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jeudi, 25 octobre 2012

Automne

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Photographie  de Jean-Michel Lacroix

 

 

 

 

 

La brume se repaît des labours neufs.

 

     On ne sait plus rien ni du ciel, ni du lac.

     Un vol d'oiseaux attise les fumées basses:

     Leur instinct secret les attire d'un été à l'autre.

 

     Moi je reste

     Dans un monde de volets clos,

     De courants d'air

     Et d'arbres figés comme des tombes.

 

     Compagnons passants de la belle saison

     Je ne vous oublie pas.

     Vos profils

     Illuminent la majuscule de mes stances hivernales.

     Les feuilles tombent,

     Mais l'arbre de ma mémoire est en fleurs.

 

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés

mardi, 16 octobre 2012

Octobre à Nernier


bernard lacroix, poésie, octobre à nernier, lac léman



Ne me cherche pas sur le rivage

               Passé l'été, les galets n'ont plus rien à dire.


Je suis là,

Derrière le rideau cuivré de la brume,

Là où s'attardent les reflets oubliés,

Là où les cygnes,

Brebis du lac,

Paissent le regain bleu des risées.


Je suis ce souffle

Qui vient mourir sur ta bouche,

Je suis ce cri

Que les mouettes balancent

Á la barbe du ciel!


Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

jeudi, 11 octobre 2012

Eté Indien

Dérive émotionnelle ?

Crise identitaire ?

 

L'hiver a envie d'exister

Mais son "moi intérieur" se rebelle.

 

Autrement dit:

Il a un passage à vide !

 

L'automne en profite !

 

Bernard Lacroix

mercredi, 10 octobre 2012

Redoux

D'ou vient ce chaud soleil

Ce vent à tournebouler les abeilles ?

 

Sur le chemin de l'hiver

Novembre s'offre des douceurs.

 

L'été est comme la vieille Marie:

Il a encore toute sa tête

 

Mais les jambes ne suivent pas !

 

Bernard Lacroix

samedi, 29 septembre 2012

Ombre et Lumière

Bréhat.JPG

Photographie de Juan Asensio

 

 

"Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d'une lumière d'éternité.

Seule la religion peut être la source de cette poésie.

Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple.

La privation de cette poésie explique toutes les formes de démoralisation.

L'esclavage, c'est le travail sans lumière d'éternité, sans poésie, sans religion.

Que la lumière éternelle donne, non pas une raison de vivre et de travailler, mais une plénitude qui dispense de chercher cette raison.

Á défaut de cela, les seuls stimulants sont la contrainte et le gain. La contrainte, ce qui implique l'oppression du peuple. Le gain, ce qui implique la corruption du peuple."

 

 

Simone Weil, Mystique du travail in La pesanteur et la grâce, ( Éditions Plon, coll. Agora, 2007),pp. 274-275.

 

*

 

Á l'heure où les propagandes de tous bords tentent de nous obséder avec La Crise ( j'adore quand les medias nous expliquent que nous, français, sommes "démoralisés" par La Crise, cette grosse sorcière très laide encapuchonnée de sombres calculs, censée transformer en cauchemars les rêves de tout bon citoyen), propagandes complaisamment relayées, sur Internet, par une multitude d'individus plus ou moins connus qui dissertent à n'en plus finir sur des opinions faussement divergentes, il reste peut-être quelques Impardonnables, quelques insulaires de l'esprit, lisant, imperturbables, dans une rame de métro, les toilettes de leur entreprise, un couloir de leur lycée, un recoin de leur université, Job, Jérémie, Baudelaire ou quelque poète aussi discret que Bernard Lacroix. Ces poètes et leurs lecteurs témoignent de la "lumière d'éternité" dont parle Simone Weil, sans laquelle quiconque, le milliardaire ou le clochard, le cadre ou l'ouvrier, le campagnard ou le banlieusard, reste un esclave. Quelle sueur a dû ruisseler sur le front ridé de Bernard Arnault pour qu'il amasse un tel néant, puisque personne n'est capable d'évaluer réellement sa fortune! " Le maître est esclave de l'esclave en ce sens que l'esclave fabrique le maître" (1)

Je crains que ce pauvre Bernard Arnault, paraît-il esthète et grand collectionneur, n'ait jamais lu une seule de ces lignes fulgurantes qui lui révèleraient son néant en échange de cette plénitude dont le peuple de France est, lui aussi, privé. Il pourrait lire la poésie de Bernard Lacroix, par exemple, souvent aphoristique, qui retient les mots de sorte qu'ils ouvrent cet espace où l'on peut respirer comme au sommet de nos montagnes, espace de silence où les roseaux que nous sommes plient, attentifs, à l'écoute. Certains de ses poèmes se rapprochent de ceux de René Char, lui aussi enraciné dans son pays natal, à propos desquels Jean Beaufret a pu écrire: 

" L'aphorisme se retient de trop parler et, sans philosopher, donne d'autant plus à penser. Il délimite d'un trait l'espace respirable. Il est une reprise de souffle. Qui n'a pas le souffle coupé ne peut rien en apprendre" (2).

Penser sans philosopher, c'est écouter la parole, laisser le langage vibrer en soi, c'est résonner au lieu de raisonner. Le poème bref, aphoristique, coupe le souffle ; comme la flèche de l'archer, il vibre, pourvu que soit tendue la corde du cœur. Alors, on reprend souffle dans un autre espace, libre.

Discrets, secrets, retenant les mots, les poèmes de Bernard Lacroix paraîtront anodins à tout esprit qui ne sait pas faire silence, se dépouiller de sa science. Poésie matinale du paysan qui se lève à l'aurore et contemple le lever du jour derrière la crête des montagnes ou se recueille, au crépuscule. Poésie de l'étonnement premier, de l'émerveillement devant les choses. Poésie qu'on pénètre autrement que par la raison, dont chacun peut ressentir la justesse même s'il n'en comprend pas le sens. Poésie de l'humilité. Le poème requiert seulement la disponibilité du lecteur, une disponibilité identique à celle du poète. Dans une telle disponibilité, se manifeste l'envers des apparences et, de là, la possibilité d'un discours symbolique.

Ainsi, le poème L' Ombre renouvelle le symbolisme de la dualité ombre et lumière. L'une n'est pas sans l'autre, ici-bas. Il y a quelque chose de la mystique weilienne dans cette vision des contraires : le poème n'oppose pas l'ombre à la lumière mais les unit comme les deux versants d'une apparence.La dualité ne symbolise pas la vie et la mort car l'ombre n'existe que dans la plénitude terrestre. L'ombre n'est pas identifiée à la ténèbre, au chaos, à l'absence de sens, c'est une apparence que le poète célèbre parce qu'elle participe à la beauté, à l'unité du monde. La mort n'est ni le royaume de l'ombre ni celui de la lumière, mais le passage de l'une à la plénitude de l'autre, lumière d'éternité, puisque "Morts, nous devenons lumière dans la lumière".

Cette lumière d'éternité brille de toute son intensité dans cet autre poème, fulgurant. Laissons les mots de Bernard Lacroix vibrer en nous, âmes errantes pareilles aux papillons de nuit, écoutons sa prière, familère et peut-être malicieuse: " Seigneur, ne me brûle pas!".

 

Élisabeth Bart-Mermin

 

Notes:

(1): Simone Weil, Mystique du travail, op. cit., p.272.

(2): Jean Beaufret, L'entretien sous le marronnier in Œuvres complètes de René Char ( Éditions Gallimard, coll. La Pléiade, 1988) p. 1141, méditation sur la rencontre entre René Char et le philosophe Martin Heidegger, en 1955.

 

 

dimanche, 16 septembre 2012

La Lumière

bernard lacroix, poésie, georges de la tour

Georges de La Tour, Madeleine à la veilleuse (détail)

 

 

Je voudrais mourir d'éblouissement

 

Comme ces papillons

Collés à la fenêtre au petit matin,

Tués par cette autre vie qu'ils ont tant cherchée.

 

Si tu me trouvais un beau jour

Foudroyé par ta lumière,

Seigneur,

Ne me brûle pas!

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

 

 

jeudi, 06 septembre 2012

L'Ombre

bernard lacroix, poésie, ombre et lumière, mort

Photographie JN Bart

 

Il n'y a pas d'ombre sans lumière,

 

Il n'y a pas de lumière sans ombre.

Celle de l'arbre disparaît avec lui.

Alors qui peut prétendre que la mort est son royaume?

 

Morts, nous devenons lumière dans la lumière

Et la lumière, elle, n'en a pas.

 

Bernard Lacroix, Reflets oubliés.

samedi, 01 septembre 2012

Contes des saisons

 

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Marc Chagall, L'échelle de Jacob (détail)

 

 

Certains textes de Bernard Lacroix publiés dans Les Cahiers du musée sont plus que de simples récits anecdotiques. Petits poèmes en prose ciselés dans une langue limpide et musicale, Le tin derri et La châlée métamorphosent le souvenir en une sorte de conte métaphysique d'une secrète profondeur. Conte d'un soir d'été, conte d'un jour d'hiver.

 

Le "tin derri", littéralement l'arrière temps, l'arrière saison, devient un instant d'éternité, cet instant hors du temps compté où l'on peut "fermer les yeux sans dormir, écouter sans entendre, être fou avec lucidité, ivre sans boire, heureux sans joie, amoureux sans amour", expérience de l'illimité, de la sortie de soi que les poètes et les mystiques nomment l'extase. Cet instant où l'on "peut être personne", ne plus être quelqu'un mais seulement et pleinement "être", c'est la grâce que reçoit "un corps endolori qui s'abandonne", tel celui du paysan à la fin de l'été. La grâce d'un soir nu dans le silence.

 

Dans La châlée, le conteur semble prendre un malin plaisir à brouiller des pistes déjà très embrouillées par le rude hiver savoyard. Ça commence par un récit réaliste où surgit un grand diable qui a "les esprits", comme on disait, à qui on ouvre tout naturellement sa porte et même son lit. Ça se dédouble ensuite comme les châlées, ces chemins que notre homme ouvre dans la neige. Fou pour les grandes personnes, magicien pour les enfants, il dégage pour les premières une ligne claire et nette, de l'école à la mairie, de la mairie à l'église, de l'église au cimetière, résumant à coups de pelle dans la neige le trajet de leur vie terrestre, et pour lui-même, une châlée qui ne va nulle part, "du moins ici bas". Ainsi, celui à qui les grands-parents ont ouvert la porte de leur foyer, ouvre aux enfants les portes d'un au-delà qu'ils scrutent, dans la merveilleuse attente de l'échelle de Jacob. Cet homme au nom bizarre, François Zozon, était-il fou ou au contraire sage? Il pourrait être un sorcier ou le joueur de flûte du conte de Grimm, lui qui habite une "maison au bout du village, borgne, basse, noire à vous faire pleurer". N'est-il pas, plutôt, un de ces fous sacrés qui dans les temps très anciens révélaient la parole des dieux? Personnage d'un conte vécu par Bernard Lacroix, le cantonnier fossoyeur, probablement illettré, en savait plus sur le mystère de la vie et de la mort que bien des "grosses têtes" excitées d'aujourd'hui. Sa châlée était un signe. Tandis que les grandes personnes empruntaient le chemin quotidien de la nécessité, François Zozon entraînait les enfants sur le chemin de la liberté, vers l'immensité d'un champ de neige, symbole de "cette autre chose de nous même qui continue". En effet, cette chose continue. Parions que François Zozon savait, qu'une fois sa carcasse enfouie dans la profondeur d'une tombe qu'un autre aurait creusée pour lui, un de ces enfants émerveillés, devenu poète grâce à lui, tracerait un jour sa châlée sur une page blanche. Parions que cette page, tout illettré qu'il fût, il l'avait lue d'avance!

 

Élisabeth Bart-Mermin

jeudi, 30 août 2012

La Châlée

 

bernard lacroix,chablais d'autrefois

                                                                   Photographie JN Bart

 

Je me souviens très bien de François ZOZON, de son grand nez, de ses grandes moustaches, de sa grande démarche de corbeau. Il avait "les esprits", c'est-à-dire qu'il savait, qu'il voyait, qu'il entendait des choses qu'il était le seul à savoir, voir et entendre. Et puis il remplissait les fonctions de cantonnier-fossoyeur, ce qui ajoutait encore au mystère. Vivant de je ne sais quoi, en ces temps où les pensions n'existaient pas encore, on le trouvait à longueur de journée chez mon grand-père Dominique qui tenait le café de l'église.

 

-" Vous voulez un œuf au plat ? lui demandait la mémé Phine vers les dix heures.

- "S'il vous plaît?

- Combien?

- Tant que vous pouvez!"

 

Alors ma grand-mère qui n'était pas regardante en cassait une douzaine dans la grande poêle.

Quand il était trop ivre pour retrouver sa maison du bout de village, borgne, basse, noire à vous faire pleurer, mes grands-parents lui ouvraient le tiroir de leur grand lit. (1)

En hiver, ses fonctions municipales l'obligeaient à entretenir journellement les passages officiels, que les abondantes chutes de neige rendaient vite impraticables : de l'école à la mairie, de la mairie à l'église, de l'église au cimetière... En Savoie, on appelle ça "faire la châlée". Là-dedans passent les visites, les courriers, les morts... car il faut bien mourir, chez nous, même par grande neige. Mais écoutez un peu jusqu'où allait la fantaisie de cet homme qui ne faisait décidément rien comme les autres : à mi-chemin entre l'église et le cimetière, une seconde châlée quittait la châlée principale pour s'arrêter brusquement à quelques dizaines de mètres de là, en plein champ.

" Celle-là c'est la mienne. C'est pas moi qui suis mort!" expliquait notre François avec un sourire d'angle. Facétie de fou, pensaient tout haut les grandes personnes. Pourtant, ce chemin qui ne menait nulle part, du moins ici-bas, attirait les gamins de l'école dont j'étais. Les flocons dans les yeux, nous restions de longs moments à scruter l'au-delà comme s'il allait nous tendre une échelle de corde. 

 

François n'est plus là, bien sûr. Les châlées d'aujourd'hui carrément rectilignes, se font au tracteur. Vivants d'un monde de moins en moins vivable, les pauvres excités que nous sommes mesurons maintenant toute la richesse symbolique de la châlée de François ZOZON : l'insondable d'un côté, la réalité de la mort, de l'autre, le besoin de merveilleux qui nous détourne un instant de la routine quotidienne, la profondeur de la tombe pour notre carcasse périssable et, pour cette autre chose de nous-mêmes qui continue : l'immensité.

 

Bernard Lacroix, Les Cahiers du Musée ( n°3)

 

(1): Les lits d'autrefois, en Haut et Bas Chablais, comprenaient souvent un étage inférieur, sorte d'immense tiroir, que l'on refermait pour la journée : le bériot.

 

 

lundi, 27 août 2012

Le tin derri (arrière-saison)

C'est le temps de paix qui suit la récolte. On peut s'asseoir sur le vieux banc sans appréhension pour le lendemain, laisser son esprit aller où il veut, contempler la montagne sans avoir à y deviner les prémices de l'orage, se donner au vent qui tout à coup s'est fait sage, comme s'il voulait s'excuser d'avoir tant fait de peur et de mal.

 

" Tu viens te coucher? " dira la femme.

Attends un peu! "

 

A-t-elle compris, que dans le soir qui tombe, un corps endolori s'abandonne? Il faut ne rien dire, ne rien penser, ne rien répondre... Le chaume ne regrette pas ses épis, l'arbre ne se souviendra bientôt plus de ses feuilles... L'oiseau lui-même s'est tu : il sait, lui, que le moment est court entre l'été et l'hiver, qu'il faut savourer ce moment béni où l'on peut être personne pour une fois, fermer les yeux sans dormir, écouter sans entendre, être fou avec lucidité, ivre sans boire, heureux sans joie, amoureux sans amour.

 

Bernard Lacroix, Les Cahiers du Musée  ( n°3)