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lundi, 13 janvier 2014

Souvenirs d'enfance

jean-michel lacroix,souvenirs d'enfance

Photographie de JN Bart

 

 

 

 

 

Il y a un demi siècle de ça, Louisa me disait : " Il n'y a rien de plus propre que l'eau!" Elle répondait ainsi à ma question: " Pourquoi tu ne mets pas du savon, pour faire la vaisselle?"

Si Louisa savait combien l'eau propre se raréfie, de nos jours!... Ce qui ne nous empêche pas de l'utiliser en abondance pour "tirer la chasse".

Maintenant, on rit de la cabane au fond du jardin, et aussi de ceux d'entre nous qui réinventent les toilettes sèches.

 

Quand j'étais petit, je passais des heures dans la petite pièce qu'on avait coutume de nommer "le débarras". Là, je pouvais à loisir ouvrir des boîtes à chaussures qui contenaient des trésors. Une boîte remplie de boutons de toutes sortes, une boîte pour les ficelles, une pour les papiers d'emballage de Noël et les papiers de soie. Une étagère pour les journaux qui serviraient à allumer le feu, une pour les vieux habits qui aideraient à en ravauder de plus récents après une après-midi passée à la luge ou aux bois.

 

Chaque jour que Dieu faisait, et selon la saison, des légumes encore tout vivants arrivaient à notre table, transformés en bonne soupe le soir même. On gardait précieusement un rond d'orties pour faire la soupe meilleure.

 

Les poules étaient vénérées tant elles faisaient partie de la famille...Des poubelles? Je n'en ai jamais vu! On avait un compost au fond du jardin qui acceptait tout ce qui n'était pas passé par leur gamelle (les poules), ou celle des chats.

 

On achetait le pain au boulanger qui arrêtait sa 2CV fourgonnette chaque matin devant la maison . Un ou deux moutons, parmi ceux qui tondaient l'herbe au verger, sous les pommiers, poiriers, pruniers, cognassiers, mirabelliers, étaient sacrifiés pour servir notre table ou être échangés pour du bœuf. Le Chablais était, à l'époque, le plus beau pays du cassis et surtout de la framboise, qu'on portait à la pesée pour en tirer quelque revenu. Les pommiers, qui servaient d'ombrage aux vaches, fournissaient le jus de pomme pour les enfants et le cidre pour les hommes. Les pommes et poires "de garde" devenaient les réserves de minéraux, sucres et douceurs une fois transformées en tartes ou rissoles, cuisinées à base de poires Lou ou, à défaut, de poires curé.

   

En ce temps pas si lointain, les cloches sonnaient jour et nuit, accompagnant nos vies et réglant notre quotidien, sans toutefois nous réveiller.

Pour ceux d'entre nous qui n'avaient pas de vaches, la fruitière (fromagerie) du village était tout à la fois un lieu de rendez-vous quotidien ainsi que le lieu où on s'approvisionnait en fromage, lait, beurre. Ce beurre, aussitôt moulé dans la marque à beurre, à la fois pour le décorer et le mesurer à 250 grammes, était mis à refroidir dans la source de la fromagerie.

L'hiver arrivant, l'alambic était prétexte à un rassemblement mâle.

 

Quand j'étais petit, on donnait un foin différent chaque jour à nos vaches, afin d'éviter les carences, et ce qu'on appelait les prins ( en savoisien, petit), c'est-à-dire les graines du foin tombées dans la grange, étaient servis aux bêtes, mélangés à de la betterave râpée et du son, pour les rafraîchir et aider à la digestion ainsi qu'à la production de lait, et avant ça, à la gestation des mères (vaches, bien entendu).

 

Mon Dieu, il y aurait tant à dire!...

Le croirez-vous? Il m'est arrivé tant de fois d'aller prendre à la rivière, alors que j'avais huit-dix ans et plus, des truites farios nées dans ce cours d'eau! Tout ceci à la main, et en total respect de cette population. Ma rivière est maintenant devenue un égout dans lequel je ne voudrais pas plonger les mains de peur d'en tirer un rat...

 

Jean-Michel Lacroix

dimanche, 27 octobre 2013

Le mulet

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Croquis de Bernard Lacroix, extrait du recueil Croquis Minute





De tous les animaux domestiques communs à nos régions de montagne, je ne cache pas ma préférence pour le mulet. Cette espèce animale hybride a, paradoxalement, des qualités de bonne lignée qu'il manifeste — et c'est là où le bât blesse —, quand il en a envie.

N'est pas propriétaire d'un mulet qui veut. C'est, entre l'homme et la bête, un rapport de force permanent, il faut que l'un soit aussi malin que l'autre. Curieusement, le mulet n'a pas le même comportement avec les femmes. Je suis persuadé qu'il existe entre ces dernières et la bête de somme une véritable complicité, une sorte de compréhension mutuelle qui les rapproche : quelques paroles mystérieuses glissées au creux de l'oreille, un morceau de sucre ou un quignon de pain donnés en cachette... Allez savoir?

Contrairement au cheval, le mulet n'a pas le vertige, il a le pied plus sûr. Il devine les méandres d'un chemin longeant des précipices sous plusieurs mètres de neige. Il est patient, courageux, obstiné, peu coûteux d'entretien, rarement malade... Par contre, il est quelquefois méchant. Quand vous lui tournez le dos, il en profite pour vous mordre les épaules, vous enlever votre chapeau ou vous déchirer votre chemise. Il n'aime pas les chevaux. Á la charrue, on le mettait toujours en "flèche", c'est-à-dire le premier, pour justement éviter qu'il morde les fesses du cheval précédant. Son langage est dans ses oreilles qu'il oriente sans cesse vers les bruits ou les paroles. Avec un peu d'expérience, on comprendra vite qu'il ne fait pas bon lui tourner autour de la queue sans prévenir.

Si son maître ne connaît pas toujours ses états d'âme, l'animal, en retour, ne se trompe jamais. Quand un habitant d'un hameau voisin, trop saoul pour tenir les guides, s'allongeait dans son tombereau, son mulet le menait toujours à bon port, mais chaque fois, il se débrouillait pour faire passer une des roues du véhicule sur une grosse pierre plantée à l'entrée de la cour, ce qui faisait que la charrette déséquilibrée se retournait sur son pauvre occupant. Après quoi il trouvait le moyen de se défaire de ses harnais pour rejoindre sa place dans l'étable dont il savait également ouvrir la porte.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°4

vendredi, 16 août 2013

L'alpage

alpage, mémoire du chablais





Pour les hommes qui partaient en alpage l'été, l'hiver dans la vallée était noir, triste, morne et combien long. Lorsque le temps le permettait, le vieux Fred partait faire un tour le plus haut possible sur le chemin de l'alpage, comme s'il voulait reconnaître un parcours pourtant maintes fois emprunté, mais surtout pour constater que la neige reculait de jour en jour, laissant entrevoir un départ de plus en plus proche.


On peut naître en alpage, mais la mort ne monte jamais là-haut, aimait-il dire sentencieusement. Vers la fin de sa vie, cloué au village par la vieillesse, il prétendait entendre, les soirs de grand vent, le bruit des pas des vaches et le son des clarines en route pour "l'emmontagnée" et il ajoutait, au grand étonnement de ses interlocuteurs : " Non seulement je les entends, mais je peux même dire à qui elles sont".


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°8

vendredi, 26 juillet 2013

Les moutons

 

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Croquis de Bernard Lacroix, extrait de Croquis Minute




Sur les monts impassibles

Le troupeau,

Nuage vivant de la terre,

Promène le flux et le reflux

De son errante fringale.


Bientôt

Il ne restera de leur passage

Que quelques fleurs basses.


On ne voit que des toisons :

Les moutons

Ont brouté leurs pattes!


Bernard Lacroix, L'herbier du temps

jeudi, 18 juillet 2013

Meunier

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Photographie JN Bart






La chanson le dit bien

"Ton moulin va trop vite !"

 

Il y a l'eau

La roue

La meule...

 

Il faut de l'ordre dans tout ça.

 

Tout ton talent

Est dans la juste mesure

 

Pour que le pain

Demain

Ait le parfum

A la fois âcre et doux

De la vie.

 

Bernard Lacroix, Redoux


*


Autrefois, on disait de certains meuniers qu'ils avaient un "pouce en or" . Quand ils puisaient, dans le but de les vendre ou de les partager, du grain ou de la farine à l'aide de mesures qui ressemblaient à de grands verres à bière en bois, ils laissaient traîner leur pouce dans la mesure afin de diminuer la quantité mesurée. Ainsi, à la fin de l'année, le meunier avait subtilisé plusieurs décalitres du précieux blé...!

mardi, 25 juin 2013

J'ai vécu à la lisière de deux civilisations

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Croquis de Bernard Lacroix, extrait du recueil Croquis Minute




J'ai vécu à la lisière de deux civilisations : la civilisation agro-pastorale, pour parler comme les sociologues, et celle du machinisme naissant. J'avais déjà fait mon choix. Trop jeune pour aller à l'école, ma mère me confiait à ma tante Émilie qui était aussi ma marraine. Je quittais une maison neuve, aux carrelages luisants, aux tapisseries à fleurs, pour un intérieur borgne et fumeux où l'on vivait encore comme au Moyen-Âge. Je retrouvais chaque matin les poutres culottées, la pénombre mystérieuse,le poêle de fonte ronflant, l'horloge assidue... En me hissant sur un tabouret, je pouvais découvrir sur les assiettes bien alignées dans la crédence, les "Voyages en chemin de fer" ou "La vie de Jeanne d'Arc". L'hiver, je mettais mes pieds sur la brasière jusqu'à ce que mes chaussettes sentent le roussi. Je basculais avec délectation dans un monde où l'enfant imaginatif que j'étais, pouvait tout à loisir regarder, écouter, toucher, sentir, bref, se mettre sans trop s'en rendre compte des souvenirs plein les poches.


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2


(à suivre...)

samedi, 25 mai 2013

La chèvre

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Sculpture de Bernard Lacroix, photographie galerie Fert.





On disait autrefois qu'une chèvre, à elle toute seule, faisait vivre une petite famille. Elle donnait son lait deux fois par jour et deux ou trois cabris par année. Rustique, toujours en bonne santé, peu exigeante, on la trouvait surtout chez les pauvres et les personnes âgées.

Quand ma grand-mère Jeanne, le moment venu, menait sa chèvre motte* au bouc de son voisin Dian Quauqui, il fallait traverser la cuisine pour aller à l'étable et, comme l'étable était "borgne", c'est-à-dire sans ouvertures sur l'extérieur, le plus pratique était de sortir le fumier par la fenêtre de ladite cuisine. Personne ne s'en plaignait, ni ma grand-mère, ni la chèvre et encore moins le bouc.

Le père Gallet était l'heureux propriétaire d'un énorme "Botiou". Il faisait du "service à domicile" en trimballant le bel étalon dans une remorque derrière sa bicyclette.


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°8


* chèvre motte: chèvre sans cornes.




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Croquis de Bernard Lacroix, extrait du recueil Croquis minute


jeudi, 23 mai 2013

Les poules

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Croquis de Bernard Lacroix, extrait du recueil  Croquis minute

 




Comme la plupart de mes semblables, j'aime les poules pour ce qu'elles font : un œuf! D'abord une constatation : les poules deviennent rares. Il m'a fallu ruser pour en trouver, finalement dans un poulailler quasiment clandestin et, où le coq est banni, il y a des parisiens ou des genevois dans le voisinage.

Autrefois, ma grand-mère sortait ses poules tous les jours vers les quatre heures. Il fallait les surveiller pour qu'elles n'aillent pas se faire écraser sur la route. Malgré cela, il y en avait toujours une ou deux qui lui faussaient compagnie. On les retrouvait invariablement dans le poulailler des voisins, histoire de changer de coq ou tout simplement pour voir ce qui se passait ailleurs, peut-être! "Jeanne, venez voir, je crois bien qu'il y a une de vos poules avec les nôtres". Ma grand-mère revenait quelques minutes après avec la fugueuse sous le bras sans chercher à la punir. Car comment punir une poule?

Les volailles avaient droit à quelque attention : on leur faisait cuire des pommes de terre soupoudrées de son. On veillait à ce qu'elles aient toujours de la bonne eau à boire. L'hiver, on les "rentrait" dans une sorte de cagibi, le plus souvent situé sous l'escalier qui menait au premier étage. On ouvrait ou on en refermait le "trapolet", petit orifice qui leur permettait de sortir ou de rentrer à leur guise.

On les dit bêtes. Pourtant leur tout petit œil vous scrute intensément. Elles vous reconnaissent, elles vous suivent tranquillement, à votre pas, elles rentrent dans la maison, picorent sous la table, elles trouvent toujours quelque chose à manger, n'importe où, même dans l'église quand la porte est restée ouverte. Elles grattent le sol, s'énervent, s'agitent dans leur bain de poussière. Mort aux vers de terre, aux limaces et aussi aux vipères, qu'elles estourbissent à coups de bec rageurs.

Le poulet, comme son nom l'indique, est le gendarme de la basse-cour, le père, le gardien omniprésent. Attentif à tout ce qui se passe, il en oublie sa propre faim, dodeline de la tête, secoue ses ailes rageusement, crie, s'énerve, bouscule s'il faut. Le soir, il s'endort rassuré quand toutes ses protégées sont sagement alignées sur le "jo"*. S'il se trouve bizarrement sans voix dès que le jour baisse, ce sera pour mieux s'égosiller dès que le soleil s'annoncera le matin venu.

"Poules"! Pourquoi tout à coup ce nom plein d'équivoque? Pourquoi désigne-t-il une femme de mauvaise vie alors que les poules, les vraies, sont des mères ô combien prévenantes et fidèles? Et puis, cette façon bêtifiante qu'ont les hommes de jouer au coq : "Viens ma poule, viens ma poulette, viens poupoule...!".

Avec une chèvre et deux poules on fait vivre une maison, disait-on dans le temps. C'était vrai! C'est pourquoi j'ai voulu, à ma manière, leur rendre hommage. C'est fait pour les poules.

Á bientôt les chèvres!


Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°6


* le jo: le perchoir.



samedi, 11 mai 2013

Comptines chablaisiennes

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Sculpture de Bernard Lacroix. Photographie galerie Fert.

 

 

 

 

Corbé, corbasse,

Ton pore est coué,

Ta more est couasse,

Corbé, corbé!

 

*

 

Piu, piu,

S'te peque mon nâ,

Z'tefô on coup d'estropie!

 

*

 

C'est l'Prince de Carignan

Qui s'en va t'à la guerre,

La guerre de Marignan,

Le Prince de Carignan.

 

Il avait un cheval

qu'avait la tête derrière

Et la queue par devant

Le Prince de Carignan.

 

*

 

Dodo pounette

Catherinette,

Endormez-moi cet enfant

Jusqu'à l'âge de quinze ans

Quand quinze ans seront passés

Il faudra la marier :

Dans une chambre

Pleine d'amandes

Un marteau pour les casser

De bonnes dents pour les manger!

 

*

 

Rondin, picotin,

La Marie a fait son pain

Pas plus gros que son levain,

Son levain était moisi

Son pain n'a pas réussi: tant pîs!

 

*

 

O Dian

Vin sé

Vin lé

Vin io

Vin bas

Y'a des bougnettes

Avoué du lâ.

 

*

 

Bin, bô,

La cloche du Lyaud

Qu'a zin d'batau

qu'un clu d'sevau,

Quoui y'est qu'la metto?

Y est l'fou du Lyaud!

 

*

 

Derrière chez ma tante

Y'a des pommes à vendre

Des rouges et des blanches

Quatre quatre pour un sou

Mademoiselle tournez-vous!

 

Les cahiers du musée n°6

 

 

 

 

samedi, 04 mai 2013

Pour bien labourer

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Pour bien labourer, il faut connaître l'oiseau : chaque temps a son précieux annonceur. Il y a par exemple, l'oiseau du point du jour qui réveille le laboureur sur quatre notes : " Féli tê lèvo?" (Félix, tu es levé?). L'oiseau de la pluie qui nous prévient et qui insiste : "Pluie, pluie,pluie!". Le "compte fagots" qui s'approche dès que le bûcheron sort le pain de la musette ... et tous les autres :

 

Le rabidolet (roitelet)

Le bossati (troglodyte)

Le fouifoui ( pinson)

Le momélot (loriot)

Le chaw (choucas des tours)

La pipine au Bon Dieu (bergeronnette)

Le cardinalin (chardonneret)

Le cul brelot (rouge-queue)

La matagasse (pie grièche)

L'agasse ( pie ordinaire)

La lordère (mésange)

La grive à pacot (grive musicienne)

La creblette (faucon crécerelle)

Le cocu (coucou)

Le corbé (corbeau)

Le piot (pic-vert)

Le piot jaillet (pic-épèche)

Le cou roge (rouge-gorge)

Le bouzat (épervier)

Le crenalet (tourterelle)

Le vardereule ( verdier)

Le générai (geai)

Le oué (buse)

Le tiou (milan noir du lac)

Le déboteni ( bouvreuil)

La bobue (huppe)

Le racle (martinet)

Le cul-blanc (hirondelle de fenêtre)

Le crapaud volant (engoulevent)

Le tiolu (merle)

La terraillette (fauvette)

... fidèles témoins de la geste saisonnière.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10