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jeudi, 29 juin 2017

Bernard Lacroix en son musée

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Reconstitution d'un chalet d'alpage, collection Bernard Lacroix, ancien musée de Fessy ( photographie de Patrick Smith)

Vaisselier en sapin, sculpté de rosaces et entaillé de chevrons. Découpes chantournées autour de l'espace pour les grands récipients. À droite, évier en bois sous un égouttoir à côté de la boîte à sel. Table à tiroir garde-manger orné d'une rosace. 

 

 

 

Remise en Une d'un article publié sur ce blog le 2 août 2012.

 

 

 

 

 

 

"Ici tout est amour, mesure, modestie".

 

Bernard Lacroix en son musée.

 

 

 

Comme nous l'apprenons sur son site, le Conseil Général de la Haute-Savoie a fait l'acquisition du musée Arts et Traditions Populaires de Fessy en 2001. Jean-Michel Lacroix rappelait récemment sur ce blog que Bernard Lacroix a fait don de sa prestigieuse collection à la condition qu'elle reste sur les lieux et ne soit jamais divisée, sauf ponctuellement, à l'occasion de prêts pour des expositions temporaires. Déplacée ou divisée, elle perdrait toute sa signification. On comprend pourquoi en lisant cette déclaration de Bernard Lacroix:

" J'ai œuvré ni en esthète, ni en philanthrope, ni en historien, ni en collectionneur, mais plutôt en artiste, et fort égoïstement je l'avoue, pour mon seul plaisir, le plaisir sécurisant de remonter à ma source, mes racines, mes origines... En 1960, dépassé par l'ampleur de ce que j'avais amassé, j'ai résolu à contrecœur d'ouvrir ma collection au public. Ma consolation est de voir défiler en ce lieu des milliers d'enfants. Puissent-ils comprendre un jour que le progrès sans discernement n'apporte rien à la richesse de l'âme, et encore moins à la qualité de la vie. Ici, tout est amour, mesure, modestie... Faute de pouvoir les acheter, le paysan fabriquait lui-même ses meubles, ses outils, ses machines, y apportant ses trouvailles personnelles : la pauvreté rend ingénieux."

Ces quelques phrases condensent l'évolution de toute une vie. L'enfant de onze ans, qui récupérait les outils abandonnés chez sa grand-mère, aurait-il eu l'intuition qu'une civilisation millénaire, née au néolithique, était en voie de disparition? Qu'il fallait en préserver les traces non seulement pour savoir d'où nous venons, mais aussi pour sauver un peu de la beauté disparue? Ce que l'adulte, aujourd'hui, considère comme "un plaisir égoïste" répond, en fait, à une vocation singulière : remonter à la source, aux racines pour ne pas les perdre tout à fait. Ainsi inaugurée, l'ensemble de l'œuvre de Bernard Lacroix s'élabore avec une parfaite cohérence : la poésie, les dessins, comme la collection, témoignent de cette quête des origines, quête de la beauté  née de "l'amour, de la mesure, de la modestie". 

Si le jeune homme de vingt-sept ans, en 1960, "dépassé par l'ampleur de ce qu'[il] avait amassé" se résout à contrecœur à livrer sa collection au public, c'est qu'il ignore encore où le conduira sa démarche dont il découvre plus tard la signification profonde : transmettre le souvenir du monde disparu aux générations futures. C'est pourquoi les enfants sont reçus au musée comme des visiteurs privilégiés.  Impardonnable Bernard Lacroix! Notre société pardonne difficilement (voire pas du tout) à celui qui ne se prosterne pas devant son Dieu, la seule transcendance reconnue: le Progrès. Bernard n'écrit pas ce mot avec une majuscule car ledit "progrès" est d'ordre purement matériel, progrès des techno-sciences dont il ne nie pas les effets positifs mais qui  " sans discernement, n'apporte rien à la richesse de l'âme et encore moins à la qualité de la vie", souligne-t-il, avec un art consommé de la litote ironique. Sans la danse des statistiques − si l'on cessait de mesurer ce "progrès" avec des chiffres −, on s'apercevrait bien vite que ce que nous avons gagné sur le plan matériel ( la sacro-sainte élévation du niveau de vie, l'augmentation de la longévité, la diminution de l'effort physique) est proportionnel à ce que nous avons perdu en qualité de vie ( le silence, l'eau et l'air purs, pour ne citer que ces exemples). Quant à la richesse de l'âme, qu'en dire à notre époque où le mot "âme" n'a plus de sens pour la majorité de nos contemporains?  

 

Silencieux et immobiles, les quelques 19000 objets du musée de Fessy vivent une autre vie qui n'est plus utilitaire comme jadis et néanmoins, irremplaçable. Plus jamais on n'entendra l'enclume du forgeron, plus jamais ne tournera la roue du rouet de la fileuse, plus jamais on ne verra la charrette monter à l'alpage, et pourtant, ils nous parlent.

Ils nous parlent d'une autre qualité de vie dont il faut nous souvenir, non pour "revenir aux chandelles" ( grande terreur des dévots du Progrès), mais pour nous en inspirer. L'artisanat de ce monde rural répondait à de réels besoins, non aux besoins factices suscités par la publicité. Comme dans presque toutes les civilisations du monde, la forge était l'artisanat fondamental dont dépendaient la plupart des autres : sans elle, pas d'outils agricoles, pas de menuiserie ni d'ébénisterie. Tous les artisanats sont représentés au musée de Fessy, qui couvrent tous les besoins de l'homme, et Bernard Lacroix a raison de rappeler que "la pauvreté rend ingénieux", pauvreté par rapport à la quantité d'objets qui nous entourent aujourd'hui mais pauvreté toute relative. Quels jeunes parents actuels ne rêveraient pas de ce lit à baldaquin monté sur pivot, et de ce berceau suspendu muni d'une corde reliée au lit afin qu'ils puissent bercer l'enfant sans avoir à se lever? Nos aïeux n'avaient pas l'eau courante mais ils se lavaient : cette baignoire construite à la façon d'un tonneau n'est-elle pas plus belle qu'un jacuzzi? Ils savaient vivre. La variété des ustensiles de cuisine ( ils utilisaient le coupe-pain et le grille-pain, figurez-vous!) laisse deviner qu'ils s'adonnaient, non sans raffinement, aux plaisirs de la table et aux joies de la convivialité.

On ne peut que s'émerveiller de cette ingéniosité mais plus encore, du souci omniprésent de satisfaire aussi les "besoins de l'âme" comme dirait Simone Weil. Tous ces objets témoignent de la richesse de l'âme de nos aïeux. Alors qu'aujourd'hui le matérialisme rationnel impose comme valeurs l'efficacité pratique, le confort ( ce comfort qu'exécrait Arthur Rimbaud), l'esthétique froide des designers, les artisans et paysans de l'ancien monde, privés des multiples divertissements qui nous sollicitent sans répit, occupaient leur temps libre des tâches quotidiennes à la fabrication de ces objets. Ceux-ci sont empreints de leur vie intérieure : légendes, rêveries, ferveur religieuse. Comment expliquer leur souci constant de la beauté, laquelle n'apporte rien sur le plan matériel de l'efficacité et du confort, sinon par l'amour de la gratuité qui témoigne de la richesse de leur âme? En d'autres termes, par leur attachement à l'utilité de l'inutile?

De l'objet le plus noble comme le coffre gravé d'oiseaux et d'étoiles, aux ustensiles les plus triviaux tels le pèse-lait orné d'une lyre, la boîte à sel embellie de rosaces, dents de loup et motifs floraux, et même le collier sculpté auquel on attachait les clarines en bronze ou fer forgé, tout un art populaire se dévoile à nos yeux las de la laideur contemporaine.

 

"On supprimera le Sublime

Au nom de l'Art,

Puis on supprimera l'art."

écrivait Armand Robin.

Sans doute à leur insu, les paysans chablaisiens tendaient vers le sublime (au sens étymologique du terme, du latin sublimis, ce qui est au-dessus des limites, élevé, haut) qui devait leur paraître naturel quand ils levaient les yeux sur les sommets de leurs montagnes. Aux antipodes du monde contemporain qui rabaisse et nivelle tout au nom d'une prétendue égalité, leurs ouvrages se rattachent à l'art populaire au sens le plus élevé du terme, un art qui relève d'une "aristocratie pour tous" comme l'entendait Simone Weil qui a longuement médité sur la spiritualité du travail dans L'Enracinement, à propos de laquelle Jean-Paul Larthomas écrit qu' elle " pense toujours le populaire en articulation avec le poétique qui le transforme et l'accomplit en l'universalisant. Position aristocratique sans doute, mais il s'agit de cette aristocratie pour tous qui est l'âme secrète de l'idéal républicain" (1).

Aristocratique : est-il un autre mot pour qualifier ce tour à bois entièrement marqueté, chef d'œuvre d'un compagnon menuisier?

Cette spiritualité transfigure l'objet le plus humble, se loge là où personne n'irait la chercher aujourd'hui. Fallait-il que l'âme de nos aïeux soit habitée, que chacune de leurs occupations, chacun de leurs gestes baignent dans un climat spirituel dont nous n'avons plus idée pour qu'un sabotier sculpte son banc paroir de manière à figurer l'esprit du mal, tête de sanglier d'un côté, tête de lion de l'autre !

Cet art populaire chablaisien visible au musée de Fessy atteint l'universalité, rejoint toutes les formes d'art populaire à travers le monde, par delà les différences culturelles. C'est cela que Bernard Lacroix veut transmettre aux générations futures pour qu'elles comprennent qu'un iPad est une bien pauvre richesse quand l'âme ne respire plus.

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1)Jean-Paul Larthomas, Le populaire comme source et authenticité in Simone Weil et le poétique ( Éditions Kimé, 2007), p.110. Simone Weil ( 1909-1943), L'Enracinement  in Œuvres,( Éditions Gallimard, coll. Quarto, 2008)

      

jeudi, 13 avril 2017

Le rouet: en patois "Breg"

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Rouet de la montagne, vallée d'Abondance

Dessin de Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2

 

 

 

 

Celui qui nous intéresse est un rouet de la montagne, de la vallée d'Abondance plus précisément. Son mécanisme est placé à la verticale, contrairement à celui de la plaine qui s'étale à l'horizontale, comme sur un petit banc.

 

Les femmes filaient à la veillée, dans l'âtre, la journée près de la fenêtre à cause de la lumière, en principe l'après-midi, quand les travaux de ménage laissaient quelques répits. Parfois les voisines amenaient le leur avec elles. On faisait la "gazette" ou on chantait. Beaucoup de chansons savoyardes au rythme lent et plaintif sont des chansons de laine. Mesurées par le ronronnement monotone du rouet, elles racontaient l'attente du soldat, les appréhensions de la future mariée, les peines de cœur... " Là haut sur la montagne, j'ai entendu pleurer..." "Gai, gai, faut passer l'eau...". Les enfants restaient de longs moments à regarder et à écouter : ça les faisait tenir tranquilles et ça énervait le chat qui essayait d'arrêter la roue avec sa patte!

 

Une fois filée, la laine était tout de suite utilisée pour la confection des brossetouts ( brostus), sorte de veste tricotée portée par les hommes, ou des chaussettes d'hiver. Avant de porter ces dernières on les "foulait", c'est-à-dire on les frottait vigoureusement sur une planche aux dents de bois appelée "foule", pour les rendre moins rêches sur la peau.

 

Le rouet est l'une des choses qui font taire les enfants, avec le métier à tisser et le feu dans la cheminée. Quand un enfant ne voulait pas dormir, on approchait une bougie allumée près de son lit. "Regarde la chandelle!" . L'enfant s'endormait à coup sûr.

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2 (1984)

 

 

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Rouet de la plaine. Dessin de Bernard Lacroix

 

vendredi, 10 juin 2016

Le ciel des humbles, 2

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Cloître de l'Abbaye Notre-Dame-d'Abondance (Haute-Savoie)

 

 

 

 

Rappel :

 

Le Baroque Savoyard, poème de Bernard Lacroix

Le Baroque Savoyard, 2

Le Baroque Savoyard, 3

Le Baroque Savoyard, 4

 

 

 

Religieux, le Savoyard l'est dans ses racines. La fondation de certains lieux de culte remonte aux Ve et VIe siècles, ceux placés par exemple sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste, de Saint-Maurice-d'Agaune...

Les abbayes, les monastères essaimèrent, laissant incontestablement des traces dans le comportement des habitants d'alentour, encore tangibles de nos jours : plus intelligents, plus ingénieux, plus cultivés, plus artistes qu'ailleurs. Les lieux de pèlerinage favorisent les brassages d'idées, les apports matériels, intellectuels et spirituels.

 

Bien que le Savoyard se dise de droite, il l'est plus par atavisme, par principe, par hérédité que par politisation. Il fut de tous temps plutôt circonspect vis-à-vis du pouvoir central. Je le crois volontiers anarchiste.

 

Les croix, les oratoires, les chapelles qui jalonnent nos chemins sont les témoins de notre foi. Ils sont entretenus et soignés, nos gens y tiennent.

Dans nos églises, l'art baroque fleurit, surtout dans les villages de montagne. C'est ainsi que nous voyons l'au-delà, l'art baroque c'est le ciel des humbles.

J'imagine que la vieille femme que nous allons voir un peu plus loin, enfermée dans sa douleur, demande peut-être sa mort. Ses saints et ses saintes à elle ont sans doute les visages lisses et ripolinés des retables exubérants : des anges dorés ouvrent tout grand leurs ailes. La Vierge Marie, dans son manteau bleu étoilé, l'invite de sa main rose à la rejoindre sur le nuage qui la conduira doucement vers la béatitude éternelle. Des chérubins lui montrent le chemin de leurs doigts grassouillets. Des évêques barbus, des chanoines chamarrés, des pages affairés s'apprêtent à lui faire cortège. La montagne est au loin toute petite. C'est ainsi que l'on doit la voir de là-haut, depuis l'invisible sommet où des colombes s'évanouissent, plus haut, beaucoup plus haut, jusqu'au trône de Dieu le Père dont on devine les pieds nus dans l'obscurité de la voûte.

 

 

Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)

 

 

 

 

mercredi, 18 mai 2016

Le château d'Avully

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Le château d'Avully, Brenthonne (Haute-Savoie)

 

 

 

 

Non loin du château de Buffavent, sur la commune de Lully,  se dresse une autre maison-forte, le château d'Avully, situé sur la commune de Brenthonne, construit au XIVe siècle. D'abord propriété de la famille de Boëge, l'édifice passe à la fin du XVe siècle aux mains de la famille de Saint-Michel, genevois convertis au protestantisme. Antoine de Saint-Michel, baron d'Avully, reviendra au catholicisme en 1596 . Il est le premier seigneur chablaisien converti par saint François de Sales lequel résidait alors au château d'Allinges.

C'est  la famille de Sales qui rachète le château au milieu du XVIIIe siècle et l'abandonne en 1896. Dans les années 1950, il tombe progressivement en ruines jusqu'à ce que Jean Guyon le rachète et commence à le restaurer en 1971. Il est classé Monument Historique en 1974. Aujourd'hui, Michel et Pierre Guyon poursuivent l'œuvre de leur père.

 

Désormais magnifiquement restauré, le château est ouvert au public pour des expositions, concerts et manifestations culturelles:

 

Dimanche 22 mai 1976, à 17h, récital de musiques tzigane et viennoise:

 

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Expositions juillet-août 2016 de 13h à 18h:

 

Charlemagne d'après le roman féodal de Girart de Vienne


Les Fables de La Fontaine

 

Sculptures de Greta Zluhan

 

 

Renseignements:

Courriels: info@chateau-avully.com

Site: http:// chateau-avully.com

dimanche, 13 mars 2016

Le château de Buffavent, 3

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Le château de Lusignan. Mélusine est représentée en dragon volant.

Enluminure, Les très riches heures du duc de Berry ( XVe siècle)

 

 

 

 

Rappel :

 

Le château de Buffavent, 1

Le château de Buffavent, 2

 

 

La légende de Mélusine

 

 

Le nom Buffavent fut à l'origine celui d'un château fort construit par les Francs au XIIe siècle, époque des premières Croisades, sur l'île de Chypre: le château de Buffavento. Située à 1100 mètres d'altitude, à 12 kms de Nicosie, cette forteresse porte bien son nom, " où souffle le vent", de l'italien buffare (souffler) et vento (vent). Il en reste aujourd'hui une ruine dont la situation semble, en effet, exposée à tous les vents :

 

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Ce Buffavent chypriote fut, au Moyen-Âge,  la propriété des Lusignan, une dynastie poitevine qui régna sur l'île du XIIe à la fin du XVe siècle, Guy de Lusignan ayant acheté l'île à l'Ordre du Temple en 1191. 

Or le duc Louis 1er de Savoie, né en 1413, succède à son père Amédée VIII en 1440. Il épouse Anne de Lusignan ( 1418-1462), fille du Roi Janus (ou Jean) de Lusignan, roi de Chypre. Grâce à ce mariage, il porte alors le titre de roi de Chypre. D'une grande beauté, Anne de Lusignan amène à la cour du château de Ripaille, à Thonon, nombre de courtisans chypriotes. Très amoureux de son épouse, le duc Louis 1er lui laisse beaucoup de pouvoir et cède à ses caprices. Au cours de son règne, les intrigues et la corruption de cette cour chypriote, et aussi la participation du duc à la guerre de succession du Milanais et à l'expédition de Chypre contre les Turcs, affaiblissent l'État de Savoie.

François de Langin, vassal du duc Louis 1er, participe à l'expédition de Chypre avec 800 soldats savoyards, en 1461. Au cours de cette guerre à Chypre qui dure trente mois, il est chargé de défendre la forteresse de Buffavent. À son  retour en Savoie, le duc Louis 1er lui octroie le fief de Lully où il fait construire une maison-forte qui portera le même nom que le château chypriote.

Ces faits historiques expliquent pourquoi la légende de Mélusine a pénétré Buffavent à Lully.

 

La fée Mélusine, femme serpent ou dragon volant, est présente dans les légendes de toute l'Europe  et de nombreuses provinces françaises, en particulier en Poitou. L'étymologie du nom Lusignan, de Mère Lusigne, fait d'elle la fondatrice de la lignée. Dans La légende de Ramondin, un ancêtre des Lusignan, elle apparaît comme une femme très belle dont les jambes se transforment en queue de serpent le samedi.

La légende veut qu'ensuite, au cours des siècles, la naissance de Mélusine se reproduise régulièrement dans la famille royale de Chypre. Par amour maternel, les reines ou les favorites faisaient élever cette Mélusine en secret, dans un château isolé. Ainsi, au temps du duc Louis 1er, une Mélusine était cachée dans le château de Buffavent. Le vaillant seigneur chablaisien, François de Langin, assurait sa garde pendant la guerre contre les Turcs. La légende dit qu'il il l'aurait ensuite ramenée en Chablais et aurait fait construire le château de Buffavent à Lully pour la cacher, que le duc Louis 1er de Savoie, roi de Chypre, venait souvent à Buffavent pour la saluer. La pièce du château où il couchait a gardé le nom de chambre royale et l'une des tours celui de Mélusine.

 

L'histoire de la Savoie et la légende médiévale ont fait en sorte qu'à travers le château de Buffavent, Lully, petit village chablaisien, est lié à une île de la méditerranée aujourd'hui partagée entre les Grecs et les Turcs!

 

 

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Mélusine en son bain épiée par son époux Ramondin (vers 1450-1500)

 

 

Élisabeth Bart-Mermin

lundi, 07 mars 2016

Conférence sur le vêtement des princes de Savoie aux XIV-XVe siècles

Portrait Ghirlandaio.jpg

Ghirlandaio, Portrait de Giovanna Tornabuori ( 1488)

 

 

 

 

Nous avons évoqué dans deux précédentes notes l'histoire du château de Buffavent et des familles nobles qui l'ont habité, dont les généalogies nous laissent une succession de noms auxquels nous ne pouvons pas donner de visage. Toutefois, nous pouvons imaginer leur apparence, leurs vêtements, leur allure, grâce à l'iconographie.

Aussi, en attendant une note sur la légende de Mélusine au château de Buffavent, nous vous invitons à découvrir la garde robe des princes de Savoie aux XIVe-XVe siècles à travers une conférence organisée par l'association " Falbalas et crinolines".

 

 

 

 

 

Conférence de Nadège Gauffre Fayolle

Historienne, doctorante EHSS

 

Se vêtir à la fin du Moyen Âge: de l'atelier à la garde robe des princes de Savoie

 

Vendredi 11 mars 2016 à 19h

Château de Sonnaz

Place de l'Hôtel de Ville

74200-Thonon-les-Bains

 

 

Pour plus de détails lire ici

 

 

 

 

 

 

 

lundi, 29 février 2016

Le château de Buffavent, 2

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Le château de Buffavent à Lully (Haute-Savoie)

 

 

 

 

 

Rappel :

Le château de Buffavent, 1

 

 

Les propriétaires du château de Buffavent

 

 

Du XVe au XXe siècle, le château fut la propriété de quatre familles nobles, passant de l'une à l'autre par le jeu des alliances, au fil des successions. Au début du XXe siècle, faute d'héritiers directs, il est vendu une première fois, puis revendu deux fois jusqu'aux propriétaires actuels.

 

De 1460 à 1531, le château appartient à la famille de Langin.

C'est probablement François de Langin qui fit construire le château de Buffavent. Louis de Langin et son frère François, seigneur de Veigy, font le 13 juin 1460 un pacte de famille et d'affection mutuelle qui les engage, entre autres, à régler l'ordre de leur succession réciproque en cas d'absence de mâles dans l'une ou l'autre branche.

En 1461, Louis de Langin conduit 800 hommes d'armes à Chypre, envoyés par Louis de Savoie à son père, le duc Louis 1er de Savoie, époux d'Anne de Lusignan, fille du roi de Chypre*.

Si l'un des deux fils de Louis, Guigues, semble être le premier des Langin à avoir porté le titre de seigneur de Buffavent, c'est son frère, Philibert, co-seigneur de Buffavent, qui teste en faveur de ses sœurs Jeanne et Antoinette, selon un testament établi à Buffavent. Jeanne épousera Georges d'Antioche, baron d'Yvoire. Antoinette, cohéritière de Jeanne, épousera Aymon de Bellegarde et lui apportera le château de Buffavent.

 

De 1531 à 1640, le château appartient à la famille de Bellegarde.

Le château et le titre de seigneur de Buffavent appartiennent aux Bellegarde sur trois générations. Antoinette et Aymon de Bellegarde ayant eu deux fils et une fille, leur fils Claude-Urbain hérite de Buffavent. Il épouse Amable de Bellegarde ( sans doute une cousine) et meurt en 1571. Leur fils Pierre-Noël hérite de Buffavent par testament de sa mère en 1601. Marié à Jeanne de Montferrand, il meurt en 1640. Jeanne se remarie avec Scipion de Seyssel. Buffavent passe alors aux Seyssel.

 

De 1632 à 1760, le château appartient à la famille de Seyssel.

Scipion, seigneur d'Ambilly, co-seigneur de Compoix, se mariera quatre fois.

De sa première femme, de nom inconnu (probablement Béatrice de Blounay), il a une fille qui se mésallie en épousant un sieur de Favrat de Bellevaux, fort riche et considéré. Leur contrat de mariage est signé à Buffavent le 31 janvier 1644.

En deuxième noce, Scipion épouse Jacquemine Jaillet, fille d'une famille de Lucinge en Faucigny, veuve de Nicolas de Lucinge de Châteublanc. De ce second lit, naissent quatre enfants dont Louis de Seyssel qui devient seigneur de Buffavent par testament de Jeanne de Bellegarde, la troisième femme de son père, en mai 1650. Il a un fils et une fille de son second mariage avec Anne-Marie de Varax.

Son fils, Pierre-Louis-Scipion de Seyssel épouse en 1715 Catherine Prospère de Rodrette.

Sa fille, Françoise-Philippe de Seyssel épouse en première noce Balthazar de Genève et en deuxième noce , le 4 novembre 1716, Claude-Charles de Gerbois de Sonnaz. Par un premier testament, le 20 mars 1729, elle s'intitule fille d'Anne de Varax et laisse à son mari Claude-Charles de Gerbois de Sonnaz la seigneurerie d'Habère héritée de sa mère. Après avoir recueilli la succession de son frère Pierre-Louis-Scipion, elle fait un second testament, le 8 mars 1760, par lequel elle laisse à son mari la seigneurerie de Buffavent qui passe ainsi dans la Maison de Gerbois de Sonnaz. Les armes de cette alliance Gerbois-Seyssel se voient encore sur une boîte ancienne conservée au château de Chambéry, chez la comtesse de Sonnaz. Á l'intérieur de cette boîte sont deux cœurs avec cette devise: "Leur union fut éternelle".

 

De 1760 à 1922, le château appartient à la famille de Gerbois de Sonnaz.

Le fils de Claude-Charles Gerbois de Sonnaz et de Françoise de Seyssel, Janus, né en 1736, épouse en première noce Julie de la Balme de Montchalin, puis en deuxième noce Christine de Maréchal, fille de Jacques de Maréchal, comte de Salmon et d'Anne de Saint-Séverin. De leur union naissent trois enfants, Joseph, Madeleine et Hector.

La fille de Joseph, Joséphine de Gerbois de Sonnaz, épouse le 25 février 1851 le Baron Joseph-Melchior de Livet de Montchaux.

Hector meurt en 1867 et laisse deux fils, Albert et Joseph-Jean, qui rachètent Buffavent à leur tante la baronne de Livet.

Le comte Joseph-Jean de Gerbois de Sonnaz, général de l'armée italienne, sénateur au royaume d'Italie, demeurant à Rome, décédé sans testament le 7 avril 1905, laisse comme unique héritier Charles-Albert, également sénateur du royaume d'Italie et ancien ambassadeur à Rome. Á la mort de celui-ci, en 1922, sa veuve Marie Avogrado décide, en l'absence d'héritiers directs, la vente de Buffavent qui est alors racheté par les Vargnoz, et en 1943, par les Bernard.

 

Prosper Brébant et sa famille ont habité Buffavent jusque dans les années 80-90 comme fermiers.

Le château a été ensuite racheté par les propriétaires actuels, deux amis venant de Genève.

 

E. B-M

 

*Le lien étroit de vassalité (et sans doute d'amitié) entre les Langin, le duc Louis 1er de Savoie et son épouse Anne de Lusignan, explique la présence de la légende de Mélusine (à laquelle était liée la famille de Lusignan) au château de Buffavent. Nous y reviendrons dans une prochaine note.

 

(Á suivre...)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

lundi, 15 février 2016

Le château de Buffavent, 1

Fin mai 2015 à 11 novembre 2015 047.JPG

Le château de Buffavent, huile sur toile de Bernard Lacroix.

Photographie de Jean-Michel Lacroix

 

 

 

 

 

Le premier tableau que réalisa Bernard Lacroix représente le château de Buffavent, dans les années cinquante, époque où cet imposant édifice était devenu une ferme. Sur ce tableau, seules trois des quatre tours et une petite partie du toit  sont visibles, la végétation abondante dissimule en grande partie le bâtiment, d'où une impression de mystère qu'accentuent les couleurs froides dominantes, la touche épaisse, la montagne en arrière-plan. On songe au château de La belle au bois dormant ou à celui du Grand Meaulnes...

 

 

L'impression du visiteur aujourd'hui sera bien différente puisque Buffavent, restauré au cours des deux dernières décennies, a retrouvé son allure de "maison forte", demeure seigneuriale mi-habitation, mi -château fort, tel le palais de l'Isle, à Annecy, édifié au XIIe siècle. Situé à Lully, sur la route de Thonon à Annemasse, il a été construit au XVe siècle par François de Langin. 

En effet, ce château présente toutes les caractéristiques des "maisons fortes". Son plan est très simple : un quadrilatère flanqué de quatre tours. Á l'origine, il devait être entouré de douves comme en témoigne un ravin, au nord. Les ouvertures sont peu nombreuses, de disposition et de dimensions irrégulières. Certaines ont été visiblement agrandies. Sur la façade est, l'entrée est surmontée des armes de Langin. Sur cette façade, au-dessus de la porte de la cave dont les ferronneries massives ont été forgées à la main, une petite fenêtre à fortes grilles correspond à un siège de guetteur. De même, la façade ouest présente une fenêtre munie de grilles et sur la façade sud, une petite fenêtre jumelée a encore des sièges de guetteur. Les murs sont très épais : 80 centimètres pour le corps du bâtiment et jusqu'à 1m20 pour les tours qui font vingt-huit mètres de hauteur. Les quarante meurtrières sont de deux types : des archères à l'étage inférieur, deux par tour, ainsi que sous trois fenêtres au premier étage, et de nombreuses meurtrières dans les tours et dans les murs, à diverses hauteurs.

La tour sud-ouest, d'un diamètre plus grand que les autres, comporte dans la maçonnerie un canal ayant dû servir de communication entre la plate-forme et la cave.

Sous Claude-Urbain de Bellegarde, le château fut assiégé et bombardé par les Genevois en 1590. Á la Révolution, il fut découronné et subit de nombreux dommages.

 

E.B-M

(à suivre...)

 

 

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Le château de Buffavent aujourd'hui. Classé monument historique en 1944.

 

 

 

dimanche, 22 novembre 2015

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 2

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Canne de berger. Bois sculpté et verni. XIX e siècle? ( 86,5x12,5x4cm)*

La forme de la branche d'origine a été exploitée afin d'obtenir ce visage quelque peu mystérieux : lutin ou esprit sylvain tiré d'une croyance ou d'un conte populaire? Outre son aspect esthétique soigné, la forme de cette  tête assure une très bonne prise en main. 

 

 

 

 

Rappel :

 

Bernard Lacroix en son musée

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 1

 

 


L'évaluation des objets (suite)

 

L'ethnologue français Jean Cuisenier distingue les qualités d'ustensilité ( la dimension pratique, fonctionnelle) et la plasticité ( configuration et esthétique de l'objet) et montre la différence de points de vue selon l'évaluateur. Le premier point de vue souligne un décalage entre l'évaluation de l'usager d'origine et du destinataire final :

" C'est nous, observateurs appartenant à une culture différente , qui découvrons à l'objet une qualité plastique propre. Souvent, on ne sait pas à quoi il sert, on considère alors seulement la forme. Elle traverse sa réalité et néglige son ustensilité pour ne retenir que sa plasticité."  (1)

 

Cuisenier propose d'autres niveaux d'analyse selon ces critères, qui permettent une répartition des objets. Par exemple, l'usager d'origine recherche la qualité plastique seulement lorsque la qualité d'usage a été obtenue. Cette dernière est prioritaire. L'accord de l'utile et du beau est alors autant apprécié par l'usager que le collectionneur, l'observateur ou le conservateur de musée, désignés comme "destinataires finaux". Dans d'autres cas, chacun des critères est variablement valorisé : le créateur décide de privilégier l'un ou l'autre aspect. Enfin, l'œuvre populaire est parfois entièrement étrangère au domaine de l'utile : il s'agit des objets relatifs aux croyances  ( objet de culte, de dévotion), d'agrément ou d'ornementation.

 

Avec des notions complémentaires, le sociologue américain Howard Becker propose une mise en garde similaire : le fabricant d'un objet est rarement lié directement à un contexte artistique et ne l'a pas nécessairement conçu lui-même comme une œuvre d'art. Pour qu'il soit considéré comme tel, il faut ce que Becker appelle un baptême. Le baptême fait l'œuvre et nécessite qu'un "monde de l'art" donne son statut d'œuvre à l'objet : " Les œuvres [ d'art populaire ] sont rarement tenues pour de l'art par ceux qui les font ou qui s'en servent. Leur valeur artistique est découverte après coup, par des gens étrangers à la communauté où elles ont été produites . " (2)

 

En définitive, c'est un ensemble de jugements qui entre en jeu autour des objets d'art populaire : qu'on les considère comme des œuvres ou comme des objets quotidiens, ils témoignent du passé et à ce titre méritent toute notre attention. Ils sont beaux, et mobilisent notre affectif ; ils nous touchent par leur simplicité, leur caractère et leur singularité. Du plaisir qu'il y a eu à les fabriquer, il y a le plaisir de les garder, afin que subsiste le plaisir de les regarder.

 

Frédéric Colomban, Catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien (2011)

 

Notes :

(1) Jean Cuisenier, L'art populaire en France : rayonnements, modèles et sources (Fribourg, Office du livre, 1975) p. 26

(2) Howard S. Becker, Les mondes de l'art  ( Paris, Flammarion, 1988) p. 255.

 

 

 

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Boîte de colporteur. Bois gravé. XIX e siècle? ( 13x40,7x41 cm)*

Arpentant les villages, le colporteur proposait tout type de marchandises. Le Savoyard se ravitaillait à Genève, Cluses, Sallanches, Taninges... et colportait le plus souvent en France, en Allemagne ou en Suisse, tandis que la Savoie était parcourue par ceux des régions voisines.

 

* Photographies : catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien, domaine de Rovorée, Yvoire, 2011.

 

 

samedi, 14 novembre 2015

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 1

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Clocher de joug. Bois assemblé et gravé ; métal doré, XXe siècle? (54x11x11 cm)*

Avant tout œuvre de prestige, il était placé sur le joug des bœufs lors des grandes occasions telles que les processions ou les fêtes.

 

 

 

 

Rappel :

Á propos de l'art populaire

 

                                                                  

 

 

L'art populaire est généralement associé à un ensemble d'objets inscrits dans un territoire, empreints d'une certaine modestie ou de naïveté, fabriqués par un artisan autodidacte inconnu dont la spontanéité et l'humour séduisent. L'expression "art populaire" suggère la réalisation d'objets hors du champ artistique institutionnel et leur fréquente inscription dans un passé rural. Mais la notion reste difficile à préciser notamment parce qu'elle réunit deux concepts vertigineux : l'art et le peuple.

L'objet d'art populaire évolue dans une sphère culturelle assez floue où s'entremêlent l'art et la culture. Bien souvent, c'est un objet du quotidien, de la maison ou des champs, dont le statut va osciller sous un regard contemporain entre celui d'œuvre artistique décorative et celui d'objet témoin : certes, cette plaque à beurre est habilement décorée , mais elle permet aussi d'illustrer le contexte social de son utilisation, de témoigner d'une pratique particulièrement localisée, très différenciée d'une vallée alpine à une autre ; les producteurs de beurre gravaient une combinaison de décors qui attestaient la propriété de leurs produits.

Au début du XXe siècle les objets relatifs aux pratiques rurales, aux croyances et aux savoirs populaires commençaient déjà à disparaître, il importait de collecter et de sauvegarder. La question de catégoriser les objets collectés dans le domaine de l'art ou de l'ethnographie s'est alors posée. Á sa création en 1937, le Musée national des Arts et Traditions populaires y répondit en reprenant dans son appellation les deux dimensions : art et témoignage culturel s'unissaient sous l'expression consacrée d'arts et traditions, tout en soulignant le caractère mémoriel de l'ensemble de ces objets.

Il est important de mesurer toutes les variations qui prennent place dans l'évaluation des objets. Il s'agit de tracer la trajectoire, généralement aléatoire, de l'objet d'art populaire et l'évaluation qui en a été faite par les spécialistes ou les collectionneurs. On imagine que le rabot du grand-père a gagné sa place au musée sous l'impulsion d'un amateur éclairé, d'un collectionneur passionné ou d'un conservateur spécialisé. Le message effectivement porté par une œuvre d'art populaire fluctue : les valeurs matérielles, historiques ou spirituelles sont mouvantes, autant que les contextes. Aujourd'hui, nous jugeons les proportions et le galbe de cette luge. Rien ne nous permet d'affirmer que le jugement était le même dans son contexte d'utilisation. Et peut-être que les enfants la délaissaient parce qu'une autre luge glissait mieux ou permettait d'accueillir plus de camarades à son bord. Nous apprécions la qualité artistique de l'objet mais nous ne pouvons préjuger de l'intention de son auteur.

 

Frédéric Colomban, co-commissaire de l'exposition La fabrique du quotidien, catalogue de l'exposition (2011)

 

(à suivre...)

 

 

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Luge. Bois, fer forgé. XXe siècle *

 

 

 

 

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Jambe de bois. Bois ; fer forgé; cuir.XXe siècle (105x20x34 cm)*

Selon Bernard Lacroix, Théophile Trincat de Saint-Paul-en-Chablais, revenu amputé de la "guerre de 14", se serait fabriqué lui-même cette prothèse. L'homme se serait plu à dire, parlant de son infirmité : "Heureusement! Sinon, à la pêche, je me mouillerais les deux pieds!"

 

 

 

 

 

 

 

* Photographies : catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien, art populaire alpin, Domaine de Rovorée, Yvoire (2011)