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mercredi, 30 juillet 2014

Les bœufs et les locomotives

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Rondet*, Juillet, Marquis, Baron... c'était le nom des grands bœufs de par ici. Enfant, deux choses me faisaient courir pour les voir : les bœufs et les locomotives à vapeur. La même puissance obstinée, la même haleine épaisse, les mêmes traces rectilignes après leur passage, la même poésie nostalgique d'un spectacle à la fois terrible, unique et désuet, sur lequel se refermait le grand rideau du silence.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°2

 

 

* D'après le légendaire savoyard, Rondet était le nom du bœuf témoin de la naissance du Christ.

samedi, 26 juillet 2014

Un Savoyard à Vienne

 

eugène de savoie

Portrait du Prince Eugène de Savoie (1663-1736)

 

 

 

 

La maman du petit homme... Cette complainte, la mère d'Eugène de Savoie aurait pu la chanter à son fils, refusé par l'armée française pour cause de sa petite taille.

 

Grave erreur! Embauché par le roi Léopold 1er d'Autriche qui n'avait pas les mêmes exigences, ce stratège génial est devenu, peut-être, le héros le plus populaire de Vienne... et un adversaire acharné de la France. Après avoir combattu glorieusement Louis XIV à Malplaquet ( 1709), il se consacra à la lutte contre les ennemis héréditaires des Viennois, ceux qui hantent les subconscients et font peur aux enfants, les Turcs. Et notre compatriote passe pour les avoir repoussés très loin des frontières (Belgrade), leur avoir enlevé la Hongrie et le goût de revenir.

 

Á Budapest, dans son château avancé sur la colline, l'impératrice Marie-Thérèse lui fit élever une statue posthume. Á cheval, dressé sur ses étriers, il pointe son épée vers l'Orient. Á Vienne, il partage la très célèbre Helden Platz (place des héros) avec un collègue de sang royal.

 

Il reçut le titre de Prince: Prinz Eugen, et des rues, des places, des restaurants... portent son nom.

 

Il devint aussi conseiller éclairé de trois rois successifs. Comme il disposait d'une énorme fortune et qu'il avait très bon goût, il fit construire de magnifiques résidences d'hiver, d'été, en ville, dans les faubourgs, à la campagne... Toutes sont splendides. Mais le Belvédère en particulier ( Vienne, IVe arrondissement) est considéré comme le plus beau palais baroque d'Europe. On dit qu'Eugène de Savoie n'aimait pas les femmes. Il n'avait pas de famille, sauf un neveu mort à Vienne et pour la mort duquel il eut l'idée très savoyarde de fonder un couvent de Visitandines, qui renferme une des plus jolies cours intérieures de la ville : fronton avec fresques et fontaines.

 

On comprend que cet homme soit cher au cœur des Viennois. Sans parler des batailles qu'il a gagnées, de la paix qu'il a ramenée, du prestige international qu'il a donné à l'Autriche ( Vienna Gloriosa), il a investi toute sa fortune sur place et avec talent, dotant la ville de monuments remarquables.

En outre, comme il est mort sans descendance, l'État a retrouvé ses billes sans problème!

 

Ce qu'on se demande, c'est pourquoi, un siècle plus tard, on n'a pas fait les mêmes difficultés pour enrôler dans l'armée française un certain Napoléon Bonaparte qui ne devait pas être beaucoup plus grand. Le premier a été une bénédiction pour l'Autriche, l'autre un fléau. Bizarreries de l'Histoire...

 

 

Marie-Christine Ory-Lacroix, Les cahiers du musée n°8 

 

 

 

 

eugène de savoie

Le palais du Belvédère à Vienne

 

mercredi, 23 juillet 2014

Fin de jour

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Georges Rouault, Coucher de soleil

 

 

 

 

 

Un petit nuage buissonnier

Le play-back d'un rossignol sur le retour

Le claquement d'une porte qui ne veut plus du jour

Un bruit d'ailes froissées...

 

Petits restants d'une journée triste

Qui se délitent

A l'orée du cœur.

 

 

Bernard Lacroix, L'herbier du temps

dimanche, 20 juillet 2014

Petit matin

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Photographie JN Bart

 

 

 

Un clocher

Un arbre

Entre les deux :

Le temps qui passe...

 

Quand la nuit tombe

Les ailes sont noires

Les bruits honteux...

 

Mais il y a toujours dans un coin du ciel

Un morceau de jour qui veille :

Levain de lumière.

 

Il y a toujours un petit vent

Prêt à attiser

Les braises du soleil.

 

Il y a toujours

Un chant d'oiseau

Recueilli par une feuille complice

 

Et qui va

Soudain

Donner un nom

Aux premières notes de la vie.

 

 

Bernard Lacroix, Redoux (Édition Le Carré)

 

 

jeudi, 17 juillet 2014

Y van v'ni!

 

poilus savoyards,guerre 14-18

Photographie Histoire Passy Mont-Blanc

 

 

 

 

Ses jambes ne pouvant plus le porter, le vieux Dian se faisait conduire à son fauteuil près de sa fenêtre où il pouvait apercevoir, au bout de la cour, le départ du chemin qui menait à la vallée.

 

" Tu ne peux pas changer de fenêtre, lui proposait sa fille, tu regardes toujours la même chose!

– Non, je veux rester là, i van v'ni*!"

Cela dura quatre ou cinq ans.

 

Un dimanche après-midi d'hiver, alors que la neige tombait drue, sa fille remarqua que le vieillard faisait toutes sortes d'efforts, remuait la tête dans tous les sens, comme si les flocons l'empêchaient de mieux voir. Elle le vit soudain se dresser sur ses jambes, se retourner de son côté en criant: " Ça y est, ils sont là, les voilà!". Puis il s'affaissa lourdement. Quand elle s'approcha, elle comprit qu'il venait de mourir.

 

C'est seulement longtemps après, m'expliquait-elle, que je crois comprendre ; pendant sa jeunesse, les garçons des hameaux voisins venaient le chercher le dimanche après-midi pour courir les filles, boire et s'amuser dans les cafés du village. La guerre 14-18 les faucha tous, sauf mon père. C'est donc bien eux qu'il attendit si longtemps et même si l'on peut mettre son comportement sur le compte de son grand âge, il a du voir quelque chose à l'entrée du sentier, on ne meurt pas comme ça!

 

On peut imaginer qu'ils étaient tous là pour l'ultime rendez-vous, agitant les bras avec de grands sourires. Plus de soixante-dix ans plus tard, la petite troupe d'amis se retrouvait au complet.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°3

 

 

* Y van v'ni : Ils vont venir!

 

 

 

 

lundi, 14 juillet 2014

Préface du recueil "L'herbier du temps"

l'herbier du temps, andré depraz

 

 

 

La poésie se moque volontiers de la richesse et du clinquant ; elle erre à sa façon et se pose, comme l'esprit, quand elle en a envie. Manifestement elle est présente dans cette modeste plaquette, mélange savoureux de solennité et de familiarité, de rythmes élémentaires liés aux saisons et de gestes quotidiens. Douce et embuée, elle est convaincante, ancienne et hors de toute théologie, se dégageant de l'usure des paysages, innocente, acceptant la profondeur et l'ombre.

 

L'écriture de Bernard Lacroix est candide, avec un rien d'accent, sa voix est murmure dans une sorte de conversation lente, sans cris et sans refrains, sans éloquence et sans lyrisme. Elle possède un ton particulier que les contes prêtent volontiers aux vieux sages campagnards ou aux bergers des alpages, hommes solitaires, calmes, peu pressés, humbles et nobles.

 

Le poète semble remonter le temps pour aller à la source des choses quand le cœur fait alliance avec les objets les plus ordinaires, quand il dit la neige légère ou l'oiseau, quelques semblants de feuilles à peine ou le chant têtu qui sourd des fontaines, distillant de vagues arômes d'archaïsme qui nous rappellent le monde agreste.

 

Pour éviter le froid du cœur, la poussière qui recouvre l'âme et la mort spirituelle, Bernard Lacroix nous invite à revenir à l'humble réalité. Ainsi ses poèmes sont volontiers prières d'où se dégage une sorte de piété née d'une confiance tranquille, et qui ne tient en rien à la peur du néant.

 

Fouineur du passé, conservateur du patrimoine, officiant d'un rite mystérieux, le bonhomme se retrouve tout entier dans ses poèmes. En cette fin de siècle, le ton pourrait apparaître comme un défi s'il n'était pudeur et humilité, voire nostalgie, car le grand herbier du temps s'est desséché et la montagne n'est peut-être plus ce qu'elle était.

 

 

André Depraz, Préface du recueil L'herbier du temps de Bernard Lacroix ( Édition Art et Folklore-Musée de Fessy) 

vendredi, 11 juillet 2014

Les enfants

 

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Photographie JN Bart

 

 

 

 

Les enfants me font peur :

Je vois en eux plus souvent

Les démons que les anges.

 

La vipère guette près des eaux limpides.

La souillure étant son ordinaire,

C'est dans la pureté de l'âme

Que le diable fait son nid douillet.

 

 

Bernard Lacroix, L'herbier du temps.

mardi, 08 juillet 2014

Pour la moisson

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Dans le Bas-Chablais, les femmes s'habillaient de blanc pour la fabrication du pain, mais aussi pour la moisson où leur travail consistait à ramasser le blé derrière les faucheurs pour confectionner les gerbes. Respect devant le résultat d'une récolte durement acquise, respect du pain à venir, nourriture unique et sacrée.

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°7

samedi, 05 juillet 2014

Nernier

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Nernier, 25 juin 2014

(photographie JN Bart)

 

 

 

Sur le lac fleuri d'anémones mouettes

Et de cygnes lys,

Les rosées tissent

Un point d'azur et de brume.

L'éclair noir d'une hirondelle attardée

Vient seul troubler les transparences subtiles :

Octobre sera beau!

Lamartine, j'ai marché mes "Cent jours",

Je veux me reposer un instant

A l'ombre de ce clocher byzantin

Qui m'écorche

En grandissant dans mon cœur.

 

Bernard Lacroix

 

jeudi, 03 juillet 2014

Eglantine

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Une jeune institutrice à ses débuts, originaire de la ville, fait un remplacement dans une école de la vallée de Lullin. Elle veut faire connaissance avec ses élèves et leur demande leur prénom :

 

– Quel est le tien? demande-t-elle à une petite fille.

– Maïon!

– Mais qu'est-ce que ça veut dire?

– Marie en patois.

– Bon, mais dès à présent tu t'appelleras Marie, comme toutes les Marie!

– Et toi mon petit?

– Fanfoué!

– Qu'est-ce que ça veut dire?

– François en patois.

– Bon, mais dès à présent tu t'appelleras François, comme tous les François!

 

C'est alors qu'intervient un petit déluré depuis un bureau du fond de la classe.

 

– Et vous, mademoiselle, quel est votre prénom?

– Églantine!

– Bon et bien dès à présent on vous appellera "grattacul"!*

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°7.

 

 

* grattacul : églantine sauvage en patois.