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dimanche, 29 novembre 2015

Adieu Bernard

ciel étoilé.jpg

 

 

 

 

Nous publions aujourd'hui ce poème en hommage à Bernard Lacroix écrit en mars dernier, reçu récemment.

 

 

Le poète est parti rejoindre les étoiles,

Ciel sans voiles...

Le peintre aura l'arc-en-ciel

Pour palette éternelle.

Le collectionneur de traditions,

D'objets d'autres générations,

Aura un immense musée

Á parcourir, à explorer...

Tu pars en solitaire

Visiter l'univers,

Découvrir le mystère,

Quand on quitte cette terre,

De Celui qui nous éclaire.

Bon voyage ami savoyard

Adieu Bernard.

 

Nicole Donati

dimanche, 22 novembre 2015

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 2

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Canne de berger. Bois sculpté et verni. XIX e siècle? ( 86,5x12,5x4cm)*

La forme de la branche d'origine a été exploitée afin d'obtenir ce visage quelque peu mystérieux : lutin ou esprit sylvain tiré d'une croyance ou d'un conte populaire? Outre son aspect esthétique soigné, la forme de cette  tête assure une très bonne prise en main. 

 

 

 

 

Rappel :

 

Bernard Lacroix en son musée

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 1

 

 


L'évaluation des objets (suite)

 

L'ethnologue français Jean Cuisenier distingue les qualités d'ustensilité ( la dimension pratique, fonctionnelle) et la plasticité ( configuration et esthétique de l'objet) et montre la différence de points de vue selon l'évaluateur. Le premier point de vue souligne un décalage entre l'évaluation de l'usager d'origine et du destinataire final :

" C'est nous, observateurs appartenant à une culture différente , qui découvrons à l'objet une qualité plastique propre. Souvent, on ne sait pas à quoi il sert, on considère alors seulement la forme. Elle traverse sa réalité et néglige son ustensilité pour ne retenir que sa plasticité."  (1)

 

Cuisenier propose d'autres niveaux d'analyse selon ces critères, qui permettent une répartition des objets. Par exemple, l'usager d'origine recherche la qualité plastique seulement lorsque la qualité d'usage a été obtenue. Cette dernière est prioritaire. L'accord de l'utile et du beau est alors autant apprécié par l'usager que le collectionneur, l'observateur ou le conservateur de musée, désignés comme "destinataires finaux". Dans d'autres cas, chacun des critères est variablement valorisé : le créateur décide de privilégier l'un ou l'autre aspect. Enfin, l'œuvre populaire est parfois entièrement étrangère au domaine de l'utile : il s'agit des objets relatifs aux croyances  ( objet de culte, de dévotion), d'agrément ou d'ornementation.

 

Avec des notions complémentaires, le sociologue américain Howard Becker propose une mise en garde similaire : le fabricant d'un objet est rarement lié directement à un contexte artistique et ne l'a pas nécessairement conçu lui-même comme une œuvre d'art. Pour qu'il soit considéré comme tel, il faut ce que Becker appelle un baptême. Le baptême fait l'œuvre et nécessite qu'un "monde de l'art" donne son statut d'œuvre à l'objet : " Les œuvres [ d'art populaire ] sont rarement tenues pour de l'art par ceux qui les font ou qui s'en servent. Leur valeur artistique est découverte après coup, par des gens étrangers à la communauté où elles ont été produites . " (2)

 

En définitive, c'est un ensemble de jugements qui entre en jeu autour des objets d'art populaire : qu'on les considère comme des œuvres ou comme des objets quotidiens, ils témoignent du passé et à ce titre méritent toute notre attention. Ils sont beaux, et mobilisent notre affectif ; ils nous touchent par leur simplicité, leur caractère et leur singularité. Du plaisir qu'il y a eu à les fabriquer, il y a le plaisir de les garder, afin que subsiste le plaisir de les regarder.

 

Frédéric Colomban, Catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien (2011)

 

Notes :

(1) Jean Cuisenier, L'art populaire en France : rayonnements, modèles et sources (Fribourg, Office du livre, 1975) p. 26

(2) Howard S. Becker, Les mondes de l'art  ( Paris, Flammarion, 1988) p. 255.

 

 

 

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Boîte de colporteur. Bois gravé. XIX e siècle? ( 13x40,7x41 cm)*

Arpentant les villages, le colporteur proposait tout type de marchandises. Le Savoyard se ravitaillait à Genève, Cluses, Sallanches, Taninges... et colportait le plus souvent en France, en Allemagne ou en Suisse, tandis que la Savoie était parcourue par ceux des régions voisines.

 

* Photographies : catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien, domaine de Rovorée, Yvoire, 2011.

 

 

samedi, 14 novembre 2015

De l'art populaire aux arts et traditions populaires, 1

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Clocher de joug. Bois assemblé et gravé ; métal doré, XXe siècle? (54x11x11 cm)*

Avant tout œuvre de prestige, il était placé sur le joug des bœufs lors des grandes occasions telles que les processions ou les fêtes.

 

 

 

 

Rappel :

Á propos de l'art populaire

 

                                                                  

 

 

L'art populaire est généralement associé à un ensemble d'objets inscrits dans un territoire, empreints d'une certaine modestie ou de naïveté, fabriqués par un artisan autodidacte inconnu dont la spontanéité et l'humour séduisent. L'expression "art populaire" suggère la réalisation d'objets hors du champ artistique institutionnel et leur fréquente inscription dans un passé rural. Mais la notion reste difficile à préciser notamment parce qu'elle réunit deux concepts vertigineux : l'art et le peuple.

L'objet d'art populaire évolue dans une sphère culturelle assez floue où s'entremêlent l'art et la culture. Bien souvent, c'est un objet du quotidien, de la maison ou des champs, dont le statut va osciller sous un regard contemporain entre celui d'œuvre artistique décorative et celui d'objet témoin : certes, cette plaque à beurre est habilement décorée , mais elle permet aussi d'illustrer le contexte social de son utilisation, de témoigner d'une pratique particulièrement localisée, très différenciée d'une vallée alpine à une autre ; les producteurs de beurre gravaient une combinaison de décors qui attestaient la propriété de leurs produits.

Au début du XXe siècle les objets relatifs aux pratiques rurales, aux croyances et aux savoirs populaires commençaient déjà à disparaître, il importait de collecter et de sauvegarder. La question de catégoriser les objets collectés dans le domaine de l'art ou de l'ethnographie s'est alors posée. Á sa création en 1937, le Musée national des Arts et Traditions populaires y répondit en reprenant dans son appellation les deux dimensions : art et témoignage culturel s'unissaient sous l'expression consacrée d'arts et traditions, tout en soulignant le caractère mémoriel de l'ensemble de ces objets.

Il est important de mesurer toutes les variations qui prennent place dans l'évaluation des objets. Il s'agit de tracer la trajectoire, généralement aléatoire, de l'objet d'art populaire et l'évaluation qui en a été faite par les spécialistes ou les collectionneurs. On imagine que le rabot du grand-père a gagné sa place au musée sous l'impulsion d'un amateur éclairé, d'un collectionneur passionné ou d'un conservateur spécialisé. Le message effectivement porté par une œuvre d'art populaire fluctue : les valeurs matérielles, historiques ou spirituelles sont mouvantes, autant que les contextes. Aujourd'hui, nous jugeons les proportions et le galbe de cette luge. Rien ne nous permet d'affirmer que le jugement était le même dans son contexte d'utilisation. Et peut-être que les enfants la délaissaient parce qu'une autre luge glissait mieux ou permettait d'accueillir plus de camarades à son bord. Nous apprécions la qualité artistique de l'objet mais nous ne pouvons préjuger de l'intention de son auteur.

 

Frédéric Colomban, co-commissaire de l'exposition La fabrique du quotidien, catalogue de l'exposition (2011)

 

(à suivre...)

 

 

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Luge. Bois, fer forgé. XXe siècle *

 

 

 

 

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Jambe de bois. Bois ; fer forgé; cuir.XXe siècle (105x20x34 cm)*

Selon Bernard Lacroix, Théophile Trincat de Saint-Paul-en-Chablais, revenu amputé de la "guerre de 14", se serait fabriqué lui-même cette prothèse. L'homme se serait plu à dire, parlant de son infirmité : "Heureusement! Sinon, à la pêche, je me mouillerais les deux pieds!"

 

 

 

 

 

 

 

* Photographies : catalogue de l'exposition La fabrique du quotidien, art populaire alpin, Domaine de Rovorée, Yvoire (2011)

 

 

 

 

 

 

 

mercredi, 11 novembre 2015

Le petit Louis

 

guerre 14-18,poilus savoyards

Image  Les amis du Val de Thônes

 

 

 

En ce jour du 11 novembre qui commémore l'armistice de la Grande Guerre, remise en une de ce texte de Bernard Lacroix, publié une première fois  le 1er août 2014.

 

 

 

 

 

Il y a cent ans aujourd'hui, le 1er août 1914, à 4 heures de l'après-midi, tous les clochers de France ont sonné le tocsin pour annoncer la mobilisation générale. C'était l'entrée dans la première guerre mondiale. Après Y van v'ni, ce récit de Bernard Lacroix nous rappelle ce qu'ont vécu des êtres de chair et de sang, dont les plus savantes études historiques ne sauraient rendre compte.

 

 

*

 

Ils étaient trois garçons du bout du village, Pierre, Jacques et Louis. Les deux premiers grands, beaux et forts, le dernier tout petit, tout chétif, tout rabougri... Mais la guerre qui n'est pas regardante les appela tous les trois. Inutile de vous faire deviner ce qu'il advint : un soir de l'hiver 1918, le petit Louis frappa à la porte du pauvre logis :

 

– Qui est là? cria la mère depuis son lit.

– C'est ton fils Louis qui revient de la guerre!

– Tout seul?

– Oui!

 

La pauvre femme, dans sa simplicité, comprit tout de suite que les deux autres ne reviendraient jamais. Elle mit un pot de cidre avec un quignon de pain sur la table et retourna se coucher. Quand il racontait l'histoire, le petit Louis croyait bon d'ajouter avec un drôle de sourire, comme s'il voulait l'excuser :

 

– Elle est restée couchée huit jours!

 

 

Bernard Lacroix, Les cahiers du musée n°10

samedi, 07 novembre 2015

La shèf ( La chasse)

 

patois de saxel,éditions les belles lettres,la chasse

Scène de chasse, peinture rupestre ( 4500-2800 avt J-C)

Site de Jabbaren, Algérie

 

 

 

 

 

Rappel :

Chanson de printemps

 

 

En patois chablaisien, le mot "chasse" se dit shèf. Voici une histoire de shèf en patois (phonétique) de Saxel suivie de sa traduction en français.

 

 

Lé Ruje de shi Dübwè n alove n a mès n a prèzh, mé ari  al alove a la shèf tote lé dmãzhe maten, õ yozhe, é trova na sarpã, é lye kopa la téta d õ ku de fuzi, mé la sarpã felya sõ sheme, pwé é la ve sèyi  lé vérne awé sa kawa, al avè zü na brova püre!

N otre yozhe, y ètè mé na dmãzhe, al tè yó pè rokafor ; é tra na livra, mé é la mãka ; y ã pasa n otra k é mãka èto ; pwé y ã venye na trezyéma ke felya asben, é lye kreya : va ü dyoble awé lez otre! Mé tlé la livra ke se revir ã dzã : sã-tye zha ben lywã ? Dè itye , é ne retorna jamé a la shèf le tã de la mèsa.

 

 

Le Rouge de chez Dubois n'allait ni à messe ni à prêche, mais en revanche il allait à la chasse tous les dimanches matins. Une fois, il trouva une serpent, il lui coupa la tête d'un coup de fusil. Mais la serpent fila son chemin et il la vit faucher les vernes avec sa queue. Il avait eu une jolie peur!

Une autre fois, c'était encore un dimanche, il était en haut par Roquafort; il tira un lièvre, mais il le manqua ; il en passa un autre qu'il manqua aussi; puis il en vint un troisième qui fila encore. Il lui cria : va au diable avec les autres! Mais voilà le lièvre qui se retourne en disant : sont-ils déjà bien loin? Depuis là, il ne retourna jamais à la chasse le temps de la messe.

 

 

Le patois de Saxel( Les Belles Lettres, 1969) p.178

dimanche, 01 novembre 2015

Toussaint 2015

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Photographie de Juan Asensio

 

 

 

 

Rappel :

Nos morts

La Toussaint

Sylvie

*

 

 "Mes morts sont vivants"

Bernard Lacroix, Nos morts

 

 

C'est devenu une coutume, sur ce blog, de célébrer à notre manière la Toussaint, fête du souvenir et de l'espérance. Depuis le VIIIe siècle, la Toussaint est si étroitement liée à la fête des morts du 2 novembre que nous leur rendons visite, au cimetière, chaque 1er novembre. Aujourd'hui, c'est une Toussaint particulière pour nous puisque pour la première fois, nous honorons la mémoire de nos amis partis cette année, Bernard Lacroix et son cousin Joseph.

Si dans un poème de jeunesse Bernard considérait la visite au cimetière comme la suprême preuve d'amour, il écrira plus tard, dans Nos morts, son refus de cette coutume. Pour lui, les morts sont vivants. " Je ne visite pas les morts", écrit-il, " comme si je voulais conserver dans ma mémoire des yeux ouverts et des bouches frémissantes de mots". Il semble qu'à ses yeux, la tombe matérialise l'absence, obture la mémoire. Il préfère évoquer "le  simple dialogue d'une vie toute simple qui me revient à tous moments. Une ombre fugitive, un souffle, un murmure, un bruit..."

Pourtant, certains entretiennent ce dialogue au cimetière. Pour ceux-là, la tombe ne dissimule pas un squelette, elle est la demeure qui abrite l'être qu'ils chérissent toujours. Bernard n'écrit-il pas lui-même, dans Nos morts, que le cimetière est un "deuxième village" ? N'est-ce pas le lieu où, le jour de la Toussaint, familles et amis se retrouvent unis dans l'espérance?

En fait, Bernard accordait plus de valeur aux mots qu'à une visite au cimetière. Ses morts sont vivants parce qu'il se souvient de conversations au café Dret, insignifiantes sur le moment, qui résonnent toujours en lui. Qui sait pourquoi on se rappelle de tel instant, de telle conversation? Comme la photographie, la tombe est un vestige figé si la parole ne l'anime du feu de l'amour.

Bernard n'a pas de tombe. Il a choisi de redevenir poussière, se rappelant peut-être de l'ancien rite du Mercredi des Cendres : " souviens toi que tu es poussière et que tu redeviendras poussière". Il est vivant dans le cœur de ceux qui l'ont connu, avec ses mots d'humour et d'amour, les instants de bonheur ou de douleur vécus ensemble, et dans le cœur de ceux qui le découvrent à travers son œuvre. 

 

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

 

 

 

 

 

lundi, 26 octobre 2015

Octobre,2

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La montagne n'est plus ce qu'elle était.

Les feuilles sont en train de "tourner"

Disait ma grand-mère!

 

On devine déjà dans les taillis,

Ça et là,

Les métastases de l'Automne.

 

 

Bernard lacroix, L'herbier du temps

samedi, 24 octobre 2015

Octobre,1

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Bernard Lacroix, Automne en Chablais

Huile sur toile (46x54)

 

 

 

 

Revoilà ces heures indécises

Où il faut lire les choses au travers du temps.

Il faut laisser le jour à d'autres.

Ce n'est pas la nuit qui tombe

C'est la lumière qui s'en va!

 

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés

samedi, 17 octobre 2015

Automne

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 Automne, gouache de Bernard Lacroix

 

 

 

 

L'automne est venu.

Sous un ciel chaotique, le grand bateau blanc assure avec panache une des dernières croisières de la saison.

Le lac, indifférent, distille des reflets incohérents :

ainsi va la vie, les beaux jours ne laissent pas de traces, ou si peu.

 

Bernard Lacroix, Des paysages, des saisons, des jours, des heures... (2014)

samedi, 10 octobre 2015

Jacques Miguet (1921-1985), 3

 

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Jacques Truphémus, La belle servante, 1980

Huile sur toile, 130x130 cm

 

 

 

 

 

Rappel :

Le Berger

Allocution de Jean-Claude Fert aux obsèques de Bernard Lacroix

Jacques Miguet, 1

Jacques Miguet, 2

 

 

*

 

Au nom de l'amitié

Entretien avec le peintre Jacques Truphémus

 

 

Les peintres qui l'ont connu gardent l'image d'un homme très attaché à son village et à sa région, le Chablais, comme une tradition vivante à défendre, un patrimoine à sauvegarder : en témoignent l'intérêt qu'il a eu pour créer un musée des outils anciens et son goût des fouilles entreprises au château de Langin. Je l'ai vu plus souvent sur le terrain, avec une brouette, la pioche à la main ou la truelle pour maçonner, alliant un savoir à une pratique : "un savoir d'intellectruelle" disait-il avec humour. C'est l'exemple même d'une culture personnelle, forgée au contact réel des œuvres rencontrées au hasard d'un cheminement naturel. Profondément attaché à sa région, mais sans sectarisme, il était d'une grande curiosité d'esprit  et portait intérêt à toute forme d'art particulière, à toute forme d'expression populaire : la Toscane, l'art étrusque, les petits maîtres comme Filippo Lippi, Lorenzetti — nous parlions souvent de ces peintres qu'il aimait beaucoup — , les icônes byzantines, les bijoux anciens...C'était chez lui un éclectisme de bon aloi, sans dispersion, n'obéissant surtout qu'à des coups de cœur.

Un homme de passion, généreux et d'un rare optimisme, avec cette étonnante capacité d'émerveillement et d'admiration qu'il savait faire partager, mais surtout d'une grande confiance en l'homme; à une époque difficile où il existe toujours une tentation de doute ou de repli, les artistes ont senti le prix d'une confiance accordée, une confiance totale — qui ne s'est jamais démentie — dans les choix que chacun d'entre nous s'était fixés. Il a su reconnaître avant l'heure des artistes qui n'étaient pas alors "consacrés" et qui le furent ultérieurement.

Ce n'était pas un homme de chapelle, il revendiquait cette grande indépendance d'esprit qui l'a toujours rendu méfiant vis-à-vis des choix officiels, sans en nier parfois la valeur.

Homme de continuité dans la passion, toute sa vie il manifesta un intérêt constant pour les cultures différentes. Fidèle à ses goûts, avec ce désir de relier le présent au passé, il avait proposé aux peintres et aux sculpteurs de participer à la restauration de vitraux ou à la création de sculptures pour les églises de la région.

Á Douvaine, des familles de peintres se regroupaient au cours d'expositions, et souvent d'horizons divers : ainsi les Granges de Servette accueillaient, sans régionalisme aucun, les artistes de Haute-Savoie, de Suisse, de Paris, d'Autriche, d'Italie. Participait régulièrement l'école lyonnaise dont la peinture, se rattachant à une tradition, avait su, dans un relatif isolement de la province s'affirmer face à Paris, avec le sentiment d'une petite méfiance à l'égard des modes et des assimilations quelque peu faciles.

C'était essentiellement un esprit de fête qui présidait à ces expositions. Ce qui nous séduisait, nous, peintres de la ville, c'était de constater que des manifestations de cette importance pouvaient être organisées avec la participation des gens du pays. Je garde le souvenir de cette exposition où tous les commerçants de Douvaine avaient en vitrine une toile en rapport avec leur activité, un bouquet de fleurs chez le fleuriste, une viande chez le boucher, un pain de Schmid chez le boulanger. Pour beaucoup d'entre nous, lors de nos premières expositions, nous vendions plus de peintures à Douvaine qu'à Lyon; sans persuasion arbitraire, le rayonnement qu'exerçait Jacques Miguet suscitait de multiples intérêts et cela comptait beaucoup pour nous à l'époque.

C'est un véritable capital de confiance que nous ont apporté ses amis, car tous en même temps finissaient par partager cette même valeur humaine qu'il dispensait ; et les premiers amateurs que l'on rencontrait aux Granges, loin de tout esprit spéculatif, nous ont accompagnés toute la vie, conscients de participer ainsi à notre travail.

 

Jacques Truphémus, Catalogue de l'exposition Les peintres, ses amis... Hommage à Jacques Miguet (1988)