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jeudi, 04 septembre 2014

Rencontre avec deux collectionneurs, Bernard Lacroix et Jean-Marc Jacquier


Vidéo du Conseil Général de la Haute-Savoie (Culture cg74)

 

 

 

Bernard Lacroix et Jean-Marc Jacquier évoquent ici les origines des collections qu'ils ont constituées et certaines caractéristiques de la vie quotidienne des habitants des Alpes. Je reviendrai ultérieurement sur ces deux remarquables collections ethnographiques qui ont fait l'objet d'une superbe exposition réalisée par le Conseil Général de la Haute-Savoie et  intitulée La fabrique du quotidien, au domaine de Rovorée La Châtaignière, en 2011.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

 

 

 

 

lundi, 11 août 2014

Le moulin des Esserts et le Foron

 

moulin des esserts, foron, baie d'excenevex

Le moulin des Esserts, 2

(Photographie Hubert Le Goff)

 

 

 

 

 

Reste-t-il "des choses blotties dans les recoins du temps, à jamais" ,  comme l'écrit Bernard Lacroix? D'une génération à l'autre, certaines de ces choses semblent irrémédiablement perdues, telle la limpidité du Foron, ruisseau de la forêt de Planbois, qui alimentait le moulin des Esserts.

 

 

 

Lorsque j'étais petit, les gens du coin le nommaient "moulin d'Essert", ce qui m'avait laissé penser que c'était le moulin des cerfs, et j'allais souvent "planquer" pour y surprendre ces grands animaux. Cela m'a valu d'y découvrir des loutres, avec lesquelles j'étais en compétition pour attraper les vaillantes truites farios, nées dans ce torrent. Merveilleux souvenir que ces loutres, non seulement pas effarouchées de ma présence, mais plutôt curieuses, au contraire, jouant volontiers à cache-cache et m'observant de derrière un arbre ou un rocher.

C'est un trésor sans nom, ce que la Nature peut offrir à un enfant.

J'ai vu aussi des biches, ainsi que beaucoup d'autres créatures, dans ce qu'on appelait alors "les bois d'en bas", par opposition aux "bois d'en haut" de la chaîne des Voirons.

 

 

Aujourd'hui...

 

 

Pauvre moulin des Esserts, et surtout, pauvre Foron, dans lequel dix-sept communes ont déchargé leurs immondices pendant des années, sans parler des tonnes de plomb du ball-trap sédentaire situé à une portée de fusil.

Tout ça finit, de nos jours encore, dans la baie d'Excenevex, dont l'eau n'est pas renouvelée par le Rhône, ce qui en fait la seule plage de sable du Léman. De grâce, ne baignez pas vos bambins dans ce bouillon...

 

 

Jean-Michel Lacroix

vendredi, 21 mars 2014

Le Baroque Savoyard,4

Les-Contamines-Monjoie_-_église_de_la_Sainte-Trinité.jpg

Église de La Sainte Trinité, Les-Contamines-Montjoie (Haute-Savoie)

 

 

Le Baroque rural

 

 

Avec cette 4e note s'achève notre série consacrée au Baroque Savoyard.

Rappel:

Le Baroque Savoyard, poème de Bernard Lacroix.

Le Baroque Savoyard,2.

Le Baroque Savoyard,3. L'église des jésuites de Chambéry.

 

*

 

Le baroque savoyard rural ( églises, chapelles, oratoires) se trouve essentiellement en Savoie et dans les vallées du Mont-Blanc au sud-est de la Haute-Savoie. Pourquoi la vague baroque qui parcourt les villages de montagne aux XVIIe et XVIIIe siècles a-t-elle épargné l'Avant-Pays savoyard et les massifs préalpins, dont le Chablais? Bruno Berthier, historien du droit et des institutions, répond à cette question dans deux chapitres érudits et passionnants de Savoie Baroque (1).

L'exceptionnelle efflorescence du baroque dans les hautes vallées savoyardes résulte de multiples facteurs que l'historien rassemble sous deux axes. D'une part, l'axe géopolitique : le duché de Savoie a soutenu la Réforme catholique du concile de Trente pour affermir sa puissance et pour ce faire, il a favorisé l'expansion de l'art baroque, médiateur de la spiritualité tridentine. D'autre part, l'axe local : le système agro-pastoral prospère propre à ces hautes vallées avait instauré depuis le XIIe siècle une forme d'institutions communales en mesure de financer et de participer à la construction des édifices baroques.

Les États de Savoie ont failli disparaître à la Renaissance, au cours des guerres d'Italie. En 1538, François 1er annexe le duché de Savoie par le traité d'Aigues-Mortes. Le duc Emmanuel-Philibert, dit Tête de fer, le récupèrera en 1559, par le traité de Cateau-Cambrésis. Dès lors, il se tourne vers l'Italie pour asseoir ses possessions : Turin devient la capitale du duché au détriment de Chambéry. Il modernise la fiscalité, établit un État centralisateur fondé sur une monarchie de droit divin. Dans cette perspective, il combat la doctrine protestante, Genève la calviniste alliée aux Républiques helvétiques luthériennes de Berne et Fribourg, en rébellion contre la maison de Savoie. L'art baroque est donc encouragé, à la fois instrument et signe d'un catholicisme victorieux, support de la monarchie.

Toutefois, cette stratégie de la maison de Savoie ne suffit pas à expliquer pourquoi l'art baroque ne s'est épanoui que dans les hautes vallées. Celles-ci devaient leur prospérité à leurs institutions communales. Le patrimoine foncier appartenait à la communauté des villageois, les "communiers", qui ont su le faire fructifier grâce à un système agro-pastoral parfaitement adapté à la région et à son climat. Durant les longs hivers, beaucoup d'entre eux émigraient et devenus colporteurs, ramoneurs, cochers, rapportaient ensuite leurs gains à la communauté. Ainsi, souligne Bruno Berthier, l'épanouissement de l'art baroque est lié à cet "âge d'or" (XVIIe-XVIIIe) des communautés villageoises, mais il doit beaucoup aussi à leur foi : " La décoration des églises, financée, sans souci immédiat de contrepartie, à l'aide des mêmes revenus du système agro-pastoral alpin que ceux affectés aux institutions communautaires et par conséquent intéressées, [...] plaide clairement en faveur d'un geste gratuit de louange du principe divin que la vitalité communale traduit par le jaillissement des réalisations baroques." (2)

 

*

 

L'essor de l'art baroque en Savoie et Haute-Savoie commence dans la seconde moitié du XVIIe siècle, plusieurs décennies après le concile de Trente. A la demande des évêques, les églises rurales doivent se conformer aux directives tridentines. Souvent situées à l'écart, sur les hauteurs pour être vues de loin, simples dans leur aspect extérieur, elles ne se distinguent des maisons villageoises que par leur clocher à bulbe et leur façade principale, à l'ouest. 

 

 

façade saint-Nicolas de Véroce.jpg

Église Saint-Nicolas-de-Véroce à saint Gervais (Haute-Savoie)

 

église de cordon.jpg

Église Notre-Dame de l'Assomption à Cordon (Haute-Savoie)

 

 

Cette façade principale porte une valeur symbolique nouvelle. Comme nous l'avons vu avec l'église des jésuites de Chambéry, elle marque le seuil, le passage du profane au sacré. Elle est recouverte d'un enduit lisse blanchi à la chaux. Les façades des églises de la Sainte Trinité aux Contamines-Montjoie et Saint-Nicolas-de-Véroce à Saint Gervais présentent une architecture identique : deux colonnes, un fronton brisé, une niche centrale abritant leur saint, au-dessus une serlienne (fenêtre à trois baies ou "triplet"), un oculus. La façade de l'église de Cordon ne comporte pas de colonnes, elle est rythmée par trois niches abritant des saints surmontées d'une baie et d'un oculus. La charpente intérieure du toit de ces trois églises est décorée.Ces églises baroques rurales n'ont qu'une seule nef sans transept, le chœur comporte un chevet plat pour accueillir le retable de l'autel majeur.

Leur décor intérieur contraste avec leur simplicité extérieure.

Comme nous l'avons vu dans l'église des jésuites de Chambéry, un nouveau mobilier, conforme à l'orientation du concile de Trente, est mis en place: confessionnal, chaire, et surtout le retable au-dessus de l'autel majeur, écrin du tabernacle, point d'aboutissement de la perspective de la nef comme de la progression des fidèles vers le mystère de la Rédemption.

 

 

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Église de Hauteville-Gondon (Savoie) . Le retable du Rosaire, l'une des œuvres les plus baroques par le mouvement incessant des personnages. (Photographie Savoie Baroque)

 

Récemment restauré, le décor intérieur de Saint-Nicolas-de-Véroce, à Saint-Gervais, l'une des plus belles églises baroques du pays du Mont-Blanc, enchante par son éclat et sa beauté. Si le retable majeur avec ses trois niveaux, ses statues de saint Roch et saint Etienne, l'autel et son tableau dédié à saint François de Sales, ses autels latéraux ornés de colonnes torsadées relèvent du plus beau baroque, sa voûte de style néoclassique, exécutée par les frères Avondo, où domine le fameux "bleu de Saint-Nicolas", date du XIXe siècle.

 

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Voûte et chœur de l'église Saint-Nicolas -de- Véroce à Saint-Gervais (Haute-Savoie)

 

Selon Dominique Peyre, l'une des originalités de la Savoie est de conserver, à l'entrée du chœur de ses églises, au niveau de l'arc triomphal, une poutre de gloire figurant le calvaire : le Christ entre la Vierge et saint Jean, des anges recueillant le sang du rédempteur.

 

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Église de Villard-sur-Doron (Savoie) Détail de la poutre de gloire: des anges recueillent le sang du Christ dans des calices. (Photographie Savoie Baroque)

 

Par sa profusion, sa sensualité, le décor baroque des églises rurales savoyardes nous émerveille, comme le dit Bernard Lacroix dans son poème. Dans la fraicheur et le sourire d'innombrables saints et bienheureux, les fesses dodues des anges joufflus, les lèvres et les joues cramoisies des vierges, c'est une religion de la joie qui s'exprime.

 

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Église Saint-Nicolas de Combloux (Haute-Savoie). Ange.

 

Comme l'écrit l'historien Bernard Grosperrin, " l'art baroque savoyard est né et a prospéré dans ce contexte de Réforme catholique qui l'a profondément marqué. Il traduit l'intensité de la foi renouvelée de ceux qui le financèrent et des paysans qui participaient volontairement aux travaux, heureux de créer au milieu de leur village aux maisons humbles et souvent sordides ce bijou somptueux à la gloire de leur Dieu". (3)

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1) Bruno Berthier, Les États de Savoie au temps d'Emmanuel-Philibert : des États baroques? et Le chantier paroissial à l'âge d'or des communautés villageoises in Savoie Baroque, op. cit., pp. 77-112.

(2) Ibid.,p.112.

(3)Ibid., p.76.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

mardi, 04 mars 2014

Conférence sur l'architecture des Visitandines

Laurent Lecomte, architecture des visitandines, ordre de la visitation, couvent de la visitation de thonon-les-bains

L'ancien couvent des Visitandines de Thonon-les-Bains

 

 

 

 

La Bibliothèque des Sciences Religieuses d'Annecy nous invite à la conférence:

Religieuses dans la cité, architecture des Visitandines, par Laurent Lecomte

le vendredi 28 mars 2014-17h30

Maison du Diocèse-La Puya , Annecy

 

Laurent Lecomte est Docteur en histoire de l'art de l'université Paris IV-Sorbonne. Il est spécialiste de l'architecture religieuse de la période moderne (XVe-XVIIIe siècle). Enseignant-chercheur depuis 2001, il est l'auteur de nombreux articles scientifiques ou de vulgarisation sur la question et coéditeur de La Place du chœur. Architecture et liturgie du Moyen-Âge aux Temps modernes ( Picard/Campisano editore, 2012).

Il est l'auteur du livre Religieuses dans la cité, architecture des visitandines, publié en 2013 aux éditions du Patrimoine, collection Patrimoines en perspective.

Une architecture par les femmes et pour les femmes.

Un sujet neuf qui vient combler une lacune historique majeure.

L'occasion de réévaluer un patrimoine architectural national encore bien présent dans le paysage de nos villes.

 

Plus de renseignements ICI et LÀ.

 

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Bernard Lacroix a été longtemps l'organiste du couvent de la Visitation de Thonon-les-Bains, auquel il reste très attaché. L'ordre de la Visitation, ou ordre des Visitandines a été fondé par saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal au début du XVIIe siècle, en pleine Contre-Réforme. Le couvent de Thonon, troisième  monastère de cet ordre, était situé rue des Granges à Thonon. En 1968, les religieuses quittèrent l'ancien bâtiment, devenu Bibliothèque-médiathèque, pour s'installer à Marclaz dans l'actuel monastère, œuvre de l'architecte Maurice Novarina.

 

EBM.

jeudi, 30 janvier 2014

Le Baroque Savoyard,3

baroque savoyard, dominique peyre, église des jésuites de chambéry, chapelle du saint-suaire à turin, église du gesù à rome

Église des jésuites de Chambéry, le transept et le chœur.

La richesse du décor contraste avec la rigueur architecturale. (Photographie Savoie Baroque)

 

 

 

L'invention du Baroque en Savoie: l'église des Jésuites de Chambéry

 

 

Issu du portugais barroco qui signifie "perle irrégulière", le mot baroque a d'abord désigné ce qui est confus, bizarre. Si l'usage du mot apparaît en France en 1531, c'est bien plus tard qu'il désigne l'art qui s'est développé aux XVIIe et XVIIIe siècles, après des décennies de débats entre historiens, tant cet art riche et complexe semble échapper à toute définition. "Le Baroque au sens propre naît au XVIIe siècle à Rome, dans le milieu de la Contre-Réforme marqué par un fort ascendant hispanique. Issu de la Renaissance, il s'en écarte notablement. Le champ d'application de ce mot peut s'étendre de l'architecture aux autres arts: peinture, littérature, musique... On ne peut l'envisager qu'à travers un ensemble de caractéristiques : recherche de l'effet, déséquilibre, tension, mouvement, dynamisme, propension au colossal, inachèvement, contrastes, images d'extase ou de martyre, d'envol, de triomphe, pathétique, gesticulation... qui traduisent un état de la société, une vision du monde" écrit Dominique Peyre. (1)Cette vision du monde est celle d'une époque de changements profonds et d'angoisse où l'homme tente d'exprimer son nouveau rapport à l'univers et à Dieu.

Le Baroque est un art de synthèse qui dépasse les données conflictuelles de l'époque. Alors que l'art de la Renaissance, obéissant à des canons rigoureux dont l'unité de mesure était le corps humain, offre une vision de stabilité, le courant maniériste des années 1520-1590 rejette ces canons pour exprimer l'inquiétude, voire l'angoisse, dans un contexte de crise religieuse et de nouvelles interrogations suscitées notamment par la révolution copernicienne.Le Baroque assume et dépasse ces deux courants en prenant en compte les tensions qui traduisent la rupture avec l'ordre ancien ainsi que la nouvelle perception de l'homme . 

 

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L'église des Jésuites de Chambéry est la première église baroque édifiée en Savoie. Si elle appartient au Baroque des origines, à un Baroque urbain différent du Baroque rural apparu au milieu du XVIIe siècle, elle constitue cependant le modèle du Baroque Savoyard, magnifiquement étudié par Robert Soldo. (2)

Il aura fallu pas moins de 47 ans pour l'achever, de la première pierre posée en 1599 à sa consécration en 1646. L'ordre des Jésuites ou Compagnie de Jésus, fondée en 1540 par Ignace de Loyola, avait demandé au duc de Savoie Philibert-Emmanuel, en 1561, un collège à Chambéry. Le duc, qui voyait en ce projet un moyen de s'opposer au rayonnement des centres calvinistes de Genève, Lyon et du Dauphiné, donna bien évidemment son accord. Le collège est créé en 1564. L'église, bâtie sur les plans d'Etienne Martellange, frère jésuite et architecte, venait compléter le collège. Son plan est inspiré de l'église Santa Maria dei Monti, elle-même inspirée de l'église du Gesù à Rome, dont l'élégance discrète et la gravité majestueuse sont caractéristiques de la première période baroque ; à partir de 1630, la seconde période, illustrée par les œuvres de grands noms, tels Le Bernin, Borromini, Pierre de Cortone, insistera davantage sur le mouvement et l'émotion.

L'église a la forme d'une croix latine, disposition qui, depuis le premier âge du christianisme, a une portée symbolique : elle inscrit la Croix, emblème du christianisme, dans le sol même de l'édifice. La façade offre deux étages à ordres, couronnée par un fronton triangulaire. Elle est rythmée par des piliers toscans. Au second étage, deux fenêtres rectangulaires entourent une grande baie cintrée. Cette tripartition évoque l'architecture de l'arc de triomphe romain, pour magnifier la gloire de Dieu.Architecture triomphale, théâtrale, emblématique du premier Baroque, où le portail indique le passage du profane au sacré et "manifeste tout le symbolisme du Christ "porte" ( Jean,X,7) qui, par sa vie et son message, donne accès au Royaume de Dieu". (3)

 

 

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Façade principale. (Photographie Savoie Baroque)

 

Qu'une telle façade soit typique de l'architecture triomphante propre aux jésuites n'implique en rien, selon Robert Soldo, l'existence d'un "style jésuite" comme le prétendait Taine dans son Voyage en Italie. Les églises jésuites relèvent de tous les styles, la politique des Jésuites a toujours été de laisser à chaque province, à chaque pays où ils s'implantaient, la possibilité d'exprimer leur génie et leur art propres. En revanche, il y a un modo nostro ou modo proprio ( un "faire à sa façon") jésuite qui consiste à intervenir dans la fonctionnalité de l'édifice par rapport aux objectifs de l'enseignement, du culte et de l'apostolat.Ce modo proprio veillait, dans l'esprit du concile de Trente, à favoriser l'acoustique et la visibilité en tous points de vue de l'espace intérieur, et à mettre en évidence l'autel dans le chœur.

 

L'église des Jésuites de Chambéry synthétise plusieurs courants artistiques. Le Baroque des origines prédomine mais on y retrouve aussi des traces de la Renaissance et du maniérisme.

La coupole qui surplombe le chœur, par exemple, est une forme héritée de la Renaissance depuis que Brunelleschi  conçut, entre 1420 et 1434, la prodigieuse coupole de Santa Maria dei Fiori à Florence, elle-même inspirée par l'antiquité romaine et l'Orient chrétien. Depuis les origines de l'art, l'hémisphère de la coupole a toujours symbolisé le ciel. Ici, elle imprime un mouvement ascensionnel à l'ensemble de l'architecture et les six baies de son lanternon hexagonal apportent un flot de lumière, métaphore de la présence divine. Dans l'ornementation, la colombe, au sommet, symbolise l'Esprit Saint.

 

 

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La coupole. Au chœur de l'édifice, la plénitude d'une forme qui aspire vers le haut.

(Photographie Savoie Baroque)

 

 

Toutefois, le Baroque des origines est visible, comme l'écrit Robert Soldo, dans " une emphase persuasive qui se traduit par la théâtralité de la façade et par l'organisation de l'espace intérieur, et en particulier du chœur. Nous avons là un "art total" où architecture et décor concourent à l'annonce du message chrétien".(4) La théâtralité du chœur repose sur une structure éminemment baroque, la mise en abyme, "l'architecture dans l'architecture" : l'architecture du retable, avec ses six colonnes deux à deux et son fronton arqué, reproduit l'architecture triomphale de la façade. La richesse des marbres et des dorures fait du retable et du maître-autel, symbole du Christ, le pôle d'attraction du chœur et de tout l'édifice.Les balustrades en marbre noir qui délimitent le chœur et la scène liturgique, les quatre degrés — deux marches  pour accéder au chœur puis deux autres au niveau de l'autel —, la disposition du retable à la façon d'un décor scénique peint, représentant, entre autres, l'Annonciation et la Visitation, font du chœur le théâtre où se joue le drame sacré de la Rédemption entre Dieu et les hommes, lors de chaque liturgie eucharistique, comme le voulait la spiritualité tridentine.

 

 

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Le chœur avec son riche retable en marbre, cœur du dispositif tridentin.

(Photographie Savoie Baroque)

 

Enfin, plusieurs éléments du décor pictural portent la marque du premier Baroque, en particulier les anges qui virevoltent dans la coupole comme dans les cieux ouverts. La peinture réaliste du Christ-Roi, de Marie, de l'Adoration des Bergers, incarne, littéralement "donne chair", au monde spirituel invisible.

L'église des Jésuites de Chambéry, comme je l'ai dit, est la première église baroque en Savoie. C'est un baroque de l'origine, à l'état naissant. Le Baroque rural, les retables de nos vallées avec leurs colonnes torses, leurs angelots joufflus, leurs saints hauts en couleur si chers à Bernard Lacroix, gagneront en mouvement, en spontanéité, en sensualité.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1) Dominique Peyre, L'invention du Baroque in Savoie Baroque, op. cit., pp. 49-50.

(2) Robert Soldo, L'église des Jésuites de Chambéry: la force du modèle in Savoie Baroque pp.155-177.

(3) Ibid., p.158.

(4) Ibid., p. 175.

 

( Á suivre...)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mercredi, 22 janvier 2014

Le Baroque Savoyard, 2

 

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Première de couverture, Savoie Baroque ( Éd. La Fontaine de Siloé, 1998)

 

 

 

 

Provocateur, impertinent et plein d'humour, le poème de Bernard Lacroix, Le Baroque Savoyard n'en saisit pas moins l'essentiel de ce grand courant artistique. Le génie de l'art baroque réside dans l'équilibre des contraires, l'harmonisation des contradictions. Né de la Contre-Réforme, elle-même issue du concile de Trente, dans la seconde moitié du XVIe siècle, cet art essentiellement religieux, même si on le retrouve du XVIe au XVIIIe siècle dans le monde profane, oppose à la nudité des temples protestants la profusion sensuelle évoquée dans le poème:

 

" Des saints ripolinés

Des saintes alanguies

 

Des vierges aux joues roses

Et aux lèvres cramoisies [...]

 

Des angelots si dodus

Qu'on a envie de leur mordre les fesses"

 

L'art baroque religieux ouvre une voie spirituelle qui passe, paradoxalement, par la jouissance des sens grâce à la peinture, la sculpture, l'architecture, la musique. Au lieu de refouler la sensualité comme tend à le faire le puritanisme protestant ( d'où le puritanisme toujours vivace aux États-Unis), il la sublime, l'élève vers ce que Cristina Campo nomme les sens surnaturels (1). Au lieu de condamner la chair, il la glorifie notamment par l'anthropomorphisme : les démons et les anges prennent forme humaine de sorte que s'équilibre la balance entre les instincts, les pulsions pour le dire dans la langue "psy" contemporaine, et le grand désir de l'âme. 

 

" Le retable baroque

C'est le combustible de la foi

C'est le feu où l'âme se réchauffe en Dieu

C'est l'âtre du cœur!"

 

Cette métaphore finale traduit la profonde sensibilité du poète à la spiritualité du Baroque Savoyard, spiritualité qu'il ne retrouve pas dans "les églises nues et froides comme des garages à voitures" d'aujourd'hui.

 

*

 

Si l'art baroque s'est développé dans une grande partie de l'Europe du XVIe au XVIIIe siècle, il est relativement rare en France où prédomine, à la même époque, l'art dit "classique". Pourquoi s'est-il développé en Savoie et Haute-Savoie? Quelles sont les caractéristiques du Baroque Savoyard, quelle spiritualité exprime-t-il? Un magnifique ouvrage, sur lequel nous reviendrons, répond à ces questions : Savoie Baroque, sous la direction de Dominique Peyre. (cf. l'illustration ci-dessus)

 

On peut esquisser une première réponse, avec l'historien Roger Devos:

" Dans le grand conflit religieux du XVIe siècle, la Savoie occupait une position stratégique. Entre Genève, Lyon et les vallées vaudoises, elle semblait devoir être gagnée rapidement à la Réforme. Il n'en fut rien, et elle devint au contraire une des citadelles de la Contre-Réforme barrant la route de l'Italie à la foi nouvelle, un de ces points où, à la fin du XVIe siècle, se marque l'arrêt et commence le reflux du protestantisme jusque là triomphant."(2)

Le Baroque Savoyard est donc issu d'une renaissance du catholicisme alors que dans la même période historique, le gallicanisme de Louis XIV et le culte rendu au Roi-Soleil ont engendré l'art classique français.

C'est dire aussi que le Baroque Savoyard, nous le devons en grande partie à notre cher François de Sales.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1) Cf. Cristina Campo, Sens surnaturels in Les Impardonnables ( Gallimard, coll. L'Arpenteur, 2002)

(2)Roger Devos, Un nouveau catholicisme in Histoire de la Savoie ( Privat, 1973) p. 260.

 

 

 

 

 

 

vendredi, 03 janvier 2014

Le Baroque Savoyard,1

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Vierge à l'enfant, église de Queige (Beaufortin)

 

 

 

En introduction à une série de notes à venir sur le Baroque Savoyard, ce poème de Bernard Lacroix.

 

 

 

 

Allez vous faire foutre

Avec votre Dieu "point gamma"

Vos curés qui militent à la CGT

Vos églises nues et froides comme des garages à voitures

Je veux pour mon éternité:

 

Des saints ripolinés

Des saintes alanguies

 

Des vierges aux joues roses

Et aux lèvres cramoisies

 

Des bienheureux "top model"

Des apôtres bien alignés

Qui mangent proprement à la Sainte Table

 

Des démons trop méchants pour être vrais

Des angelots si dodus

Qu'on a envie de leur mordre les fesses...

 

Je veux un ciel de la Contre-Réforme !

 

Le retable baroque

C'est le combustible de la Foi

C'est le feu où l'âme se réchauffe en Dieu

C'est l'âtre du cœur !

 

Bernard Lacroix (1998)

mercredi, 05 décembre 2012

Nos villes anciennes

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Le vieil Annecy



Quand on flâne dans nos villes anciennes, ou plutôt dans ce qu'il en reste, on se rend compte tout de suite qu'elles ont été conçues par des architectes, certes, mais des architectes urbanistes et humanistes. On ne peut s'y ennuyer. On dit que "la symétrie rassure les cons" et bien, dans l'habitat ancien de chez nous, rien n'est symétrique, c'est tout en notre honneur.

Sous les arcades, les ménagères pouvaient faire leurs courses les jours de pluie sans se mouiller, deviser tout à loisir et Dieu sait si c'est important pour elles. Les couleurs vives et variées des façades faisaient, étant donné l'étroitesse des rues, que les murs vus des fenêtres d'en face prenaient des lumières de printemps. Les petites places à fontaines venaient, ça et là, soulager l'élan des ruelles, apporter du soleil et de la fraîcheur en même temps.

Quand je visite les vieux quartiers d'Annecy, je m'attends à y croiser, tout à coup, Monsieur de Genève (1) tenant son chapeau d'une main et relevant le bas de sa soutane violette de l'autre. Il aimait fort, dit-on, se mêler à ses gens et, malgré ses prenantes fonctions, écouter patiemment leurs "plaintes menues". C'est certainement l'homme qui nous a le plus aimés, c'est pourquoi nous l'aimons encore d'un amour sur lequel le temps n'a pas de prise.


Bernard Lacroix, Cahiers du musée n°3.


(1) Monsieur de Genève: saint François de Sales ( 1567-1622), docteur de l'Église, patron des journalistes et des écrivains.

De 1594 à 1598, missionnaire dans le Chablais qui était devenu calviniste, résident au château des Allinges, il invente les tracts : il fait imprimer ses sermons sur des feuilles volantes qu'il placarde dans la ville de Thonon pour les distribuer à la population, c'est pourquoi l'Église l'a fait patron des journalistes. L'un des premiers chablaisiens convertis est Antoine de Saint-Michel, seigneur d'Avully sur la commune de Fessy.

En 1602, il devient évêque de Genève mais la ville étant protestante, son siège épiscopal est à Annecy.

En 1610, il fonde avec sainte Jeanne de Chantal l'Ordre de la Visitation.

C'est aussi un grand écrivain, auteur de Introduction à la vie dévote et Trailé de l'amour de Dieu.

Sa devise était: Rien par force, tout par amour.



vendredi, 23 novembre 2012

Les cloches de Notre-Dame de Paris

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Inscription sur la cloche Etienne, l'une des huit nouvelles cloches de Notre-Dame de Paris. Photographie JN Bart, fonderie Cornille-Havard, le 13 octobre 2012.


Le 23 mars 2013, les cloches de Notre-Dame de Paris sonneront à toute volée pour la solennité des Rameaux. On entendra pour la première fois un ensemble composé de huit nouvelles cloches pour la tour nord et d'un nouveau bourdon pour la tour sud, ensemble qui aura été présenté au public et béni le samedi 2 février 2013.

Chers lecteurs, vous pouvez écouter la reconstitution de la sonnerie des tours de la cathédrale à la fin du XVIIIe siècle telle qu'elle sera rétablie avec ce nouvel ensemble campanaire, ainsi que découvrir l'historique de la sonnerie de Notre-Dame de Paris et le déroulement de cette magnifique réalisation vouée au jubilé des 850 ans de la plus célèbre des cathédrales françaises, ICI. (1)


Seul le bourdon Marie aura été réalisé par la fonderie hollandaise Royal Eijsbouts, à Asten. Les huit cloches de la tour nord seront l'œuvre de la fonderie Cornille-Havard, à Villedieu-les-Poêles, dans la Manche, discrète petite ville et néanmoins l'un des plus beaux fleurons de l'artisanat français, riche d'une longue histoire.Notre pays  abrite toujours ce merveilleux art campanaire, un art qui a traversé les siècles, grâce à trois fonderies, Cornille-Havard, Paccard en Haute-Savoie et Bollée à Orléans, les seules dans l'Hexagone.Portant au plus haut niveau l'exigence de qualité, riches d'un savoir-faire issu d'une tradition multiséculaire, ces trois entreprises exportent leurs créations dans le monde entier.

Vous pouvez visiter le site de la fonderie Cornille-Havard ici et celui de la fonderie Paccard là.

Fondée en 1715, la fonderie Bollée est la plus ancienne. Sise à l'origine à Annecy-le-Vieux où elle fut fondée en 1796, la fonderie Paccard s'est installée en 1989 dans des bâtiments modernes à Sévrier, au bord du lac d'Annecy. C'est elle qui a fondu La Savoyarde, l'une des cloches de l'église du Sacré Cœur de Paris. La plus récente, la fonderie Cornille-Havard, est née en 1865 mais n'a jamais quitté son atelier d'origine à Villedieu-les-Poêles. Rien n'a changé depuis le XIXe siècle dans cet atelier où le visiteur peut découvrir, en ce moment, les différentes étapes de la fabrication des cloches de Notre-Dame. C'est un travail d'extrême précision afin d'obtenir la sonorité souhaitée. Les décors sont réalisés en relief sur un moule puis le métal en fusion y est introduit, prenant la forme exacte de la cloche. Chaque cloche reçoit un prénom qui rend hommage à de grands saints et à des personnalités ayant marqué la vie du diocèse de Paris et de l'Église.

Les cloches Marcel et Etienne ont été coulées le 3 août, Denis, Maurice et Jean-Marie, le 13 septembre 2012. La coulée demande une grande attention et un immense savoir-faire. Pour celle du 13 septembre, de 8 tonnes 500, il a fallu allumer à 4h15 le four réverbère du XIXe siècle, puis le chauffer pendant huit heures pour la coulée à 12h15.


Un mois plus tard, le 13 octobre, voici ce que j'ai vu à l'atelier :


 

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Moule  dans la fosse, en attente de la coulée.

 

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Denis ( en l'honneur de saint Denis, 1er évêque de Paris vers 250 et patron du diocèse) cloche de Notre-Dame en attente du polissage.

 

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Etienne ( en l'honneur de saint Etienne, 1er martyr mais aussi nom de la basilique érigée à partir de 690 à l'emplacement actuel de la cathédrale), dans la cour de la fonderie, prête à ... s'envoler vers Notre-Dame!

 

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Inscription latine sur Etienne : Via viatores quaerit, La voie appelle les voyageurs.

Photographies JN Bart

 

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La cloche est un instrument de musique ; un ensemble comme celui de Notre-Dame de Paris crée un paysage sonore. Tout l'art campanaire consiste à trouver la note juste, chaque cloche ayant la sienne ; d'ailleurs, dans la cour de la fonderie Cornille-Havard, chacun peut s'exercer sur un carillon mis à la disposition des visiteurs.

Si elle se prête à des usages profanes, la cloche est avant tout un instrument de musique sacrée qui occupe une place irremplaçable dans la liturgie catholique. Elle est, selon le mot de Charles Péguy, "la voix de Dieu". Via viatores quaerit, vox viatores quaerit : elle appelle les voyageurs que nous sommes sur cette terre, au recueillement, à la prière, à l'allégresse des grandes fêtes liturgiques, Noël, Les Rameaux, Pâques, La Pentecôte... Elle se tait pendant la Semaine Sainte puis sonne à toute volée le jour de Pâques : qui n'éprouve alors, qu'il soit croyant, agnostique ou athée, un élan d'espérance? La musique des cloches exprime aussi les émotions et sentiments des évènements familiaux, le mariage, le baptême, le décès, ou des grands évènements collectifs telle la libération de Paris, en 1944.

Dans l'ancien monde rural qui avait un sens du sacré que nous avons perdu, la cloche rythmait les journées des paysans comme le rappelle Bernard Lacroix dans ses Notes sur la vie d'autrefois en Chablais :

" Ponctuée par la sonnerie de l'Angélus, la journée se déroulait selon un rite immuable, je l'appellerais : la liturgie du quotidien.

La foi était intimement mêlée à la vie quotidienne. [...] Aux champs, les hommes se découvraient quand sonnait l'Angélus."

Aujourd'hui, notre vie est rythmée par d'autres sonneries, les bip-bip sans âme produits par la technologie, des bruits exaspérants, des musiques vulgaires envahissantes. Il n'empêche... Une part de l'ancien monde perdure, résiste, une part éternelle. Les nouvelles cloches de Notre-Dame, pour son 850e anniversaire, témoignent que si les civilisations sont mortelles, il reste toujours quelque chose d'elles, un souffle et une flamme qui ne se sont jamais éteints, prémices d'une renaissance. Que serait Notre-Dame sans ses cloches, que serait Paris sans Notre-Dame? Une coquille vide, un squelette.


Élisabeth Bart-Mermin


(1) Merci à Jean-Michel Lacroix, sonneur de cloches pour son petit village de l'Entre-Deux-Mers, qui m'a envoyé ce lien.