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jeudi, 23 août 2012

L'Important

Quand le charpentier

Monte sur le toit

Le travail est à moitié fait.

 

Quand le bateau lève l'ancre

Le voyage est routine.

 

L'important

C'est avant et après !

 

Bernard Lacroix

Art Populaire

Ce qui m'intéresse ?

 

Tout sur quoi un front s'est penché

 

Tout sur quoi une main s'est posée un instant

Caressante, hésitante,

Puis exigeante et sûre

 

Bernard Lacroix

mardi, 24 juillet 2012

Je n'ai pas la nuit facile...

Je n'ai pas la nuit facile:

  Mes pensées traquent le sommeil

  Et le font fuir.

  Les mots des mauvais me reviennent,

  Insistent...

  Et puis je suis de ceux qui croient

  Que pour un baiser de trop chez-soi,

  C'est toute une vie sans amour en face !

 

Bernard Lacroix

jeudi, 19 juillet 2012

Armand Robin, Bernard Lacroix, poètes "anarchistes de la grâce"

079.jpg

Nativité. Sculpture de Bernard Lacroix. Photographie Galerie Fert.



Je dédie ce texte à la mémoire d'une "femme d'autrefois", Marie Deruaz, ma marraine.



" L'homme, lorsque le songe le prend,

Est grossement modelé d'origine et de fin.

Et de toutes les étoiles rassemblées

Et de toutes les lueurs de lune dispersées.

[...]

Anarchiste de la grâce, il se tend

En jongleur tendant ses mains en fleurs,

En blés, en étés saccagés, en automnes mécontents

Il demande..."

Armand Robin, Possibilité flottante in Le monde d'une voix.


*


Les titres des deux recueils poétiques d'Armand Robin, Ma vie sans moi et Le monde d'une voix (1) annoncent une libération de la fausse parole. Le premier renvoie à une quête de dépersonnalisation et de renoncement à ce qu'on appelle couramment, à tort, la vie: la vie sociale qui fige l'homme dans une image réductrice donc fausse, sans rapport avec l'être profond dont seule la parole poétique peut rendre compte. Aussi le poète cherche-t-il à se dépouiller de son "moi social" pour laisser venir, à même le poème, un autre moi plus moi-même que moi, pour reprendre la formule de Paul Claudel. Armand Robin cherche le poème pareil au "palais d'un langage étincelant de feuilles" qui abrite l'être profond, cet "autre moi":

La fraîcheur d'un silence à franges de ramilles
Le palais d'un langage étincelant de feuilles,
D'églantiers, d'aube en paix, d'herbes, de joies en deuil,
Parlent plus haut que moi que si j'étais en vie" (p.70)

De même, le second titre, Le monde d'une voix évoque un autre monde que le monde social que nous prenons abusivement pour le seul et vrai monde, une autre vie, cette vie intérieure que nombre de nos contemporains ont perdue, vie singulière dont nul totalitarisme ne peut se rendre maître, d'où s'élève la voix du poète.
Dès lors, le terme "anarchiste" prend un tout autre sens que celui des idéologies du même nom et ce, en dépit du fait qu'Armand Robin ait fréquenté les milieux anarchistes de son époque ( dont un certain Georges Brassens) et publié aux Éditions Anarchistes. "L'anarchiste de la grâce" désigne le poète qui "demande", mendiant du Verbe à la fois parole de Dieu et parole innocente, magie blanche de la grâce contre la magie noire de la fausse parole qui fait de nous des obsédés, ces Possédés que Dostoïevski a magnifiquement représentés dans son roman éponyme.
"L'anarchiste de la grâce" est ce réfractaire qui a identifié les puissances dominatrices réelles lesquelles ont changé et changent toujours de forme, au cours de l'Histoire. Dans son poème Le programme au cours des siècles Armand Robin montre qu'on ne peut les identifier qu'en se référant aux transcendantaux qu'il écrit avec des majuscules: la Foi, l'Âme, la Charité, l'Amour, l'Esprit de Vérité... Le programme au cours des siècles des puissances dominatrices est de supprimer ces transcendantaux pour se substituer à eux, dans une fuite en avant mortifère, une course vers l'anéantissement de l'homme, de l'humain dans l'homme. "L'anarchiste de la grâce" n'a donc rien à voir avec ces anarchistes autoproclamés qui nient les transcendantaux, il en est le contraire. Il refuse les puissances dominatrices, leur autorité illégitime, précisément au nom des transcendantaux ;  en termes théologiques chrétiens, il refuse le Prince de ce monde au nom du Verbe. Par là même, au nom du Verbe, au nom de Celui qui délivre de tous les maîtres, il refuse les serviteurs du Prince de ce monde. C'est là, me semble-t-il, le point commun essentiel entre Armand Robin et Bernard Lacroix.

                          

De multiples convergences, des échos, d'un poème à l'autre, relient ces deux poètes, frères des Impardonnables de Cristina Campo, convergences en provenance de la même foi, des mêmes fidélités.
Toute authentique poésie est orphique, c'est-à-dire musicale, depuis que la lyre d'Orphée s'est muée en constellation dans le ciel. Musique destinée, en premier lieu, à ressusciter les voix des morts. Dans la poésie d'Armand Robin comme dans celle de Bernard Lacroix, le poème est toujours un chant, qu'ils prennent des libertés avec les mètres et les rimes ou qu'ils recourent à la splendeur classique de l'alexandrin: chant qui convoque les voix des morts, des aimés disparus, ou rend grâce au monde qui s'en va. Ainsi le poème Femmes d'autrefois de Bernard Lacroix fait écho à Prière (2), un poème où Armand Robin donne la parole à sa mère. Les deux poèmes évoquent avec une infinie tendresse ces femmes aimées, humbles femmes du peuple. Armand Robin, prêtant sa voix à celle de sa mère, invente sa prière tandis que Bernard Lacroix laisse parler le silence de ces femmes d'autrefois, dans une scène d'ombre et de lumière comme on en voit dans les tableaux de Georges de La Tour:

"Une complainte sans âge attisait la braise,
La lampe veillait
Près du tabernacle de vos joies encloses. [...]
Je n'ose deviner vos prières secrètes
Devant le retable flamboyant de l'âtre."

Fidèles à leurs morts, Armand Robin et Bernard Lacroix le sont aussi à leurs racines, leur pays natal, leur langue. "Les anciennes souches, nul n'a pu me les arracher" (p.76) écrit Armand Robin. Tous deux fils d'agriculteur, ils célèbrent l'ancien monde paysan en lui redonnant vie et, suprême hommage, en redonnant vie à sa langue sous la forme d'anciennes chansons populaires. Une telle inspiration se retrouve dans plusieurs poèmes d'Armand Robin, par exemple La fiancée du sabotier qui commence ainsi:

"J'avais choisi pour bien l'aimer
Viens que je t'aime, douce aimée,
Une mignonne, une demoiselle.
J'allais souvent la voir chez elle.
J'ai pour venir te fréquenter
Viens que je t'aime, douce aimée,
Usé trois paires de sabots.
Pour toi je prenais les plus beaux." (p.46)

Et l'on retrouve le rythme des danses paysannes dans cet Air de ronde pour bretons:

"L'été dernier la Catherine
A perdu sa dernière dent.
Tra la la! quelle misère!
Tra la la! Dansons gaiement!" (p.49)
De même, on retrouve le parler populaire chablaisien dans ce Noël savoyard où Bernard Lacroix joue avec les patronymes et sobriquets, et donne la parole à sa grand-mère comme Armand Robin l'avait donnée à sa mère dans Prière.C'est que chacun d'eux ne veut pas écrire pour les privilégiés de la culture qui sont bien souvent les propagateurs de la fausse parole, mais pour le peuple. L'un et l'autre savent que les puissances dominantes n'auront de cesse de tuer la culture populaire pour la remplacer par la culture de masse, cette culture industrielle pourvoyeuse de divertissements abrutissants.

"Je veux un chant
Qui donne les reflets du couchant dans les bras des travailleurs [...]
Un chant, qu'entend le plus pauvre paysan
Et malgré la journée de poussière et de sueur qui l'engorge
Il se détourne du sentier le plus court
Et, se mêlant aux fleurs,
Il erre un instant
Au long des épis montant la garde à sa taille." (p.181) écrit Armand Robin. Nul doute que Bernard Lacroix ait fait le même vœu.
Une même conception de la poésie anime l'œuvre d'Armand Robin et celle de Bernard Lacroix, fondée sur le mystère de l'Incarnation.Dans son entreprise de dépersonnalisation, d'oubli de soi, Armand Robin quête un langage dont on percevrait qu'il est "verbe et non langage", "souffle et non rythme", "esprit et non poème", un langage par qui nous pourrions aborder à "un monde d'avant le monde, un monde encore innocent de mots". Tous deux sont en quête de l'esprit d'enfance, de l'innocence retrouvée. Aussi le thème de Noël est-il récurrent dans la poésie de Bernard Lacroix. L'Enfant Dieu descendu parmi les hommes, le Verbe fait chair offre la promesse de cette innocence comme nous le dit  un magnifique Noël:

" Il y a
Dans le silence retrouvé de mon âme
Le souffle ténu d'un enfant qui s'endort,
Quelque chose de doux et de chaud
Comme une petite main sur mon cœur."

Mendiants du Verbe, les "anarchistes de la grâce" Lui demandent de descendre dans leurs propres mots.

Élisabeth Bart-Mermin

Notes:
(1) Les éditions Gallimard ont rassemblé ces deux recueils dans un seul livre sous le titre Ma vie sans moi  (2004). Toutes les citations renvoient à cette édition. Les citations de Bernard Lacroix renvoient à des poèmes publiés sur ce blog, indiqués en lien.
(2)Prière est un long poème dont je ne peux citer qu'un bref extrait. La mère d'Armand Robin adresse au Christ cette prière pour son fils:
"Jésus toujours si propre et si coquet,
Ma prière d'aujourd'hui n'a pas les doigts lavés,
J'ai dû beaucoup peiner dans l'étable, vous le savez,
Mais j'ai pu cependant changer de tablier
Et j'espère que je mérite d'être exaucée;
Il ne peut pas vous déplaire puisque je l'aime tant;
Vous étendrez sur lui partout votre regard
Qui est clair et vaste comme un village au printemps;
Vous le ferez vivre comme autrefois je le faisais dormir". (p. 35)













 

samedi, 07 juillet 2012

Armand Robin le Réfractaire, 1

 

poésie,armand robin,ma vie sans moi

 

 

 

Le programme en quelques siècles

 

On supprimera la Foi

Au nom de la Lumière

Puis on supprimera la lumière.

 

On supprimera l'Âme

Au nom de la Raison,

Puis on supprimera la raison.

 

On supprimera la Charité

Au nom de la Justice,

Puis on supprimera la justice.

 

On supprimera l'Amour

Au nom de la Fraternité,

Puis on supprimera la fraternité.

 

On supprimera l'Esprit de Vérité

Au nom de l'esprit critique,

Puis on supprimera l'esprit critique.

 

On supprimera le Sens du Mot

Au nom du Sens des mots,

Puis on supprimera le sens des mots.

 

On supprimera le Sublime

Au nom de l'Art

Puis on supprimera l'art.

 

On supprimera les Écrits

Au nom des Commentaires,

Puis on supprimera les commentaires.

 

On supprimera le Saint

Au nom du Génie,

Puis on supprimera le génie.

 

On supprimera le Prophète

Au nom du Poète,

Puis on supprimera le poète.

 

On supprimera l'Esprit

Au nom de la Matière,

Puis on supprimera la matière.

 

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L'HOMME;

ON SUPPRIMERA LE NOM DE L'HOMME;

IL N'Y AURA PLUS DE NOM.

NOUS Y SOMMES.

 

Armand Robin, Ma vie sans moi ( Éditions Gallimard, coll. Poésie, 2004)

(  Á suivre...)

 

 

 

 

jeudi, 28 juin 2012

Le Tigre Absence, de Cristina Campo (extrait)

P1000027.JPG

 

La neige était suspendue entre la nuit et les rues

comme le destin entre la fleur et la main.

 

Dans un doux son

de cloches, tu es venu, mon aimé...

Comme un rameau a refleuri la vieillesse de ces marches.

Ô tendre tempête

nocturne, visage humain!

 

(Maintenant toute la vie est en mon regard,

étoile sur toi, sur le monde que délimite ton pas)

 

Cristina Campo, Le Tigre Absence, (Éditions Arfuyen, 1996)

Photographie JN Bart

mardi, 27 décembre 2011

Poème d'hiver...

Solitude


L'hiver est là, partout, sur le toit, sur le lierre,
Aux marches du perron, assis sur le vieux banc,
Il effraie mes volets, badigeonne de blanc
La fenêtre où le froid cisèle des fougères.


Je suis là, moi aussi, près d'un feu qui frissonne,
A me mordre les doigts, à compter mes regrets.
J'ai fermé le piano, plié le chevalet.
A qui rêver ? De quoi ? Quand on n'aime personne !


J'ai beau chanter, prier, secouer les apôtres,
Ma solitude dure et si ça continue,
J'aurai pour réchauffer mon vieux coeur de laitue
Qu'un verre de cassis chez la vieille d'un autre.


Bernard-Dominique Lacroix

jeudi, 22 décembre 2011

Noël savoyard

Noël chablaisien


"Jésus-Christ est né à Vougnan"

dit ma grand-mère,

"En l'an mille, mille huit cent,

...Avant la guerre".


Comme le lit n'était pas bon;

la pauvre mère

Mit le petit dans un benon

De paille claire.


Tout le pays vint à grand pas

Dans la cuisine

D'abord le vieux curé Brêlaz,

Joseph à Bline,


Mile à Guiton, Paul à Nonet

Puis la Daudine

Fanfoué du Nan, Dian Batioret,

Louis à la Quine


Bellot, Jorlet, Coland, Râté

La p'tite Fanchette

Collet, Palin, Liaudi, Minmé

Et la Draulette.


Barnôt, Zouze, Léon Foini

La Basoquette

Pierre à Pinon, Fonse à Quiqui

Jean à Clavette,


Guste à Julien, Fred à Lolon

La Mélanie

Trelôt, Mollet, Gêne à Genon

Et j'en oublie.


On vit même de bon matin

Chez la Marie

François de Sales, Saint Guérin

En compagnie.


"Jésus n'était donc pas Gaulois

Juif ou Berbère

Mais Savoyard comme il se doit !"

Dit ma grand-mère.


Bernard-Dominique Lacroix