passionné de musique, il fonda l'ADDIM dont il assura la présidence et constitua l'orchestre départemental. Passionné de peinture, c'est à lui que nous devons d'avoir acquis la superbe collection Chastel.

Pendant deux mois, peintres et sculpteurs viendront, par l'exposition de leurs œuvres, rendre un légitime et émouvant hommage à celui qui fut, sa vie durant, un grand ami des artistes, de la Savoie et des hommes.

 

Bernard Pellarin, Catalogue de l'exposition "Les peintres, ses amis" , 1988

Président du Conseil Général de la Haute-Savoie.

 

 

 

 


 

 

 

 

jeudi, 19 février 2015

Les cloches,1

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Photographie JN Bart, Église et cimetière de Meillerie

 

 

 

 

 

Rappel:

Les cloches de Notre-Dame de Paris

 

 

La Defini ( de defunctus, défunt...) :

Sonnerie qui annonçait la mort d'un habitant du village. Elle commençait par la petite cloche pour une défunte, par la grosse cloche pour un défunt. Ainsi, le travailleur des champs, qui se découvrait et cessait un instant son travail, savait si c'était un homme ou une femme qui venait de mourir. On répétait la sonnerie la veille de l'enterrement. Lorsque le curé du village mourait, en plus des sonneries habituelles, on donnait toutes les heures et jusqu'au moment des funérailles un seul coup de la grosse cloche.

 

*

 

Il y a une soixantaine d'années, lorsque le curé du village mourut, le sonneur "prit pension" chez la Génie à Set dont le café était bien placé puisque situé juste en face de l'église. Il allait donc toutes les heures donner un coup de la grosse cloche. Á la fin de la journée, mettons nous à sa place, le pauvre homme pouvait aller de moins en moins en avant et de plus en plus en arrière. Vers les minuits, inquiet de ne pas le voir revenir de l'église, un de ses copains qui lui tenait compagnie au bistrot, alla prendre de ses nouvelles. Il s'en revint rassuré et expliqua la situation aux buveurs attablés :

" Y risque de rin, y pu pas mê tombo, y s'tin après la ceurde, mai y pu plu la lachi!" *

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°7

 

* "Il ne risque rien, il ne peut pas tomber, il se tient après la corde mais il ne peut plus la lâcher!"

dimanche, 08 février 2015

Dans la cave

 

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Croquis de Bernard Lacroix ( Croquis Minute)

 

 

 

 

Rappel :

Les hommes buvaient beaucoup

La cave

Le cidre

 

 

Quand un paysan de par chez nous vous invitait à prendre un verre dans sa cave, il se servait toujours le premier. Dieu sait pourtant s'il le connaissait, son cidre maison, mais on ne sait jamais." Vous allez boire ce que je bois, tout simplement". Il levait son verre après la première lampée, claquait la langue, vérifiait la limpidité du contenu en clignant de l'œil :

"C'est des poires vouargnes avec des crésons de Boussy, c'est ce qui le fait rester clair, il ne graissera pas!"

Puis, chacun à son tour faisait un petit commentaire, le plus souvent élogieux, cela va de soi.Puisque tout le monde utilisait le même verre, on en laissait toujours un peu dans le fond pour le jeter d'un geste brusque sur le sol de terre battue.

" – Encore un?

  – Si tu veux!"

C'était bon signe. Et puis deux, et puis trois, jusqu'à ce que les dents de derrière baignent. Celui qui n'en voulait plus retournait le verre.

" Ça suffit, je vais me faire attraper par la patronne!"

On remontait en s'essuyant la bouche. On restait toujours un petit moment au sommet de l'escalier, mais comme la conversation, surtout au moment des élections, donnait soif, on redescendait, on remontait, on redescendait... Ça finissait par du pain, du jambon, du saucisson... des bousculades...

" C'est bientôt fini votre commerce?!" criait la maîtresse de maison en tapant avec le balai sur le plancher.

" Laissez-la faire, elle finira bien par se calmer!"

Alors, dans la nuit brune, nous venaient par intermittences des bramées d'outre-cave à en faire tourner le lait des vaches : La petite Bohémienne, La Berceuse de Jocelyn, Le Rêve passe, le Credo du paysan... et je te recommence jusqu'à ce que le coq prenne la relève.

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n° 3

 

 

vendredi, 19 décembre 2014

L'hiver

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Photographie JN Bart

 

 

 

 

 

Il va neiger. Tout va disparaître soudain. Il faudra deviner le chemin, deviner les toits, deviner les pâtures où quelques bêtes hirsutes piétinent encore, deviner les bruits assourdis, les gestes défaits, deviner le jour qui vient ou qui s'en va, tendre l'oreille au silence.

Il neige. Je ressemble à l'oiseau qui ne reconnaît plus ses branches et qui cherche un abri pour y blottir son cœur au ralenti. Il me faut des occupations qui ne prennent pas l'esprit, qui ne m'obligent pas à réfléchir.

 

Les gens d'autrefois profitaient de ces moments perdus pour faire un tour de village, payer leurs dettes, s'asseoir un moment autour des poêles brûlants, une tasse de café à la main, deviser de toutes ces petites choses de la vie que les travaux d'été faisaient mettre un peu de côté. On voyait les enfants grandir, les vieux vieillir, les rides s'emparer peu à peu des visages... "Tiens, on est quatre! On ferait bien une petite belotte?" . Le temps s'étirait délicieusement tandis qu'au dehors, les arbres s'agitaient en vain.

Je me souviens que, tout enfant, avec ma cousine Suzanne, il nous arrivait d'accepter, non sans une petite appréhension, l'invitation de Mile à la Bielle qui nous servait dans des tasses douteuses un café non moins douteux. Pour nous étonner, il mettait en route son tourniquet : un vieux mécanisme d'horloge qu'il avait bricolé pour en faire une sorte de petit manège. Il le posait sur une chaise devant sa porte lors du passage de la procession de la Fête-Dieu, exhibant ainsi son seul trésor, sa manière à lui de rendre hommage.

Comment ces pauvres hères se débrouillaient-ils pour survivre? Tant qu'ils avaient les bras solides, on les embauchait pour les travaux des champs, mais plus tard, quand la vieillesse les rendait inutiles, on leur faisait couper du bois, battre la faux, balayer la cour, réparer les paniers... L'hiver, ils allaient d'une ferme à l'autre. Les femmes leur payaient la goutte, les retenaient à dîner par la force des choses, puisqu'ils étaient là, le derrière cloué à la chaise. Pour se "retourner", ils apportaient, en guise de présent, des pommes, des noix sauvées des roues des charrettes, des bouts de fil de fer... "Tiens, je vous ai trouvé une bricole, ça peut toujours servir!". Alors, un vieux malin sortait de sa poche une poignée de clous usagés qu'il avait préalablement soigneusement redressés avec un marteau. 

 

Pendant la période de Noël et du Nouvel An, on faisait une cure de rissoles, de riames (1) ou de mulets (2). Tout ça vous occupait l'estomac pour un bon moment et vous obligeait à boire un peu plus que de coutume. " J'en bet enco yon, pu pas allo à vau! " (3) Le bon prétexte!

La mauvaise saison s'écoulait ainsi doucement, de portes en portes, avec sa provision de gâteries et de nouvelles.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°4

 

(1) Couronnes des Rois.

(2) Pruneaux et raisins secs enrobés de pâte à pain et ensuite bouillis.

(3) "J'en bois encore un, ça ne peut pas descendre!"

 

 

 

samedi, 01 novembre 2014

Sylvie

 

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Dessin de Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2

 

 

 

 

Rappel:

La Toussaint

Nos morts

In memoriam, Jean Lacroix

 

 

En ce jour de la Toussaint,Les amis de Bernard Lacroix rappellent le souvenir de leur ami Jean Lacroix, décédé le 28 avril dernier. Il nous manque.

 

 

*

 

 

Je rencontrais un soir d'hiver la vieille Sylvie qui sortait du cimetière, la nuit largement tombée. Comme je lui en faisais la remarque, elle eut cette explication pour le moins inattendue: " Y'est lou môts que m'fan dremi". ( C'est les morts qui me font dormir.) Son fils, à qui je racontais la curieuse rencontre, me confia que sa mère avait toujours prétendu tenir un bon sommeil de ses visites quotidiennes au cimetière et au fait d'entretenir fidèlement la tombe des morts oubliés. Naturellement, cela va tout à fait à l'encontre de notre manière d'aborder le sujet. Pour la plupart d'entre nous qui n'oseraient pas traverser un cimetière la nuit, la pensée des morts nous empêcherait plutôt de dormir. Comment la vieille Sylvie avait-elle pu acquérir autant de sagesse, de sérénité? Sa réaction me laissa penaud et pensif. De nos jours, on a peur des morts, on les escamote, on s'en débarrasse en vitesse car ils dérangent notre confort routinier, on n'en veut plus chez soi, chez eux en définitive.

Une belle dame de Thonon s'exclamait au cours d'un dîner où l'on devait parler de cela: "Quand mon mari mourra, je ne veux pas qu'on le laisse à la maison, j'aurai bien trop peur!". Le pauvre homme qui se trouvait à ses côtés faillit en avaler sa fourchette.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2

 

 

vendredi, 17 octobre 2014

Les noix

NoixIsere.JPG

 

 

 

Pendant les longues veillées de novembre et décembre, on cassait les noix avant de les porter au moulin pour en faire de l'huile. De couleur brunâtre, l'huile de noix était utilisée pour la salade. On la mélangeait avec l'huile de colza pour en atténuer le goût très fort, jamais pour la friture puisqu'elle ne supportait pas la cuisson.

 

Le cassage de noix : l'aucale, était prétexte à de joyeuses soirées, émaillées de rires et de chansons. Chacun apportait son marteau et une pierre plate pour ne pas endommager le bois de la table. Les femmes pouvaient emporter les brisures dans leur tablier pour couvrir le feu en rentrant à la maison. C'était une tolérance, comme pour remercier celle qui était venue, ce qui montre à quel point le moindre combustible était précieux.

 

J'ai connu deux huiliers : Manillier à Perrignier et Chevallet à Langin-Bons. Leur matériel a été miraculeusement conservé. L'huilerie de Langin est en état de parfait fonctionnement et vaut la visite : un ensemble impressionnant de poulies, de rouages, de meules, supportés par d'énormes poutres de châtaignier.

Les noix débarrassées de leur coquille étaient écrasées finement dans la conche par une grosse meule de pierre, puis chauffées et pressées une ou deux fois de suite.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°5