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lundi, 20 janvier 2020

Bernard et Gilbert Lacroix, musiciens

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Bernard Lacroix au piano, Gilbert à la guitare

( Photographie: archives de la famille Lacroix)

 

 

 

 

Avant une recension de La maison, le livre bouleversant de Marie-Christine Ory-Lacroix, voici un extrait du chapitre La Salle à manger, qui évoque la passion et le talent pour la musique de ses deux frères, Bernard et Gilbert.

 

" Tout a commencé autour de l'harmonium, légué par notre grand-oncle curé. Il en possédait deux : un énorme qui se trouve à l'église du village, en haut, sur les loges, et un petit, resté chez nous pour la plus grande joie de Bernard. Personne ne l'a jamais entendu faire des gammes, des exercices ou des répétitions lancinantes d'une même mélodie. Il a tout de suite su jouer, comme ça. Il a la musique infuse. Quand il se lève le matin, avant toute chose, avant même le déjeuner, il se précipite sur l'instrument pour mettre en pratique un air, ou une variante de celui-ci, ou une harmonisation qu'il a mûrie pendant la nuit. Il a douze ans. Ses pieds touchent à peine les pédales. Ils appuient, relâchent, appuient, relâchent tour à tour, à toute vitesse. En même temps, ses mains, tout en jouant, manipulent les tirettes au-dessus du clavier. Elles s'appellent : basson, hautbois, musette, ou plus étrangement : forte, plein jeu, tremblant. Ce dernier jeu fait chevroter le son de manière amusante.

 

Le vieil instrument, bousculé dans ses habitudes, tousse, souffle et crache ; mais ce qui en sort est proprement renversant : sambas, rumbas, be-bop, valses musettes se succèdent sans ordre... Si l'oncle de Saint-Pierre entendait ça! Et Bernard secoue en mesure les boucles blondes qui lui tombent dans les yeux. Il me fait penser à Julie et à sa machine à coudre. Tous les deux sont des virtuoses dans leur genre. Mais mon frère est tout jeune encore, et la musique est la musique! Plus tard, je le verrai se servir aussi d'un accordéon. Quant à Gilbert, il joue de la guitare et chante d'une belle voix de baryton. Il acquerra même une sorte de célébrité locale qui lui permettra d'assurer la première partie du tour de chant de Gilbert Bécaud au casino d'Évian.

 

L'idée de constituer un orchestre leur vient donc naturellement à l'esprit. Une énorme contrebasse, des centaines de partitions, des pupitres marqués Fantasia, du nom du groupe, viennent désormais encombrer la salle à manger. Lorsqu'on accepte de les embaucher pour la soirée, ils dansent de joie et se mettent en vitesse à répéter : C'est la samba brésilienne, José le Caravanier, Rossignol de mes amours, Matilda, Old man river, etc.

 

 

Marie-Christine Ory Lacroix.   

dimanche, 19 janvier 2020

Vœux de l'association " Les Amis de Bernard Lacroix" pour 2020

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Photographie de Jean-Michel Lacroix

 

 

 

 

L'association  Les Amis de Bernard Lacroix adresse ses meilleurs vœux aux lecteurs de ce blog pour l'année 2020.

 

Au cours de l'année 2019, nous avons publié un recueil rassemblant l'ensemble des poèmes de Bernard Lacroix que vous pouvez vous procurer en cliquant sur "acheter Aux Lisières du temps" dans Photos albums ( sur cette page, à droite).

Nous vivons une période agitée, pour ne pas dire chaotique, où la parole poétique, les œuvres d'art, nous sont plus que jamais nécessaires : elles nous donnent les points de repère qui manquent à cette époque et surtout la Beauté, l'Amour, des valeurs qu'elle semble mépriser.

 

Depuis 2018, ce blog est en dormance. Nous allons tenter de le faire revivre autour de l'œuvre de Bernard Lacroix, en commençant par l'évocation de La maison, le remarquable livre de sa sœur, Marie-Christine Ory-Lacroix, publié en 2019 aux éditions Arcadès Ambo. Nous publierons très prochainement un extrait puis une recension de cet ouvrage.

 

Que 2020 soit pour nous tous une année de sérénité, d'épanouissement!

 

E.B-M

 

 

mardi, 12 novembre 2019

Nous étions au Salon du livre de Ripaille, Thonon-les-Bains

 

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Le château de Ripaille

 

 

 

 

Monument emblématique du Chablais, le château de Ripaille qui fut pendant plusieurs siècles la propriété des Ducs de Savoie, est à ce jour géré par une fondation, partenaire de la famille Engel-Necker toujours propriétaire des lieux. Située à Thonon-le-bains, cette magnifique propriété comprend, outre le château, une belle forêt domaniale doté d'un arboretum et d'un vignoble de 22 hectares. La Fondation accueille à Ripaille des manifestations privées et y organise des manifestations culturelles.

Le salon autour du livre savoyard revient à Ripaille tous les deux ans, et c'est dans ce cadre que nous avons présenté, les 2 et 3 novembre 2019, le recueil de la Poésie de Bernard Lacroix, "Aux lisières du temps".

Ce fut un vrai bonheur de s'installer dans une des salles très élégantes du château. Un cadre dont Bernard Lacroix aurait sans doute été heureux et fier. Nous étions très bien entourés par des sociétés savantes, dont La Salévienne qui connaissait très bien la famille Lacroix et vendait même le livre de sa soeur, Marie-Christine Lacroix.

Nous avons eu cette particularité d'être les seuls à ne présenter qu'un seul livre. Grâce à l'affiche présentée sur un chevalet de table, le livre était mis en valeur et nous a permis d'attirer l'attention de nombreuses personnes ayant connu notre poète. Nous avons ainsi recueilli à son sujet de nombreux témoignages et souvenirs, souvent très bouleversants.Force est de reconnaître que la plupart de nos visiteurs évoquaient l'homme, le grand artiste, sa belle personnalité, le peintre et bien sûr ce collectionneur de génie qui a certainement réuni une des plus belles collections d'objets de la vie quotidienne, mais que peu d'entre eux  connaissaient le poète, hormis cette institutrice retraitée qui faisait apprendre à ses élèves de CM1-CM2 nombre de ses poèmes.

 

D'où l'urgence de ce recueil, "Aux lisières du temps" et l'urgence de le faire connaître.

 

Marie-Paule Dimet-Mermin

 

 

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mardi, 17 septembre 2019

"Aux lisières du temps" de Bernard Lacroix

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Ce blog, en dormance depuis plus d'un an, reprend son activité.

L'association Les Amis de Bernard Lacroix a le plaisir de vous annoncer la parution d'un très beau livre qui rassemble l'ensemble des poèmes de Bernard Lacroix, illustré par des reproductions de ses tableaux et dessins et des photographies de ses sculptures. Cet ouvrage a été réalisé par les éditions Le Solitaire à Tarbes.

Vous pouvez vous le procurer au prix de 23€ ( 18€+5€ de frais de port) à l'adresse suivante:

Hubert Le Goff

245, avenue de Vallon

74890-FESSY

Chèque à l'ordre de Les Amis de Bernard Lacroix

 

 

*

 

Extrait de la préface:

 

Nous avons rassemblé dans ce livre l'ensemble des poèmes de Bernard-Dominique Lacroix (1933-2015), poète, artiste peintre, sculpteur, musicien, collectionneur et fondateur du musée de Fessy, dont la collection ethnographique, acquise par le Conseil Général de la Haute-Savoie en 2001, est devenue l'une des plus importantes de l'arc alpin. Si l'œuvre artistique et muséale de cet artiste hors normes est désormais reconnue, son œuvre poétique, publiée dans sept recueils de son vivant, reste à découvrir. Limpide dans son humilité, cette poésie coule de la source immémoriale de la culture populaire traditionnelle, contes et chants longtemps transmis oralement en patois, textes sacrés chrétiens, qui s'est enrichie, au fil du temps, des grandes voix poétiques de la langue française. Elle constitue la jointure entre l'œuvre artistique ancrée dans son siècle et l'œuvre patrimoniale qui sauve de l'oubli l'ancien monde rural disparu.

 

"J'ai vécu à la lisière de deux civilisations : la civilisation agro-pastorale [...] et celle du machinisme naissant" écrit Bernard Lacroix. Né en 1933 à Évian, il a connu la première dans son enfance même si la civilisation industrielle était déjà là. C'est au cours de la période dite "Les Trente Glorieuses", des années 50 au début des années 70 du siècle dernier, que le machinisme et la société de consommation se sont étendus au monde rural. Bernard Lacroix a vécu cette mutation, rapide voire brutale en Haute-Savoie, en particulier en Chablais, qui devait aboutir in fine au grand bouleversement, l'avènement de l'ère numérique et de la cybernétique, dont on ignore encore si elle engendrera une autre civilisation ou une nouvelle barbarie. La poésie de Bernard Lacroix se tient à cette lisière. Comme l'écrit Cristina Campo, " il fut un temps où le poète était là pour nommer les choses [...] comme au jour de la Création. Aujourd'hui, il ne semble là que pour prendre congé d'elles, pour les rappeler aux homme, avec tendresse et affliction, avant qu'elles ne s'éteignent. Pour écrire leur nom sur l'eau : et peut-être sur cette forte houle qui les aura bientôt englouties." (1) Ce n'est pas un hasard si le collectionneur a précédé le poète, l'artiste peintre et sculpteur, en recueillant, dès l'âge de onze ans, les objets de la civilisation rurale jetés au rebut. Étrange passion d'un enfant qui vécut dans sa chair la barbarie de la seconde guerre mondiale et qui, probablement à ce moment là, sentit intuitivement que la "forte houle" dont parle Cristina Campo était lourde de menaces pour l'avenir.

 

Bernard Lacroix a eu onze ans en 1944 et c'est le 12 juillet 1944 que son père Auguste Lacroix, agriculteur et maire de Fessy, fut assassiné chez lui, en présence de sa famille(2). Le traumatisme affecta la parole : Bernard et son frère Gilbert bégayèrent pendant longtemps, écrit leur mère, Marie-Antoinette Lacroix née Vernet, dans un récit destiné à ses proches. Une décennie plus tard, Bernard sera appelé sur le théâtre des opérations de la guerre d'Algérie. Il en reviendra chauve et signera ses premiers tableaux Le Chauve.

 

Aux antipodes des rhétoriques de la victimisation qui se généralisent aujourd'hui, nourrissant le ressentiment des uns et des autres, la poésie de Bernard Lacroix se tait sur les horreurs vécues. Elle en vient mais elle les dépasse. À la lisière de deux civilisations, l'ancienne civilisation rurale et la nouvelle civilisation consumériste, à la lisière de deux époques, celle d'un christianisme qui animait la vie quotidienne et celle d'un matérialisme individualiste sans repères, "écrivant sur l'eau" le monde disparu, le poète retrouve, au-delà de la perte, l'être du monde et des hommes. Miracle renouvelé de la poésie franciscaine qui chante les hommes et les animaux, tous créatures de Dieu, qui chante la Création divine comme union de la vie et de la mort au sein du devenir . [...]

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1) Cristina Campo, Le Parc aux cerfs in Les Impardonnables ( Gallimard, coll. L'Arpenteur, 1990) p.190

(2) Cet assassinat est mentionné par l'historien Robert Aron dans son livre Histoire de l'épuration, tome 1 ( Fayard, 1967, pp. 564-5) au chapitre intitulé Querelles personnelles, exécutions sommaires et arrestations arbitraires, comme exemple d'exécution " pour raisons de classe, de politique ou d'intérêt".

lundi, 07 mai 2018

"Poésie en Chablais" au château d'Avully

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Eustache Le Sueur, Calliope

 

 

 

 

Pierre et Michel Guyon vous convient à l'édition 2018 de

 

 

Poésie en Chablais

 

dimanche 13 mai

Château Saint Michel d'Avully

(74890) Brenthonne

 

entrée libre

 

 

 

Venus du Chablais et des secteurs haut-savoyards, une quinzaine d'auteurs et poètes vous convient au partage poétique.

 

15-18h: Salon de la poésie

Découvertes et échanges autour des publications de poètes savoyards.

 

16h: Récital poétique et intermèdes musicaux.

Manifestation suivie de la "verrée des poètes"!

 

 

 

 

 

 

samedi, 17 mars 2018

L'eau éternelle

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Remise en Une d'une note publiée sur ce blog en 2012.

 

 

 

 

"Les paysans autrefois étaient des artistes."

 L'instituteur (Fabrice Luchini) dans L'arbre, le maire, la médiathèque ou les sept hasards d'Éric Rohmer.

 

*

 

 

" On comprendra aisément, je pense, qu'à l'aube du troisième millénaire, remettre en activité un modeste abreuvoir de village, représente un inestimable symbole. Face à la pernicieuse “normalisation” entreprise par l'administration française, suivie désormais par la non moins pernicieuse normalisation européenne, cette eau sauvage invitée à resurgir par une poignée de poètes, vient à son heure témoigner du fait que tout n'est pas irrémédiablement perdu, que l'on peut encore trouver des gens qui n'en ont rien à foutre des décisions inhumaines prises par des “décideurs” sans cœur et sans scrupules. Rien que le fait qu'elle titille certains pisse-froid en leur crachant à l'occasion au visage, nous met en joie."

 

Bernard Lacroix, Le Bassin, Cahiers du Musée.

 

*

 

Il faut voir ou revoir, vingt ans après sa sortie en 1993, le délicieux film d'Éric Rohmer, L'arbre, le maire, la médiathèque ou les sept hasards, et lire en même temps Le Bassin de Bernard Lacroix, bref récit publié à la même époque dans Les cahiers du musée. Même profondeur sous l'ironie aussi légère que l'eau d'Évian. On me dira qu'il n'y a aucun rapport entre les deux, que le texte de Bernard Lacroix n'est pas une fiction alors que le film en est une, que le seul point commun entre ces deux œuvres, c'est qu'elles se situent à la même époque, les années 90, dans un village de la France dite "profonde" ( le plus bel éloge, soit dit en passant, que les citadins branchés puissent adresser à un monde qu'ils ignorent). Et pourtant...

Le film met en scène le maire socialiste d'un village vendéen (Pascal Gregorry), grand propriétaire terrien animé de ces bonnes intentions dont l'enfer est pavé, qui veut agir pour le bonheur de ses concitoyens c'est-à-dire, selon ses analyses longuement développées, agir contre la désertification des campagnes. Comment? Pardi, en transférant la ville à la campagne grâce aux nouvelles technologies ( dont l'informatique qui permettra à chacun de travailler chez soi) et aussi en transférant les loisirs de la ville au village pour attirer les citadins. Pour ce faire, notre châtelain socialiste bien intentionné obtient du Ministère de la Culture les subventions nécessaires à la réalisation d'un projet grandiose : la construction d'un centre sportif et culturel baptisé "médiathèque", comportant bibliothèque, discothèque, théâtre de verdure, piscine, et bien évidemment un immense parking en béton, le tout sur un site classé du village où trône un majestueux saule blanc centenaire. Ce projet échouera grâce à sept "hasards", en réalité sept impondérables, et ce n'est pas par hasard, justement, que le film commence par une leçon de grammaire donnée par l'instituteur (Fabrice Luchini) aux enfants du village, sur les subordonnées de condition qu'on nomme "hasard" quand les conditions relèvent de l'impondérable, voire de l'inexplicable, ce n'est pas par hasard que le film est structuré en sept chapitres qui correspondent aux sept hasards, que Rohmer a choisi le sept, chiffre sacré du christianisme, que l'on entend, au cours du film, une émission sur France-Culture consacrée à l'impondérable.

  Á l'inverse, Le Bassin de Bernard Lacroix relate un projet abouti, réussi dans la réalité, projet aussi modeste que celui du maire est grandiose : la remise en eau d'un abreuvoir dans un village savoyard. Le personnage le plus comique du film de Rohmer, l'écrivaine Béatrice Beaurivage, parisienne jusqu'au bout de ses ongles laqués ( Arielle Dombasle, qui joue son propre personnage à peine caricaturé) serait probablement aussi ébaubie par cette petite histoire d'eau qu'elle l'est par les vaches, les salades qu'elle n'avait jamais vues en terre, le glouglou des dindons. C'est précisément dans cette opposition de l'échec et de la réussite que les points de vue du cinéaste et du poète se rejoignent. Le film s'achève par une joyeuse fête villageoise comme si tous, même le maire, se réjouissaient de l'échec d'un projet dont la réalisation aurait détruit ce que le village a de plus précieux : la beauté, gratuite, d'un site. Dans le récit de Bernard Lacroix, le projet, réalisé, redonne vie à un lieu de sorte qu'il retrouve sa raison d'être et, par là même, sa beauté. Dans les deux situations, il s'agit de préserver ou de ressusciter cette poésie nécessaire à chacun dans sa vie quotidienne : beauté gratuite d'un champ, d'un saule, d'un village, beauté gratuite de l'eau sauvage, à portée de main et de lèvres.

Les deux points de vue se rejoignent aussi dans leur vision du monde, leur regard ironique sur notre société. Ce sont deux points de vue prémonitoires mais la prémonition est teintée de pessimisme chez Rohmer alors que Bernard Lacroix garde une foi inébranlable en la capacité de résistance d'une poignée d'hommes libres, capacité qui peut entraver la fatalité condensée dans le lieu commun on n'arrête pas le progrès.

L'arbre, le maire, la médiathèque montre la décomposition idéologique à l'œuvre, dans notre société, dès les années 90. Comme dans tous ses films, les personnages de Rohmer parlent beaucoup. Les mots, les idées tournent dans une valse vertigineuse où les valeurs éthiques et politiques sont interchangeables, d'un camp à l'autre. On attend de la très parisienne écrivaine, anti-écologiste, qu'elle défende le projet de la médiathèque et c'est elle qui critique son utilitarisme, dénonce la perte de la beauté et de la gratuité. On attend d'un maire socialiste, qui se veut enraciné dans son terroir, qu'il défende le monde agricole et il est persuadé que l'agriculture est foutue. On attend d'un instituteur écologiste qu'il défende un site au nom de la préservation de la flore et il le défend au nom de sa beauté, œuvre de "paysans artistes". Cette décomposition idéologique, qui fait vaciller les points de repère et les certitudes du spectateur, apparaît comme le symptôme d'un mal plus profond, le fait que le citoyen soit dépossédé de son destin. Quand une journaliste parisienne vient interviewer les agriculteurs du village, tous déplorent l'évolution de l'agriculture intensive qui les condamne à disparaître, ils ne veulent pas du monde qui s'annonce, et pourtant, ils se résignent, dépassés, impuissants. Éric Rohmer semble davantage se fier à une mystérieuse Providence qui décide des hasards, ou à l'interstice de possible laissé par l'impondérable qu'à la détermination des hommes. Deux décennies après la sortie du film, l'état du monde actuel semble justifier cette prémonition pessimiste.

    Il n'en est pas de même dans Le Bassin. Avec une réjouissante insolence Bernard Lacroix brocarde " la pernicieuse normalisation entreprise par l'administration française, suivie désormais par la non moins pernicieuse normalisation européenne". Normaliser, c'est "mettre aux normes", normes imposées par des instances lointaines, abstraites, qui camouflent des intérêts économiques sous le masque de la sécurité sanitaire. Normaliser, c'est nous faire croire que nous ne devons plus boire l'eau sauvage telle que Dieu nous l'a donnée : "Il y a les microbes officiels, les microbes répertoriés, les microbes d'État, ceux qui n'effraient personne parce qu'ils sont remboursés par la Sécurité Sociale et puis il y a les autres, ces pauvres petits microbes naturels, ceux qui ont toujours existé mais à qui on donne des noms terrifiants pour mieux faire comprendre qu'une eau qui ne passe pas par le compteur engendre des maux apocalyptiques".Mais quelques uns ne se laissent pas impressionner par ces noms terrifiants, ils ont même de l'affection pour ces pauvres petits microbes qui n'ont jamais fait de mal à une mouche ni à une vache, ils ont bu cette eau sauvage dans leur enfance et ils sont toujours là, ils ont compris qu'en réalité, " la différence qu'il y a entre une eau potable et une eau non potable, c'est que l'une se paie et l'autre pas". C'est ainsi qu"une "poignée de poètes" qui ne croient pas aux "normes" obtient le retour de l'eau sauvage dans le bassin du village qui reprend vie, même si les vaches, définitivement et désespérément "normalisées", ne le fréquentent plus.

Ce récit plein d'humour s'apparente à une parabole dont on peut tirer une leçon d'espérance.

Dans la vision du monde de Bernard Lacroix, les hommes sont responsables — ou devraient pouvoir l'être —, de leurs lieu et conditions de vie, comme l'étaient autrefois les familles qui veillaient à la propreté et à l'entretien du bassin. Il suffit que quelques uns "n'aient rien à foutre des décisions inhumaines prises par des décideurs sans cœur et sans scrupules", qu'ils refusent de plier face à ces décideurs anonymes, pour qu'ils reprennent en main leurs conditions de vie à travers une action concrète, fût-elle aussi modeste que la remise en eau d'un bassin, d'où la portée symbolique de cette action soulignée par l'auteur.De tels hommes sont ou seront des poètes, ceux qui préfèrent l'eau sauvage à l'eau aseptisée, l'eau vivante et belle avec ses hauts et ses bas, et, "au gré des pluies saisonnières, ses éjaculations intempestives et bruyantes". Bernard Lacroix la personnifie, cette eau capricieuse, cette gamine effrontée qui crache au visage des pisse-froid calculateurs et cyniques.

  Car l'eau est un symbole, ce que le poète n'oublie pas. "Si Dieu est éternel, il semblerait que l'eau le soit aussi, du moins ici-bas. N'est-elle pas à l'origine de toutes vies?" écrit -il. L'eau ne cesse de naître, elle était là avant nous et elle sera là après nous dans les siècles des siècles, c'est pourquoi elle est un symbole chrétien de la vie éternelle.

Saluons la avec Bernard Lacroix, en parodiant respectueusement les paroles que le prêtre prononçait avant de gravir les marches de l'autel:

 

Ad Deum qui laetificat juventutem meam!

Á l'eau éternelle qui réjouit notre jeunesse!

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

 

 


 

 

 


 

 


 

 

 

 

 

mardi, 13 février 2018

Conte de fée chablaisien

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Sophie Gengembre Anderson ( 1823-1903) Take the fair face of woman

 

 

 

 

 

En patois chablaisien,  le mot "fée" se dit foye . Voici un conte populaire,  en patois transcrit phonétiquement, où l'on retrouve le thème universel de... la curiosité féminine!

 

 

Dyã le tã, y avè dé foye ke réstovã dyã lu bwè de la Sola, yowe õ n ã di la rosh a lé foye. Lé zhã lyœ balyivã ko bē, õ yozhe, na fèna de shi léya porta dü lafé dyã õ sèlyo, yina dé foye ã la rmarchã lye dze : tlé, zh é mètü  kokrã dyã vütrõ selyo, vo n y égétri po dvã k étre shi vo. Rla fèna s n ala avó, mé i lye fasè tarèla de savè se ke le portove. Sãfoke ly égéta, pwé le ve na grusa punya de folye de shéne. Le se pãsa : le s è mokoye de me, pwé le tra le sle folye. Y ã réstove bē daw ü trè ü kü dü sèlyo:

− Y ã bal tã, letye! ke le dze.

Pwé le felya sõ sheme. Kã le fe shi lyè, savive se ke le trova a la plas de dü tre folye k ètyã résté kulé? dé pis d'ór!

 

Extrait de Le patois de Saxel de J.Dupraz ( Les Belles-Lettres, 1969)

 

 

Dans le temps, il y avait des fées qui restaient dans les bois de la Salle, où on en dit la Roche aux Fées. Les gens leur donnaient encore bien. Une fois, une femme de chez Layat leur porta du lait dans un seillot. Une des fées en la remerciant lui dit : voilà, j'ai mis quelque chose dans votre seillot, mais vous n'y regarderez pas avant d'être chez vous. Cette femme redescendit, mais elle avait grande envie de savoir ce qu'elle portait. Alors elle y regarda et elle vit une grosse poignée de feuilles de chêne. Elle se pensa: la fée s'est moquée de moi, et elle tira loin ces feuilles. Il en restait bien deux ou trois au fond du seillot.

− Elles ont bel temps, celles-là, dit-elle.

Puis elle fila son chemin. Quand elle fut chez elle, savez-vous ce qu'elle trouva à la place des deux trois feuilles qui étaient restées collées? Des pièces d'or!

mardi, 30 janvier 2018

Le mot de la présidente pour 2018

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Bagnères-de-Bigorre. Photographie d'Anne-Françoise Lacroix

 

 

 

 

 

C'est par une belle matinée de janvier, en tout cas dans les Pyrénées, que je vous envoie mes meilleurs vœux pour l'année 2018.

Mon frère Jean-Michel me manque beaucoup et je sais qu'il manque aussi à l'association.

Je me suis installée dans les Pyrénées où j'ai créé un bar à thé, rêve de longue date. Jean-Michel aurait adoré les Pyrénées, ses valeurs, son patrimoine et surtout la nature dont il était personnellement très proche.

Récemment, je me suis  demandé pourquoi j'avais toujours envie d'aller semer des graines ailleurs dès que mes projets étaient accomplis, jusqu'au jour où j'ai appris que mes ancêtres Lacroix étaient meuniers et passaient de moulin en moulin pour leur donner souffle de vie.

Pour cette année 2018, j'invite tous ceux qui n'ont pas réalisé leur rêve, fait tourner leur moulin, écouté leur âme, à s'abandonner à ce qui EST vraiment, à ôter leur lourd manteau d'ego collectif, et à se laisser souffler  par le vent doux et éternel de la pleine conscience.

 

Soyez léger, soyez!!!

 

 

Anne-Françoise Lacroix

 

samedi, 27 janvier 2018

2018. Les vœux de l'association "Les Amis de Bernard Lacroix"

 

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Première neige, huile sur toile de Bernard Lacroix

 

 

 

 

 

Nous arrivons à la fin du mois de janvier. Il est encore temps de souhaiter à tous nos lecteurs, au nom de notre association Les Amis de Bernard Lacroix et de sa présidente Anne-Françoise Lacroix, une très belle année 2018.

 

En cette nouvelle année, Les Amis de Bernard Lacroix  œuvrent à un projet essentiel, la publication de l'ensemble de son œuvre poétique. Ils participeront aussi au projet de Pierre et Michel Guyon : une exposition au château d'Avully consacrée à l'œuvre artistique, poétique et muséale de Bernard.

 

Au cours de cette année, ce blog évoluera. Il ne se limitera plus à l'œuvre de Bernard Lacroix qui a déjà été largement explorée à travers les 291 notes publiées. Fidèle à cette œuvre, à l'esprit qui l'anime, il s'élargira, dans les mêmes domaines − patrimoine et traditions savoyardes , poésie et littérature, Beaux-Arts, musique−,  à d' autres œuvres, d'autres expériences, en résonance avec l'héritage de Bernard.

Chers lecteurs, habitués ou de passage, nous comptons sur vous pour transmettre, sur les réseaux sociaux ou par courriel, les notes que nous publions.

 

E. B-M

mardi, 16 janvier 2018

Quenouilles et fuseaux

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Le rouet. Photographie de Robert Taurines

 

 

 

 

" Une pelote de laine est un long fil d'histoires et de chansons. Confident des plaintes menues, le rouet sait tout des femmes".

Bernard Lacroix, Mémoire des jours

 

 

 

 

 

 

Dans la longue liste des travaux domestiques de jadis, le filage avait une grande importance. Si l'on confiait au tisserand le soin de tisser la toile, après qu'on eut récolté et apprêté le chanvre ou le lin, filer et tricoter se faisait à la maison.

"Si tu ne veux pas teindre la laine, disait une vieille chanson, élève des moutons de couleur! " On peut voir encore des moutons de la vieille race du pays, hauts sur pattes, rustiques, promener leurs silhouettes délavées sur les pentes de la Dent d'Oche ou des Aravis. Il faut les tondre deux fois l'an. Leur laine aux fibres longues convient au filage. Ils sont de couleur blanche, beige, noire ou brune, ce qui permet des fantaisies dans la confection des tricots, des chaussettes ou des couvertures. Au Grand-Bornand, leur présence dans les caves d'affinage du reblochon permet d'y maintenir une température douce et égale.

 

Quand un jeune homme trouvait une jeune fille à son goût, il lui offrait une quenouille faite de sa main. Cela lui évitait des approches intimidantes, des palabres, laissant à ses parents le soin de régler des détails ou l'intérêt n'était pas toujours absent. Rien n'obligeait la choisie à accepter le présent, mais un grand pas était fait et puis savoir que quelqu'un s'intéresse à vous n'est pas détestable. Si l'amoureux manquait de talent pour le faire, il faisait appel à plus habile que lui, la beauté de l'objet ayant son importance.

La quenouille symbolisait l'attachement, puisque la laine s'y enroule comme le lierre sur la branche, le geste qui accompagne l'attente, la patience de la bergère, la chasse à l'ennui dans la solitude du foyer...

Certains artistes incrustaient dans le bois un petit morceau de miroir, les vilains mauvais esprits qui ne manqueraient pas de s'y contempler s'enfuiraient, effrayés par leur propre laideur. L'épouse la conservait sur un pied lui-même ouvragé. Elle lui rappelait à jamais ce si court instant de bonheur que sont les fiançailles et, peut-être, celle qu'aurait pu lui offrir un autre prétendant qui s'est contenté ailleurs et vers lequel vont encore bien souvent ses pensées secrètes.

 

 

Bernard Lacroix, Mémoire des jours (Bias, 1990)